1.2.4. Contrastes phonémiques intralinguistiques

L'exemple du dévoisement de la consonne finale nous introduit au problème de la contrastivité intralinguistique qui se fonde sur les variations intralinguistiques et leurs relations avec la langue standard.

Une linguistique "réaliste" tente également de prendre en compte le fait qu'on ne trouve en aucun cas dans des langues op-posées cette unité d'intonation, de lexique et de morphologie comme les grammairiens d'une langue standard voudraient le faire croire aux apprenants de ces langues ; elle en profite pour inclure ces variétés dans la didactique de ces langues. Cet élargissement dans la compréhension de toute langue a conduit également à compléter la contrastivité autour de ce qu'on appelle l'analyse contrastive intralinguistique qui s'adresse aux contrastes à l'intérieur même d'une langue, concrètement entre son utilisation standard et ses variétés régionales, voire sociales.

Ces variétés, on peut les observer et les décrire de plusieurs façons à l'aide de la méthode contrastive. Tout d'abord, dans l'enseignement traditionnel des langues étrangères en prenant en compte davantage, et de façon plus systématique, à la fois dans la langue cible et dans la langue de départ, les idiolectes, notamment en explicitant leurs relations à la langue cible - ici la langue standard -, avant même de les appliquer à l'autre langue étrangère.

De plus, la méthode contrastive permet d'interpréter différemment les interférences selon des points de vue interlinguistique d'une part et intralinguistique d'autre part. C'est ainsi que l'on a déduit la méthode contrastive de cette autre méthode tournant autour de l'analyse des erreurs en donnant à cette dernière une perspective nouvelle et plus intéressante puisque, en s'appliquant à une seule langue même hors du domaine de l'enseignement des langues étrangères, elle pouvait être utilisée dans l'enseignement d'une langue maternelle à partir des particularités dialectales des enfants. Ceci concerne notamment l'enseignement de l'allemand en Autriche ou en Suisse, où l'importance de l'idiolecte rend particulièrement difficile l'approche de l'enseignement de la langue maternelle dans son code standard.

On peut illustrer ces erreurs allophoniques par le phénomène allemand cité plus haut du dévoisement des consonnes voisées en fin de mot, qui pose des difficultés supplémentaires pour un apprenant de cette langue qui ne connaît pas ce phénomène dans sa propre langue maternelle. En effet, un francophone commettra ici l'erreur de ne pas dévoiser la consonne finale et ira ici à l'encontre de la prononciation idiomatique de l'allemand. Cette prononciation non-allemande participe alors à l'avènement de cet accent étranger et fait passer le locuteur pour un étranger aux yeux des germanophones. La compréhension, et partant la communication, n'est certes pas ici remise en cause. Toutefois, il suffit d'inverser l'ordre d'apprentissage de ces langues pour constater qu'il en va alors tout autrement. Le dévoisement de la consonne occlusive finale d'un mot peut en effet en français constituer une opposition phonématique nécessaire à la différenciation de deux sens différents (cf. par exemple "coude" [kud]~[kut] "coûte" cité plus haut). Toute prononciation du français qui se fonde sur cette particularité allemande de dévoisement des consonnes occlusives en finale de mot devient alors erronée et peut conduire à des distorsions de la compréhension et, partant, de la communication. Il est alors important que l'enseignant soit préparé à cette sorte d'erreur systématique qui n'est pas due à la méthode d'apprentissage, mais bien à la façon dont il gère l'influence de la langue maternelle sur l'appropriation par l'apprenant de ces particularités phonétiques qui ne lui sont pas propres.

A l'intérieur de la didactique des langues étrangères, cette méthode contrastive intralinguistique ouvre des possibilités supplémentaires de recherche et d'étude des plus petites influences et des plus petites différences qui existent entre L1 et L2. Pour le praticien se pose alors la question de savoir si la revendication d'une appropriation la plus complète possible de la compétence linguistique dans la langue d'arrivée doit ou non - et dans quelle mesure - prendre en compte les variantes régionales dans la langue étrangère. Un apprenant germanophone du français peut être appelé à se fixer dans le sud de la France où la prononciation - notamment en ce qui concerne les voyelles nasales si difficiles à acquérir pour les germanophones du nord qui, contrairement à ceux du sud, ne les connaissent pas par leur dialecte - est singulièrement différente de ce qu'il est convenu d'appeler le français standard. Toutefois, comme on vient de le suggérer, la prise en compte, dans l'apprentissage du français standard, de la prononciation dialectale des nasales allemandes facilite fortement l'acquisition des sons correspondants du français.