1.2.6. Analyse contrastive des phonèmes vocaliques

Une analyse contrastive des phonèmes vocaliques permet également de proposer des actions pédagogiques qui résoudraient une bonne partie des problèmes posés par l'apprentissage d'une langue étrangère. Nous prendrons ici également l'exemple de l'allemand et du français en contraste pour mettre en évidence les sons qui a priori sont susceptibles de poser des difficultés lors de l'apprentissage.

Si l'on considère les phonèmes vocaliques de base de l'allemand et du français, force est de constater qu'il n'y a qu'un son qui soit susceptible de poser des difficultés et qui se trouve être celui qui pose le plus de problèmes en français en tant que spécifique de cette langue. Le son oral semi-ouvert antérieur labialisé /oe/ a à peu près les mêmes caractéristiques articulatoires que le // dit "caduc", "instable" ou "muet". Or, son degré d'ouverture ne fait pas partie du système allemand. Certains phonèmes vocaliques oraux du français peuvent en outre être nasalisés, ce qui n'est le cas en allemand qu'à l'intérieur de certains idiolectes fortement inscrits dans leurs caractères régionaux. On a déjà vu que les germanophones du sud avaient ici un avantage certain sur les germanophones du nord parce qu'ils possédaient dans leurs dialectes les sons correspondants. Il faudra donc au germanophone du nord davantage d'efforts pour produire ces sons qui lui sont étrangers de par sa langue maternelle qu'à un germanophone du sud.

L'identité articulatoire présidant à la production d'un son présent à la fois dans la langue source et dans la langue cible se révèle être d'une grande efficacité dans l'apprentissage de la langue cible puisqu'il suffira alors d'effectuer un simple transfert de ce que l'apprenant connaît déjà dans sa langue maternelle. L'apprentissage d'un son nouveau est également d'autant plus facile qu'il ne peut y avoir, grâce à la distance suffisante existant entre ce son nouveau et un son ressemblant dans la langue de départ, d'interférence mettant en danger l'assimilation du nouveau son.

Cette relative absence de difficulté lors de l'apprentissage d'un son nouveau n'est en effet pas toujours réelle lorsque la proximité d'un son de la langue maternelle peut produire des difficultés imputables à l'interférence.

Comme on a pu le voir dans ces quelques considérations sur l'utilisation didactique des contrastes dans le domaine de l'apprentissage des sons d'une langue étrangère, la contrastivité peut apporter des solutions aux problèmes récurrents posés par les différences des deux systèmes de départ et d'arrivée.

Si l'exploitation didactique systématique des sons de la langue cible dans ce qu'on a coutume d'appeler "l'apprentissage par imitation" n'est pas à rejeter totalement, il n'en reste pas moins que seule la prise de conscience des phonèmes spécifiques d'une langue étrangère est capable de rendre opérationnelle la compétence phonétique de cette langue. Le principe contrastif ne se contente plus d'être théorique et ne s'adresse plus uniquement à l'enseignant ou au concepteur de méthode, mais il entre directement dans la façon de faire de l'apprenant en lui montrant le chemin qu'il peut suivre pour atteindre, grâce à l'introduction raisonnée d'oppositions phonologiques, une prononciation qui ne le fasse plus hésiter à prendre la parole pour entrer en communication.

Encore faut-il que certaines conditions ne faisant pas partie directement des difficultés inhérentes à une approche contrastive de la langue étrangère, mais qui participent directement de son apprentissage, soient présentes dans le cadre même de cet apprentissage. Nous voulons évoquer ici brièvement les problèmes que l'on rencontre lors d'un enseignement institutionnel des langues étrangères : motivation de l'apprenant, présentation du contenu didactique, progression dans la définition des objectifs, évaluation des progrès. Autant de facteurs qui ne font pas directement partie de la langue elle-même mais qu'il est important de ne pas négliger afin de rendre encore plus opératoire cette analyse contrastive qui, est-il nécessaire de le souligner une fois encore, ne peut constituer une méthode à part entière, mais qui peut résoudre certaines difficultés liées à l'exclusivité trop grande dans l'utilisation des diverses approches introduites plus haut. Si la plupart des erreurs sont en effet imputables aux interférences de la langue maternelle, il en reste qui lui sont extérieures et qui ne peuvent donc être résolues par la seule approche contrastive. Pourtant, on ne peut douter qu'un éclairage par cette approche permet, grâce à une structuration plus consciente de la part du locuteur, de mieux atteindre ses objectifs.

Il semble plus généralement que le fondement d'une étude phonologique du français soit un des phonèmes particuliers à la langue française, le "e" instable, qualifié de muet ou de caduc suivant les phonéticiens. Ce "e" instable n'existe pas dans la plupart des autres langues sous ce même aspect de ce que Carton qualifie d'un phénomène buttoir. Comment le "e" instable est-il traité pédagogiquement dans les méthodes ? Il est rare qu'on le traite, alors qu'il suffit de considérer quelques lois générales sans se soucier, dans un premier temps, des particularités nombreuses de son utilisation.

Mais avant de considérer ce problème à notre avis fondamental de la prononciation de la langue française, il faut prendre conscience de la grande distance entre langue écrite et langue parlée en français. D'un point de vue didactico-pédagogique, on enseigne donc deux langues en parallèle qui sont loin de se correspondre exactement. L'analyse du français parlé standard254 révèle d'innombrables difficultés dues à cette distance. Ainsi [orvwar] ("Au revoir !) devient-il [orvwar] dès que la graphie vient, chez les apprenants débutants, brouiller l'audition et le rapport entre graphie et phonie. Quelques règles simples issues d'une analyse en contraste suffiront à résoudre ces problèmes de base.

La correspondance phonie-graphie est un des problèmes importants posés par l'apprentissage d'une langue étrangère dans la mesure où cet apprentissage se produit en contexte scolaire, mais le instable est à l'origine d'une autre série de difficultés, à l'intérieur des groupes accentués et de la phrase elle-même. Enfin se pose celui de l'intonation qui reste très particulière en français.

En ce qui concerne la relation phonie-graphie, il est nécessaire de revenir à la définition du phonème en tant qu'unité de son distinctive de sens. Vient ensuite le classement des phonèmes d'un point de vue psychopédagogique en liaison avec les langues de départ : où se trouve la distance la plus grande et quelle est la fréquence de ce phonème en français ? Il conviendra enfin de prendre en considération les trois grandes séries de phonèmes que sont les voyelles (sons purement vocaliques), les consonnes (qui ne peuvent être prononcés sans un apport vocalique extérieur) et enfin ce qu'on appelle les semi-voyelles ou semi-consonnes (sons ayant la même articulation que les voyelles, mais prononcés comme des consonnes).

Il convient ensuite de faire prendre conscience que le phonème en soi n'a pas de sens. Seule la combinaison des sons va produire du sens, et ce sens peut varier suivant les sons produits. Cette combinaison des sons peut être aussi bien verticale (cour, car, coeur, etc.) qu'horizontale (lait, laisse, laisser, etc.), ce qui revient à dire que les oppositions internes sont très importantes pour atteindre une précision articulatoire suffisante qui permettra de différencier deux, voire plusieurs phonèmes.

On est ainsi conduit à recourir aux langues maternelles en présence, et à un système d'écriture qui ne tienne pas compte de la graphie académique d'un mot, mais qui reproduise le son et uniquement le son dans ce qu'il a de défini par opposition aux autres sons : c'est le rôle de l'Alphabet Phonétique International qui, au début de l'apprentissage, contournera cette difficulté de la langue écrite. En opposition donc aux méthodes audio-orales ou audiovisuelles dans lesquelles, au début de l'apprentissage d'une langue, il n'était fait recours à aucune graphie, le recours à cet A.P.I. permet de combler cet appétit d'écriture qu'éprouve tout débutant d'une langue étrangère.

Notes
254.

Il s'agit ici d'un français parlé sans trace de particularisme régional ou argotique, voire familier, celui qu'on entend à la radio, à la télévision ou au cinéma sans intention de coloration régionale.