5.1.1. Objet de l'enseignement de la culture

Toute société dispose d'une langue qui lui sert à communiquer les expériences de ses ressortissants afin de rendre plus court, plus rapide et plus efficace le chemin de la connaissance. C'est en cela que la langue est le véhicule privilégié de la culture. Corollairement, la culture est présente dans la langue, et de nombreuses particularités linguistiques ne sont concevables que pour les êtres qui partagent une culture commune.

Mounin écrivait : ‘"le contenu sémantique d'une langue, c'est l'ethnographie de la communauté qui parle cette langue."281 ’ L'enseignement institutionnel de la culture aura donc pour objet dans un premier temps de décrire les faits culturels constituant ce contenu sémantique.

Martine Abdallah-Pretceille précise que ‘"l'évolution de l'enseignement des civilisations [...] s'est réalisée dans une seule dimension, à savoir la recherche et le détermination d'un contenu"282 ’. Ce contenu, essentiellement culturel au sens kantien du mot, puisque fondé sur les activités intellectuelles propres à une société particulière (histoire, arts, littérature, etc.) ne permet pourtant que difficilement d'accéder à la compréhension d'un peuple et de sa civilisation. Une approche sémiologique de la civilisation, par l'utilisation notamment de documents authentiques, lui rend sa complexité, sa pluralité et donc sa profondeur.

Toutefois, cette approche n'est pas sans poser d'importants problèmes. Il paraît en effet impossible d'aborder un document authentique sans avoir au préalable étudié et défini le contexte dans lequel ce document a pu être rédigé ou fabriqué. Comment aborder ce document sans préjugés ni a priori, tant de la part de l'enseignant que de l'apprenant ? L'enseignement de la civilisation française peut-il être le même s'il est le fait d'un Français, d'un francophone, d'un non-francophone à un public européen, nord-américain, asiatique, africain, en France ou hors de France ?

Abdallah-Pretceille poursuit ces interrogations : ‘"Les théories de centration sur l'apprenant développées dans le cadre de l'apprentissage linguistique doivent-elles être considérées comme nulles et non avenues lorsqu'on aborde le domaine de la civilisation ? Une réponse négative impliquerait-elle une pédagogie construite sur un mode contrastif, par la prise en compte d'interférences ? Par contre, si le contenu varie en fonction du public récepteur, ne risque-t-on pas de sombrer dans un système de hiérarchisation des présentations et des approches ? Ne risque-t-on pas aussi de voir se porter au niveau de la civilisation le procès effectué au français fondamental considéré comme la diffusion d'un français second ou d'un sous-produit du français ?"283

En ce qui nous concerne, cet enseignement se déroule en France et, comme tel, se doit de correspondre à des objectifs précis d'intégration de l'apprenant dans une communauté linguistique et culturelle différente de celle dont il est originaire.

L'étranger, avant de venir en France, s'est déjà construit une représentation de ce qu'il va y trouver. L'objet de l'enseignement de la civilisation ou de la culture française sera donc essentiellement d'affiner les représentations qu'il s'est fabriquées, voire de les corriger, c'est-à-dire de les rendre plus fidèles à la réalité, afin de l'aider dans son ouverture à l'autre. L'enseignant, lui, devra respecter le vécu culturel de l'apprenant, tout en lui demandant, dans un but de respect mutuel, de respecter aussi celui de l'autre.

La définition de cet objet d'enseignement pose des problèmes éthiques qu'il va falloir également considérer, car il paraît aisé, sous prétexte de respect de l'altérité, de sombrer dans un relativisme culturel négatif qui ne permettrait par exemple plus d'exercer un regard lucide sur les grandes tragédies humaines du XXe siècle.

Notes
281.

MOUNIN, Georges (1963), Les problèmes théoriques de la traduction, Gallimard, Paris.

282.

ABDALLAH-PRETCEILLE, Martine (1986), "Approche interculturelle de l'enseignement des civilisations", in : PORCHER, Louis, La Civilisation, CLE International, Coll. Didactique des langues étrangères, Paris, pages 71 à 87.

283.

ABDALLAH-PRETCEILLE, op. cit., page 74.