1.1. Mise en évidence des contrastes phonologiques

Suivant le principe contrastif défini plus haut, selon lequel la comparaison des deux systèmes linguistiques doit être concentrée sur les différences, l'objectif principal de la comparaison consiste, même lors de l'analyse contrastive dans le domaine phonético-phonologique, à mettre en évidence les sons qui, dans les deux langues considérées, sont identiques, semblables, ou dissemblables. Ce sont en effet les derniers qui, lors d'un apprentissage nouveau ou premier de la langue considérée, doivent être ajoutés par le locuteur à un système qu'il possède déjà dans sa langue maternelle et qui, pour cette raison même, sont particulièrement intéressants du point de vue didactique.

Avant de lancer ce processus d'analyse, il convient de poser chacune des deux langues selon sa fonction à l'intérieur de l'analyse : il est important en effet de distinguer la L1, langue de départ, langue primaire (dans la situation pédagogique, il s'agit le plus souvent de la langue maternelle, mais elle peut tout aussi bien, dans certains cas qui restent marginaux, être une langue seconde), de la L2, langue d'arrivée, langue secondaire, langue cible, langue seconde (langue étrangère dans les situations pédagogiques les plus courantes).

Lors de l'analyse différenciée des deux langues mises en rapport en tant que L1 et L2, il va falloir considérer d'abord les particularités linguistiques (ici phonétiques) qui sont différentes. Les sons articulés de façon identique ou (très) semblable dans les deux langues peuvent, à ce niveau de l'observation, être laissés de côté. Cela ne signifie cependant en aucun cas dans la pratique de la comparaison qu'ils ne devront pas être pris en considération à un moment ou à un autre du processus de comparaison, car la mise en évidence du contraste n'est possible qu'à la suite d'un processus de comparaison où les deux systèmes linguistiques sont mis en opposition systématique l'un avec l'autre et où ces différences systématiques, c'est-à-dire leurs correspondances, voire leurs ressemblances, sont mises en évidence.

Pour mieux se rendre compte de ce processus, on peut imaginer que, de la même façon que pour les égalités en mathématiques, les phénomènes qui, dans les deux systèmes, sont "égaux", peuvent être "réduits" de façon que seuls les phonèmes "inégaux" demeurent. On peut ici prendre l'exemple très simple et très instructif pour une analyse contrastive, de la comparaison contrastive des systèmes consonantiques de l'allemand et du français.

Tableau 1 : Comparaison des systèmes consonantiques allemand et français.
consonnes 1 ç x w h
allemand
français
cas a) a) b) b) b) a)

Comme il ressort directement de la comparaison de ces deux systèmes linguistiques, tous les phonèmes consonantiques présents dans les deux systèmes ne sont pas pertinents. En ne considérant que ceux qui restent, on ne trouve que deux cas différents :

  • a) le cas de phonèmes existant en allemand mais qui n'existent pas en français, /ç/, /x/ et /h/ ;

  • b) le cas de phonèmes existant en français mais pas en allemand, / /, /w/ et / /.

Si l'on refait cette analyse entre le français et l'anglais, il en ressort d'autres informations qui sont à leur tour différentes, puisque le /ç/ et le /x/ ont disparu. Il nous faut alors considérer trois cas :

Tableau 2 : Comparaison des systèmes consonantiques anglais et français.
consonnes 2 ç x ^c ^j w h
anglais
français
cas c) c) c) c) b) d) b) c)
  • b) le cas de phonèmes qui existent en français mais pas en anglais, / / et /w/ ;

  • c) le cas de phonèmes qui existent en anglais mais pas en français, /^c/, /^j/, / /, / / et /h/. Il est à noter ici que le /h/ possède le même statut pour un apprenant francophone de l'anglais ou de l'allemand ;

  • d) le cas de phonèmes qui existent en anglais et en français, /w/ ici, qui n'a été introduit dans le tableau que parce qu'il change de statut en posant un problème aux germanophones apprenant le français ou l'anglais, mais qui n'est pertinent ni pour un anglophone apprenant le français, ni pour un francophone apprenant l'anglais parce qu'il est présent dans les deux systèmes consonantiques.

La comparaison à trois systèmes devient plus compliquée dans la mesure où elle fait apparaître cinq cas différents :

Tableau 3 : Comparaison des systèmes consonantiques allemand anglais et français.
consonnes 3 ç x ^c ^j w h
allemand
anglais
français
cas a) a) c) c) c) c) b) d) b) e)
  • a) phonèmes existant en allemand, mais ni en anglais ni en français, /ç/ et /x/ ;

  • b) phonèmes existant en français, mais ni en anglais ni en allemand, / / et / / ;

  • c) phonèmes existant en anglais, mais ni en allemand ni en français, / /, / /, / / et / / ;

  • d) phonèmes existant en anglais et en français, mais pas en allemand, /w/ ;

  • e) phonèmes existant en anglais et en allemand, mais pas en français, /h/.

Cette mise en évidence des contrastes dans les langues en présence dans le processus d'apprentissage conduit inéluctablement à une analyse et à une exploitation didactiques de ces contrastes. Mais il est dès lors à remarquer que le traitement de ces informations ne peut être identique selon la direction du processus d'enseignement et selon même les langues mises en présence.