2.1. Fondements théoriques d'une comparaison qui dépasse la structure superficielle

C'est grâce aux processus et aux critères de comparaison développés par l'analyse contrastive américaine que l'on peut étudier plus en détail ces domaines problématiques qui dépassent la structure superficielle des phénomènes linguistiques. Ces processus et ces critères dépendent pour beaucoup du structuralisme et de ses méthodes.

Lado énumère les ‘"procédures de comparaison de deux structures grammaticales"255 ’. Selon lui, une comparaison n'est possible que si, pour chaque structure partielle de la langue d'apprentissage (L2), on constate que la structure correspondante de la langue maternelle (L1) :

  1. peut s'exprimer sous la même forme et/ou

  2. a la même signification (éventuellement est utilisée dans la même fonction) et/ou

  3. montre une distribution analogue dans le système linguistique.

En changeant légèrement l'ordre proposé par Lado, qui insiste sur la primauté de la forme extérieure sur le sens, et en ramenant le sens en tant que fondement de l'expression linguistique, on en vient à conclure qu'une comparaison contrastive n'est possible que lorsque au moins une des trois propositions suivantes est vraie :

  1. identité sémantique : on veut dire la même chose, le sens est le même ;

  2. identité formelle : on utilise les mêmes moyens d'expression ;

  3. distribution analogue à l'intérieur des structures partielles considérées, voire dans les systèmes des langues à comparer (en faisant apparaître l'aspect pragmatique préféré dans la contemporanéité) : ce qu'on dit dans la même situation avec le même effet.

Selon les combinaisons de ces trois règles d'équivalence, on atteint les degrés suivants de proximité ou d'éloignement des langues placées en contraste :

  1. identité totale lorsque les trois propositions sont vraies ensemble, c'est-à-dire sémantiquement, formellement et distributionnellement, dans les deux langues. Pour intéressante que soit cette identité totale auprès des linguistes, notamment historiques, elle est dépourvue d'intérêt d'un point de vue purement contrastif, puisque cette identité totale ne peut être à l'origine d'interférences ni de difficultés d'apprentissage ;

  2. cas de contrastes plus ou moins importants. Le léger contraste vient de ce que deux seulement des trois propositions sont vraies : dans la plupart des cas, il s'agit ici d'une différence distributionnelle, alors que les deux premières propositions, identité sémantique et identité formelle, sont vraies. Il y a contraste plus important chaque fois que des différences sémantiques ou formelles se conjuguent avec des différences distributionnelles, c'est-à-dire qu'il n'y a équivalence soit uniquement formelle soit uniquement sémantique liées à une différence d'ordre distributionnel.

Le tableau ci-dessous montre les différents degrés d'équivalences possibles selon les axes d'équivalences (sémantique, formel et distributionnel) introduits plus haut:

Tableau 6 : Degrés d'équivalence morphologique.
axe sémantique axe formel axe distributionnel
identité totale : L1=L2 + + +
léger contraste
(distributionnel)
+ + -
contraste important 1
(formel)
+ - -
contraste important 2
(sémantique)
- + -

En fait, seuls les contrastes importants sont intéressants du point de vue de la pratique pédagogique puisqu'il est logiquement nécessaire de disposer d'au moins une équivalence en tant que point d'appui ou de tertium comparationis. Cet élément équivalent est la plupart du temps la signification, du moins, afin de contourner la problématique qui lui est liée, l'utilisation dans la même fonction ou dans la même situation pratique. Les contrastes significatifs se trouvent alors dans le domaine formel de la structure superficielle sous la forme d'éléments supplémentaires (morphosyntaxiques), mais on peut également les trouver dans d'autres distributions de moyens langagiers en principe identiques ou tout au moins comparables.

Notes
255.

LADO, Robert (1957), Linguistics across Cultures, page 66 et suivantes.