I - 3 : Des approches de la mobilité quotidienne

C’est en 1973 qu’Hägerstrand a introduit une approche individuelle de la mobilité quotidienne en soulignant l’importance de la notion de “ programme d’activités ”. Il sépare dans un premier temps les individus des activités et relie, dans un deuxième temps, ces deux “ systèmes ”. Il aboutit ainsi, pour chaque individu à une représentation graphique “ géographico-temporelle ” le situant dans l’espace et dans le temps. Si l’on veut étudier des groupes d’individus, il faut alors passer par des profils types d’activités (Hägerstrand, 1978). Mais sa théorie se révèle problématique car le programme d’activités est difficilement utilisable, de par sa lourdeur, lorsqu’on étudie des groupes d’individus (Bieber et alii, 1992). De plus, la définition des profils types est peu explicite. Dans le cas où ils pourraient être identifiés, ces profils seraient très désagrégés, relevant de lieux et d’individus spécifiques empêchant par cela une analyse agrégée et transposable des données sur la mobilité quotidienne (Bieber et alii, 1992). Enfin, cette approche s’intéresse à des individus détachés de leur cadre social et du contexte, oblitérant ainsi les relations entre pratiques, certes individuelles, mais d’essence sociale, et systèmes spatiaux (Di Méo, 1999).

Depuis, l’étude de la mobilité a évolué notamment en termes de modélisation et de prévision des comportements. Les évaluations prospectives sont en effet au cœur des problématiques occidentales : prévoir la mobilité c’est prévoir des infrastructures, adapter les anciennes et essayer d’adapter l’offre à la demande par le biais de l’amélioration des dessertes en transports en commun par exemple. Notre approche est différente dans le sens où nous avons choisi de privilégier une orientation plus sociologique et analytique. Elle constitue d'ailleurs parfois un préliminaire à la modélisation des comportements, comme cela a été le cas pour l’évaluation d’un modèle stratégique sur Lyon (Raux et alii, 1997) et est développée par de nombreux chercheurs en France comme Orfeuil J.-P. (voir, par exemple, une étude de synthèse sur la France par Orfeuil et Troulay, 1989). Comprendre les comportements avant de les prédire, dans des régions où ils sont particulièrement mal connus, est le premier pas dans le processus de maîtrise de cet environnement. Mais la recherche en cette matière est encore largement insuffisante et réclame des développements en conséquence. Par exemple, Biros en 1983 (cité par Kane (1998)) notait qu’à cette date, au Sénégal, sur 57 études portant sur les transports urbains, seules 6 sont relatives à la mobilité. Or l’importance d’une telle approche est reconnue, puisqu’elle permet de connaître “ les ressorts culturels et comportementaux des populations ” que l’offre de transport devrait en partie satisfaire (Kane, 1998). Elle a aussi l’avantage d'être partie prenante des problématiques relatives à une compréhension globale de la société et de ses pratiques spatiales (Kane, 1997). ‘“ La démarche socio-économique de la mobilité, son cadre théorique et méthodologique, est pour nous la meilleure approche pour comprendre les rapports que les citadins nouent avec les villes à travers les transports ”’ (Rosales Montano, 1990). Elle est développée, par exemple, par Gervais-Lambony (1994), par L. Diaz Olvera, D. Plat ([1], 1998) ou X. Godard ([2], 1997) dans leurs recherches sur la mobilité quotidienne en Afrique de l’Ouest. Il faut noter que les recherches de ce type sont rares, la plupart des travaux effectués sur les pays en développement étant "technicistes" ou opérationnelles, tournées principalement vers l'offre de transport et sa productivité (Kane, 1999).

En définitive, l'approche choisie prend en considération les motivations des individus et les caractéristiques sociales qui sont indispensables à la compréhension des mécanismes des comportements. Elle cherche en fait à expliquer la mobilité quotidienne en fonction de facteurs socio-économiques et permet d’agréger les résultats au niveau de groupes sociaux et donc d’appréhender des comportements globaux. En effet, la mobilité urbaine quotidienne, dans une certaine mesure, révèle des attitudes de citadins et les relations de ces derniers avec leur environnement puisque ‘“ les pratiques de l’espace trament en effet les conditions déterminantes de la vie sociale ”’ (De Certeau, 1980, p. 179). Une approche par l’évaluation de budget-temps permet de mettre en évidence l’existence de programmes d’activités types ‘“ organisés en structures d’habitudes socialisées ”’. Une recherche des différences sociales permet, quant à elle, d’identifier certains écarts entre des comportements à l’aide de l’analyse des pôles d’activités “ travail ”, “ vie domestique ”, “ sociabilité et loisirs ” et “ vacances ” entre autres. Ces recherches interviennent ainsi dans la détection de caractéristiques discriminantes entre groupes sociaux (Abric, Morin, 1990). Globalement donc, la prise en compte des contraintes sociales, institutionnelles et individuelles complète l’analyse de la gestion journalière des déplacements et de leurs caractéristiques. Elle est donc ainsi l’outil d’une élaboration riche des interactions individus - espace qui s’inscrit dans des travaux plus généraux effectués sur les réseaux de relations en ville et l’influence de paramètres sociologiques sur les comportements urbains. Elle s’adresse donc, comme la modélisation, aux aménageurs urbains puisqu’elle décrit les stratégies des groupes de citadins et leurs évolutions afin de prévoir celles des grands centres urbains (voir, par exemple, Orfeuil, 1999).

La mobilité quotidienne, ainsi que les représentations spatiales, situent l’individu dans son contexte urbain, physiquement et mentalement. Or, l’un ne va pas sans l’autre : le citadin prend des décisions de déplacements en fonction de ce qu’il sait et de ce qu’il imagine de la ville, ces informations étant elles-mêmes modifiées par ses pratiques spatiales. Les deux notions sont donc fortement liées entre elles et permettent une approche globale des rapports hommes - espace.