3. Un sujet en situation

La méconnaissance de certains problèmes psychologiques concernant l'apprentissage d'une langue étrangère, l'excès d'exclusivité auquel pousse le recours à certaines méthodologies nous conduisent à penser que l'un des acteurs de l'apprentissage a parfois été négligé, voire oublié, comme si la centration sur l'apprenant le mettait au sommet d'une pyramide à trois côtés qui laissent à distance égale, sans interaction, l'apprenant.

En affirmant que le sujet est oublié, nous nous référons au constat que les méthodologies parlent trop rarement de l'apprenant en tant que sujet (au sens d'acteur) réel de son apprentissage. On ne retient en effet trop souvent que le sens premier de sujet, "sub-jectum", soumis à un apprentissage qui lui est imposé de l'extérieur.

Or, le sujet ne peut être extérieur à son apprentissage d'une langue étrangère. C'est pourtant de l'extérieur qu'on impose au sujet la conduite de son apprentissage, cette conduite étant une opération qui nécessite une part active du sujet : il reste libre d'adhérer ou non à cette conduite qui lui est extérieure. Cette imposition est à rapprocher des concepts allemands de Entfaltung et de Bildung et pose le problème de l'insertion du sujet dans la dimension didactique que revêt son apprentissage.

En effet, pour ce qui est, par exemple, de l'apprentissage de la conjugaison des verbes, même si on peut se poser la question de l'utilité de cet apprentissage des conjugaisons dans la langue maternelle, on ne peut faire l'économie de la façon dont ce premier apprentissage s'est produit. En FLE, la méthode développée par Françoise Jaussaud132 est innovante en même temps qu'intéressante, puisqu'elle fournit à l'apprenant un mode performant d'apprentissage.

Pourquoi dès lors cette méthode n'est-elle pas plus souvent appliquée à l'apprentissage d'une langue étrangère ? Ce n'est que parce qu'elle se heurte à des habitudes d'apprentissage acquises auparavant que cette façon de faire n'est pas opérante. L'apprenant doit en effet remettre en cause des habitudes d'apprentissage qu'il ne lui paraît pas opportun de remplacer par une autre forme. Il en conclut que cette nouvelle méthode ne lui apporte rien de nouveau et revient vite, pour rendre son apprentissage plus "efficace", à sa méthode traditionnelle. Un apprenant qui n'a pas été habitué à trier les informations nouvelles à acquérir devra sans cesse revenir sur ce qu'il sait déjà pour assurer son nouvel apprentissage. L'apprenant habitué aux paradigmes dénués de sens de l'apprentissage béhavioriste des conjugaisons ("je-tu-il, nous-vous-ils") ne pourra se glisser dans cette nouvelle méthode de Jaussaud, malgré l'économie d'efforts qu'elle propose à l'apprenant. L'apprenant se révèle hésitant, manque d'assurance et renonce donc très vite à cette nouvelle façon de faire pour revenir à ce qu'il a toujours fait auparavant.

L'enseignant aura beau recourir à ce qui lui semble être une meilleure technique, si elle n'est pas adoptée puis intégrée par l'apprenant lui-même, elle reste désespérément inopérante.

Le sujet de l'apprentissage apparaît dès lors comme un élément incontournable de toute approche didactique. Il est le centre de l'apprentissage et doit par là bénéficier des techniques que la didactique des langues étrangères (D.L.E.) peut mettre à sa disposition pour rendre plus opérant son acte d'apprentissage. Encore faut-il que cette D.L.E. demeure consciente que les apprenants ne sont pas des êtres virtuels dénués d'existence réelle, mais que la pensée, l'intelligence et l'esprit critique dont ils sont pourvus leur confèrent une place privilégiée parmi les médiateurs de leur apprentissage et qu'ils sont ainsi susceptibles d'en devenir eux-mêmes leurs propres auteurs critiques.

Notre questionnement sur l'absence du sujet dans les méthodologies s'appuie dès lors sur le constat qu'elles ne prennent pas suffisamment en compte le sens de l'apprentissage d'une langue étrangère, ni la diversité des apprenants, des enseignants et des situations d'apprentissage.

Notes
132.

Cf. JAUSSAUD, Françoise (1986), Apprendre à conjuguer, Coll. "Comment dire", CLE International, 111 pages. Cette méthode d'apprentissage repose sur les analogies de conjugaison existant dans les paradigmes morphologiques de la langue française.