I - 1 : L’individuel et le social

Le citadin ne peut qu’utiliser les informations qui sont à sa disposition, quelles qu’en soient les formes, et il se situe lui-même dans son propre environnement et non dans un imaginaire total. Cet environnement contraignant a été théorisé par Di Meo sous le nom de formation socio-spatiale et n’existe que par le fait que l’espace n’est pas uniquement un support matériel mais aussi culturel et social (Noschis, 1984). L’individu l’intègre inconsciemment et il sert en partie de support à ses représentations et à ses comportements (Tizon, 1996). Ces repères sociétaux sont confirmés par Sénécal (1992) qui indique qu’avant tout et malgré des possibilités individuelles bien plus étendues qu’il n’y paraît, l’individu se positionne par rapport au groupe auquel il voudrait appartenir. Mais l’individu est-il uniquement social ? Certes non, cependant les approches environnementalistes ne donnent que peu d’autonomie à l’individu par rapport à son environnement socio-spatial où l’espace et la société sont porteurs de beaucoup de sens. Le système est alors constitué d’une boucle : les acteurs agissent en fonction de stimuli spatiaux qu’ils déforment par leur action (Di Meo, 1987). En fait, les stratégies individuelles ne peuvent que se développer dans un champ des possibles largement déterminé par les structures sociales et spatiales (Di Meo, Pradet, 1996). L’individu y construit sa “ métastructure spatiale ” qui prend en compte alors un univers plus individuel mais toujours largement dépendant du contexte dans lequel il se trouve. Dans un contexte donné, l’individu n’a pas de réponses réellement originales aux situations qu’il rencontre puisque c’est dans ce contexte que se trouvent les possibles (Di Meo, sd.). Cette théorie est approuvée par Jodelet (Jodelet, 1982) selon laquelle ‘“ la trop grande variabilité, en extension et en qualité, des représentations individuelles remet en cause le déterminisme physique ”’ (Jodelet, 1982, p. 151). Ici aussi les normes et les prescriptions sociales de l’environnement permettent d’élaborer des pratiques et des représentations. L’espace urbain est alors avant tout un espace social. Les résultats de son étude sur Paris montrent d’ailleurs que ‘“ les significations strictement privées comptent pour peu dans l’organisation de l’espace ”’ (Jodelet, 1982, p. 152), ce qui explique l’homogénéité relative des réponses obtenues.

Cette approche ne supprime en rien le rôle du citadin et l’existence de stratégies privées créatrices d’espaces et d’événements. En effet, une approche plus behavioriste admet, sans nier l’approche environnementaliste précédente, une certaine liberté de l’individu par rapport au contexte social. La sociologie ne permet en effet en aucun cas de décrire l’ensemble des relations de l’homme à l’espace, elle contribue simplement à en expliquer certains aspects. La preuve en est la variété de ces relations, dans un contexte social parfois contraignant. Un autre élément probant est l’affectivité que chaque individu associe à des représentations : joie et tristesse, vivacité et hébétude par exemple (Merleau-Ponty, 1976). La liberté des individus consiste alors à contourner ou détourner des règles qui s’observent (De Certeau, 1980). Les ruses développées par les citadins quotidiennement relèvent de tactiques ou de stratégies traduisant la confrontation entre ces normes et ces valeurs à leur propres positions dans le système social. De Certeau (1980) utilise pour exemple les cheminements urbains qui, parce que l’individu peut faire des choix, peuvent être utilisés pour s’affranchir des systèmes urbanistiques. S’il est vrai que “ quelle que soit la part de la psychologie individuelle dans la formation de ces représentations, elles renvoient toujours à des référents sociaux, culturels et territoriaux ” (Di Méo, 1987, p. 580), l’individu socialisé s’adapte à son cadre, à ses conditions d’existence en effectuant des choix, au quotidien, rompant avec les routines normatives. C’est ainsi qu’il définit d’ailleurs sa propre identité. C’est pourquoi l’individu peut aussi développer des stratégies originales qui lui permettront d’être créateur de ses propres espaces. Cette possibilité est reconnue aux individus par les géographes (Tizon, 1996) : ils ont ‘“ la capacité (partielle et inégalement répartie) de créer, de choisir, de modifier des espaces de vie nullement imposés par l’origine familiale, une situation sociale, un “ choix ” matrimonial quelconque... ”’ (Tizon, 1996, p. 30). Dans ce contexte, l’individu a une certaine autonomie que lui confère sa personnalité, ses désirs, sa subjectivité (Di Meo, Anglade, 1996). En matière de représentations, cela revient à faire la distinction entre les représentations collectives (donnant "le" sens aux lieux) et les représentations individuelles à partir desquelles les individus développent leurs propres stratégies. La reconnaissance de cette autonomie complète en partie les recherches environnementalistes débouchant sur l’établissement de classes sociales et de rapports sociaux à partir des espaces vécus, et ce parce que la mise en valeur de la psychologie individuelle ne peut en aucun cas diminuer l’importance des référents sociaux, culturels et territoriaux.