I - 1 : Espace réel ou espace objectif

Peut-on parler d’espace réel, alors que de nombreux auteurs ont reconnu qu’il n’existait pas d’espace sans regard porté sur lui, regard subjectif et donc soumis à des facteurs qui sous-tendent sa complexité ? Ainsi, d’après Merleau-Ponty (1976), l’accès à un espace réel passe obligatoirement par la perception et c’est elle seule, et non les analyses conséquentes et les synthèses qui en découlent, qui nous permet de décrire le monde réel. ‘“ Il ne faut donc pas se demander si nous percevons un monde, il faut dire au contraire : le monde est cela que nous percevons ”’ (Merleau-Ponty, 1976, p. XI). Cette conception toute philosophique de notre environnement nie donc l’existence d’un espace réel hors d’un individu, hors du regard et de l’imagination humaine. ‘“ La chose ne peut jamais être séparée de quelqu’un qui la perçoit, elle ne peut jamais être effectivement en soi parce que ses articulations sont celles même de notre existence et qu’elle se pose au bout d’un regard ou au terme d’une exploration sensorielle qui l’investit d’humanité ”’ (Merleau-Ponty, 1976, p. 370). De même, Greco 1 tente de définir l’espace comme ‘“ tout ensemble de relations, qu’il s’agisse de la structure même de ces relations ou seulement du domaine, si abstrait soit-il, dans lequel elles sont contenues et (si possible) bien définies ”’.

Cependant, d’autres auteurs sont intimement persuadés de son existence, même s’il nous reste inaccessible. C’est le cas par exemple de C. Cauvin qui ‘déclare “ Cet espace existe nécessairement ”’ (Cauvin, 1999, p. 2) et le nomme espace “ chorotaxique ”. Il entoure l’homme et contient des attributs “ mesurables universellement ”, soit, pour une ville, des bâtiments, des commerces, la voirie... Dans cet espace, l’individu sélectionne des lieux et des chemins, ce qui entraîne des déformations telles que l’espace objectif sera oublié pour de nouveaux espaces qu’elle nomme “ espaces fonctionnels ” qui seront à leur tour modifiés par des motivations et déformés par des filtres culturels et individuels.

En conséquence, si l’espace réel n’existe pas en tant que tel, l’espace perceptif est le seul espace physique saisissable et s’assimile, à l’échelle de l’individu, à l’espace réel. Dans le cas contraire, l’espace réel ne nous apparaît que déformé à travers tous les filtres humains et l’espace perceptif en est le résultat. Ces deux théories reflètent deux approches du monde et des représentations. La première théorie, idéaliste, ‘“ considère que le monde est la traduction (l’illustration) d’un projet, d’une idée initiale, qui étant à son origine est alors primordiale et peut être souvent divinisée en tous les cas finalisée ”’ (Bachimon, 1997, p. 248). La seconde suppose qu’il y a autonomie entre le monde de la pensée et le monde matériel, et que la pensée peut appréhender ce dualisme : il s’agit de la théorie réaliste. Cette dernière nous est apparue la plus proche de nos propres conceptions de l’espace puisqu’elle affirme l’existence d’un monde concret qui reste à notre portée tout en relativisant le caractère objectif de la présente approche.

Notes
1.

Dailly R., Greco P. et alii, Approches psychopathologiques de l’espace et de sa structuration, PUF, Paris, 1978, p. 157 [cité par Coanus, Wittner, 1987, p. 14]