3.6. Acquisition contrastive du vocabulaire

Nous aimerions montrer, à l'aide de cet exemple précis, que les aspects didactiques, comme le lien direct avec les objectifs d'apprentissage des cours de langues étrangères, et les possibilités de les transcrire dans des pratiques d'enseignement se révèlent indispensables et demandent une présentation aussi proche que possible des conditions réelles d'enseignement.

Nous nous appuierons pour cela sur un article de Karcher269 et sur des méthodes de description linguistique qui permettent également une analyse active de la part de l'apprenant.

En partant de l'objectif d'apprentissage consistant en l'acquisition d'un vocabulaire le plus large possible et en une élucidation sémantique la plus exacte possible, qui lui semble être l'une des tâches les plus importantes de l'enseignement des langues étrangères, Karcher tente d'inclure la contrastivité dans les stratégies d'enseignement et d'apprentissage menant à l'introduction des vocables et à l'étude des différenciations lexicales sous leur aspect micro-sémantique. Au contraire de la prise de position négative à l'égard de l'interférence - selon laquelle la réception lors de l'acquisition d'une langue seconde et la rétention d'un matériel lexical supplémentaire de la langue cible se produisent en suivant les principes de catégorisation présents dans la langue maternelle et devraient donc avoir des effets gênants -, Karcher prétend que ‘"la langue maternelle [...] ne constitue en aucun cas un mal [...], au contraire : le système de la langue maternelle donne à l'enseignant d'une langue étrangère la possibilité d'exploiter les connaissances antérieures, les capacités et les expériences linguistiques de l'apprenant et de les appliquer à l'enseignement des langues étrangères."270

En ce qui concerne le danger toujours possible de l'interférence, il lui semble que, pour un enseignement moderne des langues étrangères, ‘"il est plus sensé de porter l'attention de l'apprenant par des méthodes adaptées sur de possibles interférences, et donc de lui montrer clairement, à travers une comparaison sémantique comme second degré de la transmission du sens, les fautes et les erreurs qu'il a pu commettre."271

Karcher poursuit en proposant une méthode comprenant trois phases d'enseignement et d'apprentissage.

D'abord, une première présentation du mot ou du signe nouveau à apprendre à travers une démonstration déictique ("c'est un ..."), ou des définitions logico-fonctionnelles ("Un oiseau, c'est un animal qui ...", "J'ouvre une porte avec une ..."). Dans cette première phase, toutes les associations avec la langue maternelle doivent même être suscitées afin d'activer très vite de grands domaines sémantiques et de pouvoir les transférer dans la langue cible. A ce stade, il convient de prendre en compte le danger que constituent l'approximation et la rencontre de ces correspondances ou similitudes apprises par transfert.

Ce n'est que plus tard, dans une deuxième phase, que la différenciation, voire une éventuelle rectification aura lieu. Cette deuxième phase consiste en la découverte de l'écart entre la signification inhérente à la langue étrangère et celle de la langue maternelle. Il est nécessaire alors de donner des limites au sens. On peut travailler d'une part sur des champs sémantiques parallèles comportant des caractéristiques connues et dans lesquels on fait entrer les mots des deux langues en présence, anglais et allemands par exemple :

Tableau 9 : Champ sémantique anglais-allemand de "pleurer".
avec des larmes de souci de colère de peur
to cry + + + +
to weep + + - -
weinen + + - +

ou par une simple confrontation comme en allemand et en français :

Tableau 10 : Champ sémantique allemand-français de "se promener" .
allemand verbe spécifique spazierengehen
français verbe et adverbe marcher lentement se promener flâner

La troisième étape contient elle-même deux procédures pour améliorer le vocabulaire : d'abord la délimitation sémantique à l'intérieur d'un champ lexical, puis son extension à des contrastes connotatifs interlinguistiques. Pour cela, il est nécessaire de délimiter et de confronter les contrastes lexicaux d'abord dans une langue puis dans l'autre, comme dans l'exemple ci-après :

Tableau 11 : Exemple de délimitation d'un contraste lexical français-allemand.
français ru ruisseau rivière fleuve canal
allemand Rinnsal Bach Fluß Strom Kanal

On obtient ainsi une adéquation sémantique qui n'est pas influencée par la forme extérieure du mot comme ce peut être la cas entre "Fluß", "rivière", et "Strom", "fleuve". Cela permet en outre de préciser relativement les valeurs sémantiques les unes par rapport aux autres : ainsi, un "ruisseau" est un grand "Rinnsal" ou un petit "Fluß".

Cette précision systématique dans la valeur sémantique des mots ne représente bien sûr qu'un aspect du travail sur le lexique qui paraît cependant suffisamment important à Karcher pour qu'il y adjoigne une "didactique du dictionnaire" qui correspond davantage aux objectifs de l'enseignement des langues étrangères.

Cette didactique du dictionnaire pose comme préalables d'abord un vocabulaire fondamental de 2 000 à 3 000 mots qu'on ne choisit pas uniquement selon leur fréquence, comme c'était le cas du Français fondamental, mais aussi selon leur effet communicatif, ensuite une classification selon les types de contraste (identité, grande différence, légère différence, grande ressemblance), enfin une notation simple, également accessible aux enseignants comme aux non-spécialistes en linguistique que sont souvent les apprenants.

Il est tout à fait possible d'envisager l'élaboration d'un tel dictionnaire contrastif. Il constituerait un parallèle systématique et méthodique ainsi qu'un complément fort utile aux grammaires contrastives pour lesquelles plusieurs projets ont été lancés.

On pourrait reprocher à une telle approche de différenciation lexicale explicite et formalisée son coût en temps, mais il convient de considérer également ce qu'on y gagne en rigueur et en exigence d'exactitude sémantique qui procurent aux apprenants de véritables compétences lexicales, ainsi que l'accès à une réflexion sur la langue cible aussi bien que sur sa propre langue maternelle à côté de cette prise de conscience de la différence des représentations que toute langue véhicule. C'est en cela aussi que la contrastivité fait réellement partie, par les réflexions qu'elle incite, des processus éducatifs qui fournissent à l'homme les moyens d'une autonomie raisonnée.

Notes
269.

KARCHER, G.L. (1979), "Kontrastive Unterrichtsmethoden - Verfahren zur Optimierung der Bedeutungsvermittlung", in : Neue Unterrichtspraxis, 12/3, pages 169 à 175.

270.

KARCHER, G.L. (1979), op. cit., page 171.

271.

KARCHER, G.L. (1979), op. cit., page 171.