La notion de quartier village

Cette notion pose des problèmes de par sa nature même, puisqu’elle superpose deux sens antinomiques. Le quartier est un fait strictement urbain : il est intégré à la ville et, par essence, ne contient pas en son sein l’ensemble des services que l’on peut trouver en ville. Or le village est autonome par définition et concentre un certain nombre de caractéristiques qui lui permettent d’exister hors du centre urbain. En ville, rares sont les quartiers comportant une pluralité de fonctions suffisant à limiter l’espace fréquenté des individus, et notamment des actifs. Une partie des activités des citadins doit se dérouler “ ailleurs ” en ville, ce qui réduit le quartier à un cadre relationnel (Grafmeyer, 1991). De plus, en ville, l’individu appartient à plusieurs groupes non constitués par la simple proximité spatiale mais plus par une communauté de goûts et d’objectifs et qui se rencontrent dans des lieux leur correspondant. Dans un village, au contraire, c’est le fait d’habiter ce lieu qui impose à l’individu des devoirs et des droits et qui l’apparente à la communauté qui y vit. La relation sociale y est donc imposée alors qu’en ville, l’individu a le choix, ce qui explique la multiplicité des situations dans un même quartier (Piolle, 1990). Malgré cela, on utilise souvent le terme de quartier - village pour définir des zones urbaines particulières dont nous allons ici décrire les qualités. Car, en fait, la métaphore villageoise semblerait se rapporter à l’image de la fixité, de l’immobilité, se traduisant à la fois par l’habitat et les routines, les habitudes que l’on développe sur cet espace restreint.

Le quartier - village n’est pas un lieu en soi mais un ensemble d’individus ayant “ choisi ”, en fonction de ses propres normes (et donc représentations), de concentrer ses activités là (Piolle, 1990). Ainsi, c’est sur ce lieu à la fois matériel et social que va se développer un sentiment d’appartenance à double sens (j’appartiens et il m’appartient) puisqu’il est réellement créé (Tizon, 1996). La place assignée à l’individu par la société serait alors confortée dans le quartier, alors qu’au contraire, un malaise supposerait un décalage entre représentations sociales et situation perçue individuellement. Ainsi, le quartier - village n’est pas simplement un mode de vie, c’est aussi une des représentations concrètes des schémas socio-économiques dans lesquels les individus évoluent (Di Meo, 1993).

En conséquence, il est avant tout un endroit familier où l’individu a des repères facilement identifiés et qui sert de miroir à sa propre identité (Noschis, 1984). L’environnement physique est alors ‘“ le support des liens affectifs qui se nouent entre habitants ” ’et entre l’habitant et un de ses espaces quotidiens. Il faut qu’il devienne un espace de rencontre avec ses voisins (Noschis, 1984). Car ‘“ l’appartenance à un quartier est un moyen d’intégration à la communauté, de participation à une vie de relations ”’ (Frémont, 1982, p. 72). Donc le quartier - village nécessite l’existence de relations sociales en son sein.

En Afrique, le quartier - village n’est pas obligatoirement peuplé de migrants ruraux mais souvent d’individus plutôt marginalisés qui, de fait, y trouvent un espace de sécurité contre une ville agressive et peu accueillante. Ainsi, on peut y trouver des ruraux ayant eu du mal à s’insérer, mais aussi des citadins qui vont qualifier leur quartier de “ village ” en opposition à la ville “ blanche ” (De Maximy, 1988). Un exemple typique de “ quartier - village ” est donné par Gibbal (1981, 1988) dans son étude sur le quartier de Fadjiguila, ancien hameau rejoint par la capitale Bamako et ayant servi de lieu d’accueil pour les nouveaux arrivants. Ce lieu s’est caractérisé longtemps, du fait d’une population particulière et d’un espace suffisant, par un habitat traditionnel conservé, par l’existence de groupes de rencontres informels basés sur l’âge ou le genre par exemple et par la similitude des espaces sociaux et fonctionnels pour les femmes. Ainsi, le mode de vie était hérité des traditions rurales. Les déplacements vers “ la ville ” étaient limités au minimum, réduits aux relations imposées, aux besoins quotidiens de travail et d’approvisionnement. Les ressources sur place étaient en effet particulièrement bien adaptées à la densité de population. Cependant, l’afflux constant de nouveaux habitants qui a diminué l’homogénéité religieuse et ethnique du quartier a fait éclater les systèmes ancestraux et a généré des tensions entre ses habitants. Les pouvoirs publics sont alors intervenus par des opérations de lotissement, de déguerpissement et d’assainissement qui ont remodelé le paysage urbain. En conséquence, les charges ont augmenté pour ces citadins qui se sentent exclus s’ils ne peuvent pas les assumer. Même s’il n’existe plus à proprement parler de “ quartier - village ”, le passé est sur-valorisé dans l’imaginaire.

En conclusion, les caractéristiques qui font généralement d’un quartier un quartier - village sont (Grafmeyer, 1994) :

En termes de populations, il correspond à des situations diverses. Il concernerait alors, par exemple, des individus enracinés depuis plusieurs générations dans un même quartier populaire, ou des communautés d’immigrants cherchant sur une zone réduite à retrouver les signes de leur identité ethnique ou religieuse (Grafmeyer, 1994).

En conséquence, cette concentration des activités occasionne une délimitation géographique des déplacements quotidiens et s’accompagne d’une connaissance plus précise d’un espace pouvant être parcouru relativement aisément à pied. Ce modèle de relations hommes - espace est loin d’être généralisable à toutes les parties de la population. D’autres individus ne connaissent pas aussi bien leur quartier, leurs activités se répartissent différemment et leurs représentations de la ville ne reflètent pas les mêmes préoccupations : d’une logique territoriale, on passe alors à une logique en réseaux.