Fortement influencée par nos propres conceptions de l’espace, il apparaîtrait que cette conception par carte est spécifique à notre culture occidentale. C’est ainsi que Coanus et Wittner (1987) notent dans leur recherche sur le Maroc que pour les Marocains encore peu familiarisés avec un espace de type “moderne”, c’est-à-dire se déplaçant dans un espace urbain arabo-musulman traditionnel, le recours à une représentation mentale de type cartographique pour se déplacer d’un point à un autre est peu probable. Ce qui est important ce sont les repères et la direction, au-delà de ces considérations le chemin paraît aléatoire, tout au moins au niveau du quartier.
Plus largement, Giraudo (1989) pense aussi que la carte mentale cognitive n’est pas nécessaire. Pour le justifier elle cite Tvesky (1981) qui écrit que, pour surmonter la difficulté de mémoriser les positions exactes des localisations, le sujet utilise les principes d’organisation perceptive qui tendent à ramener les orientations aux seuls axes verticaux et horizontaux. D’après elle, ‘“ contrairement à ce que soutient Pailhous (1970, 1971), les sujets n’élaborent pas une image de l’espace urbain, mais connaissent à terme des itinéraires par coeur, ce qui conduit à une remise en cause de l’idée de l’image analogique ”’ (Giraudo, 1989, p. 51). Elle souligne même que la carte, qui est une sorte d’image, et donc qui n’est pas fixée mais en perpétuel renouvellement comme nous l’avons vu précédemment, ne présente pas d’enrichissement constant, tout au moins en ce qui concerne la précision des relations entre les éléments, et que la connaissance de la longueur des voies ne se traduit pas sous la forme d’une image qui ressemblerait à un plan. Giraudo ne conclut cependant pas à l’impossibilité de la carte mentale mais au fait qu’elle n’est pas nécessaire. Elle s’appuie aussi sur la théorie de Kuipers (1978, 1983) qui développe l’idée que les individus utilisent des “vues” pour reconnaître les lieux, ces derniers servant de noeuds auxquels sont rattachés une série d’informations. Le déplacement s’effectue le long des voies, les lieux et les rues sont une séquence d’actions et de vues se générant l’une l’autre. Le sujet n’a donc pas besoin de planifier ses itinéraires puisqu’il utilise une mémoire de reconnaissance grâce à laquelle il sait généralement où il se trouve.
Cependant, il reste possible, pour des individus ayant été à l’école essentiellement, de dessiner des cartes d’un espace connu directement ou non (quartier ou ville par exemple). Ces cartes correspondent en partie aux cartes mentales, elles en montrent les principaux caractères en mettant en évidence des lieux, des chemins et des places connus ou imaginés. Dans les pays du Tiers-Monde, le fait est que la nécessité de pouvoir dessiner et de savoir écrire exclut une importante partie de la population. La question de l’existence des cartes mentales ne peut donc être résolue pour une partie des individus. Mais on peut effectivement recueillir des cartes auprès d’individus alphabétisés et donc en étudier les structures.