3.2. Le modèle génératif-transformationnel

‘"Tout locuteur possède la capacité de produire et de comprendre de nouveaux énoncés alors qu'il rejette d'autres suites nouvelles comme n'appartenant pas à sa langue"159 ’. Cette faculté de langage innée ou inhérente à l'homme établit ainsi une distinction fondamentale entre la compétence d'une part, savoir linguistique mémorisé et système de règles intériorisé du locuteur, et la performance d'autre part, manifestation de la compétence dans une multitude d'actes de paroles concrets.

Ces réflexions ont abouti à la création d'une grammaire générative fonctionnant comme un système logique qui consiste à déduire une proposition vraie d'une autre proposition vraie par application d'une règle de déduction (d'où le terme de génératif). Une grammaire ne doit pas se contenter de décrire les phrases observables dans un corpus, elle doit caractériser et prévoir toutes les phrases correctes d'une langue, et rien qu'elles. Apparaît alors la notion de grammaticalité et d'agrammaticalité: une grammaire doit permettre de générer des énoncés grammaticaux à l'exclusion des autres; un énoncé n'est considéré comme correct que s'il est conforme à l'intuition qu'un locuteur natif possède à l'égard de sa propre compétence. La grammaire générative repose en outre sur l'idée qu'il existe deux plans pour chaque phrase, une structure apparente, extérieure, sensible, dite superficielle, et une structure intérieure, abstraite, appelée structure profonde ou sous-jacente.

La théorie standard a fait l'objet de nombreuses critiques, surtout de la part des sémanticiens. Deux phrases ayant des descriptions structurales différentes peuvent être synonymes, tout en partageant un certain nombre de propriétés grammaticales. Une structure profonde plus abstraite, reposant sur l'analyse sémantique des énoncés apparaît alors. Un énoncé formellement grammatical peut ne pas avoir de sens (voir la célèbre phrase *"Colorless green ideas sleep furiously"), ce qui remet en cause l'hypothèse de l'autonomie de la syntaxe et appuie l'importance de la composante sémantique. C'est cette composante sémantique qui devra désormais rendre compte de l'ambiguïté des phrases ("La belle porte le masque"), de leur non-sens (*"La machine à écrire boit de la viande"), de leur synonymie ("Ce n'est pas possible" = "C'est impossible"), de leur analycité160 ("Les célibataires sont des personnes non mariées"), de leur contradiction (*"Ce célibataire est marié"). Par une série de transformations, on passe de la structure sémantique profonde à une structure superficielle impliquant la combinaison de toute une série de traits.

Que peut apporter la grammaire générative-transformationnelle à une analyse contrastive ?

D'abord, le concept de grammaticalité, s'il apporte un progrès considérable dans l'approche scientifique du langage, représente un problème essentiel de l'apprentissage d'une langue étrangère. La grammaire qui, dans une première étape, est conçue comme un dispositif qui génère exclusivement l'ensemble des suites bien formées d'une langue, devra, dans une deuxième étape, générer les phrases imparfaitement grammaticales. C'est alors qu'il faut introduire la notion de déviance qui doit établir une hiérarchie des degrés de grammaticalité. Cette notion de déviance comporte au moins quatre conséquences pour la didactique des langues:

Les concepts de structure profonde et de structure superficielle sont également très utiles à l'analyse contrastive, bien que seule la structure superficielle soit impliquée dans la comparaison comme étant le point crucial du contraste. Les structures profondes sont remarquablement similaires, alors que les structures superficielles sont remarquablement différentes. ‘"Ce qui est profond, universel, sous-jacent est ce qui est commun aux deux langues. L'analyse contrastive pourrait alors être définie comme le processus par lequel on montre comment chaque langue interprète les traits universaux comme des formes superficielles uniques"161 ’. Les divergences se situent dans les niveaux intermédiaires des règles de transformation et à celui des structures superficielles.

Puisque la syntaxe n'est pas identique, elle ne peut être utilisée comme point de départ de la comparaison. L'identité de structure des langues doit être placée au niveau plus abstrait de la structure sémantique: ce n'est que dans le sens que l'on peut dire que deux langues sont similaires. A la différence des grammaires de type syntaxique, la grammaire des cas a élaboré un appareil conceptuel où les rapports syntaxiques et sémantiques connaissent un nouveau développement. Deux points fondamentaux intéressent ici de très près la didactique des langues étrangères: le premier concerne le rapport entre la relation casuelle, universalité forte, et la forme casuelle, spécifique à chaque langue; l'autre touche au problème de la lexicalisation, notamment des unités verbales.

Notes
159.

CHOMSKY, Noam (1957), op. cit., page 26

160.

L'analycité des phrases est le fait que la phrase est vraie par définition parce que le sens du prédicat est contenu dans le sens du sujet.

161.

DI PIETRO, R.J. (1968), op. cit., page 68.