2.4. L'analyse contrastive morphologique d'un point de vue pédagogique

Si nous nous référons à la problématique du fondement théorique de la contrastibilité de la question chez Lado en tant qu'exemple de contraste morphologique, on en arrive à l'interprétation didactique de ces faits de langue et à la question de l'application pratique de l'approche contrastive.

Il s'agit ici aussi de définir la progression nécessaire aux locuteurs des langues comparées pour leur apprentissage de la langue étrangère. Lado en conclut par exemple que quatre étapes sont nécessaires au germanophone apprenant l'anglais : le détour par le verbe auxiliaire "to do" qui porte la flexion, la disparition de la flexion du verbe portant le sens qui devient ainsi un infinitif, la reconstitution d'un ordre des mots identique à celui de la phrase affirmative puisque la marque de la question est reportée sur l'auxiliaire, enfin le changement d'une intonation montante à une intonation descendante normale puisque la caractéristique de la question est suffisamment claire grâce au mot interrogatif et à l'inversion.

Lorsqu'il s'agit en revanche d'une autre situation, par exemple lorsqu'un hispanophone apprend l'anglais, les difficultés sont différentes puisque pas moins de sept étapes sont nécessaires à l'élucidation du problème posé par la question : l'inversion d'abord, inconnue des hispanophones, ensuite l'apparition du sujet marqué à la troisième personne, ajout de l'auxiliaire "to do", flexion de l'auxiliaire, disparition de la flexion du verbe porteur de sens, restauration de l'ordre des mots de la phrase affirmative, enfin, étape suprasegmentale la plus délicate pour un hispanophone, un changement d'intonation qui fait passer la question d'une intonation montante à une intonation descendante puisque la question est suffisamment marquée par les mots interrogatifs et leur ton montant).

Pour ce qui est du français et de l'allemand, les problèmes sont moins nombreux, mais tout aussi délicats à interpréter. On constate toutefois qu'un germanophone apprenant le français devra procéder lui aussi par étapes. Le français dispose de trois procédés interrogatifs : l'inversion du sujet qui relève d'un niveau de langue très soutenu, l'introduction d'une expression interrogative "est-ce que" qui traduit un niveau de langue standard et l'interrogation par la seule intonation qui relève du français plutôt familier. Suivant le niveau de langue désiré par l'apprenant, ce dernier devra donc décider de recourir à l'un ou l'autre de ces procédés interrogatifs. Le nombre des étapes n'est pas le même pour chacun de ces processus, et on remarque que l'interférence avec l'allemand détermine le plus souvent la forme de question la plus proche de celle de la langue d'origine, à savoir l'inversion qui, comme on l'a déjà signalé, est fortement marqué en français par son caractère de niveau de langue soutenu. La deuxième option permet de ne pas changer l'ordre des mots, mais de les faire précéder en tous cas de l'expression "est-ce que". Quant à la troisième possibilité, l'intonation, elle ne pose pratiquement pas de problème.

En conclusion, on peut dire que les contrastes sont nombreux dans la structure morphologique de langues mises en contact dans une perspective d'apprentissage en ce qui concerne la grammaire casuelle et exigent une étude détaillée que la didactique traditionnelle des langues étrangères leur a déjà consacrée comme le montrent les nombreuses grammaires traditionnelles d'apprentissage des langues étrangères.

Mais même des phénomènes plus universaux bien que moins étudiés dans le détail, comme les modes et les temps, qui dépassent le seul point de vue morphologique et qui sont considérés comme des phénomènes ayant trait plutôt à la syntaxe, peuvent se révéler très riches d'un point de vue contrastif.

En effet, aussi bien en ce qui concerne ce tertium comparationis dont on ne peut faire l'économie dès que l'on dépasse le simple plan morphologique, que pour ce qui est du point de vue pratique des cas potentiels d'interférence, le recours à l'analyse contrastive et à ses applications pédagogiques peuvent être d'un grand secours pour ce qui est de l'apprentissage - notamment en situation scolaire ou d'apprentissage institutionnel - d'une ou de plusieurs lange(s) étrangère(s).

Il serait souhaitable qu'elles trouvent une oreille plus attentive de la part des concepteurs de matériels d'enseignement/apprentissage, ainsi que, lors de la préparation de cours, des enseignants eux-mêmes qui pourraient ainsi faire usage de conclusions pratiques issues de réflexions théoriques sur l'apprentissage des langues étrangères.