II - Quelques facteurs explicatifs dans l’étude des représentations et des pratiques spatiales

Parmi les déterminants des pratiques et représentations spatiales, les plus couramment reconnus sont ceux liés aux rôles sociaux et économiques des individus dans leur société d’appartenance. Ces facteurs humains fonctionnels ou structurels permettent ainsi d’appréhender la rationalité des acteurs dans leur cadre de référence. Les exemples donnés sortent parfois du contexte culturel ouest-africain mais, sans prétendre aucunement à l’universalité des schémas identifiés, il est avéré que l’insertion culturelle et sociale de l’individu dépend, de façon générale, de son appartenance à des groupes, qu’ils soient sociaux, de genre, d’âge, de statut (Cuche, 1996). Ainsi, toute société repose sur ces clivages, c’est leur nature qui diffère. D’ailleurs les facteurs déterminants de la mobilité identifiés par Diaz Olvera, Plat et Pochet ([1], 1998) dans les villes africaines sont en premier le genre, puis l’âge et la position dans le cycle de vie et le statut socio-professionnel, de même que l’avaient remarqué d’autres recherches urbaines sur les pays développées.

Les caractéristiques familiales et individuelles sont partout reconnues comme déterminantes. Par exemple, l’âge et le genre de l’individu interviennent car ils sous-entendent des comportements différenciés. Elles ont ainsi été identifiées comme facteurs discriminants par Bruneau et Nzuzi (1985) dans leurs travaux sur la perception spatiale au Zaïre. Dans les travaux sur la mobilité il a été aussi reconnu que la répartition des rôles entre les hommes et les femmes influe sur les caractéristiques des déplacements (Godard, 1980). Les aires de proximité délimitées par les femmes, par exemple, sont plus vastes que celles définies par les hommes car elles se déplacent plus dans l’aire de résidence (Bailly, 1977 ; Haumont, 1980). Rosales Montano, dans son étude sur le Salvador, conclut, en parlant des femmes, que ‘“ leurs modes de vie et de travail, leurs contraintes culturelles forgent des schémas d’activités différents de ceux des hommes et donc des formes différentes de déplacements ”’ (Rosales Montano, 1990, p. VIII-11).

Un autre type de facteurs liés aux individus se rapporte à leur place dans un contexte culturel et économique, reflétée par des caractéristiques comme le niveau d’éducation ou le groupe social d’appartenance. Les catégories socioculturelles ont aussi été identifiées en tant que facteur influant les représentations spatiales comme le montre l’étude effectuée par Binet (1976) sur les jeunes d’Abidjan. Les variations de ces représentations ont été observées entre jeunes de milieux sociaux différents, notamment en ce qui concerne la connaissance des lieux culturels en ville, mieux connus des enfants issus des milieux favorisés que des plus pauvres. Ces milieux sociaux s’apparentent en partie à des catégories socio-professionnelles. En ce qui concerne la mobilité, on a pu observer en effet des différences entre les salariés et les non-salariés, les actifs et les inactifs par exemple (Diaz Olvera et alii, [1], 1998) .

De façon complémentaire, les différences de revenus génèrent elles aussi des relations hommes - espace variées. En ce qui concerne la mobilité, cette variable fait depuis longtemps partie des critères d’explication des comportements. Ainsi, au sujet de la mobilité quotidienne dans les pays africains, peut-on lire : ‘“ Les pauvres ont une mobilité réduite et l’on sait qu’en moyenne le niveau de mobilité est très dépendant du niveau de ressources disponibles ” ’(Godard, [2], 1997). C’est ce qu’observent Diaz Olvera et Plat (1997) à Ouagadougou et à Bamako par ailleurs. En outre, ce sont des ressources financières dont dépendent notamment les modes de transport accessibles et les activités pratiquées. Haumont (1980) remarque par exemple que les groupes sociaux les plus aisés sont ceux, entre autres, qui se déplacent le plus.

Les représentations spatiales dépendent également du moyen de transport utilisé, car l’espace perçu, vu, dépend en partie de la vitesse de déplacement (Virilio, 1984). L’automobiliste va ainsi remarquer surtout le devant de son véhicule, la route et ses éléments en proximité. Les éléments plus éloignés, qui ne bougent pas, comme les immeubles, attirent peu son attention. Les individus déforment aussi les échelles : l’espace se réduit. D’après une étude faite au Venezuela, ce sont les personnes en bus qui ont la perception de la ville la moins proche de la réalité, les automobilistes dressant des cartes nettement plus vastes et plus justes. Les utilisateurs de transport en commun ont moins de repères. Ces derniers sont essentiellement constitués des abris de bus et des stations de métro. Leur chronologie est linéaire et non ponctuelle comme celle des automobilistes. La question reste cependant, à ce niveau, de savoir si ces différences sont dues aux modes de transport eux-mêmes et à l’attitude des individus quand ils les utilisent ou aux différences sociales sous-jacentes (Bailly, 1977).

Une dernière catégorie de facteurs concerne les “ spécificités individuelles ” qui posent des problèmes en termes de recueil et de traitement des données (Cauvin, 1999). Car chaque individu a ses propres représentations et des comportements liés à l’impulsion et à l’intuition difficilement définissables même s’il semblerait que l’on puisse les rapprocher d’attitudes culturelles (Andan et alii, 1988).

En définitive, le revenu, l’âge, le genre, les catégories socioprofessionnelles constituent des exemples de caractéristiques individuelles influant sur les représentations et les pratiques spatiales. Mais ce ne sont pas les seules : nous pourrions ajouter la place dans le ménage, le lieu de résidence en ce qui concerne les travaux sur la mobilité quotidienne par exemple (Diaz Olvera, Plat, 1996). Aucune de ces variables ne suffit à elle seule à décrire l’ensemble des comportements de mobilité et des types de représentations spatiales. Dans leur étude sur la mobilité des pauvres de Bamako et de Ouagadougou, Diaz Olvera et Plat (1997) notent d’ailleurs l’hétérogénéité des comportements dans cette population, en fonction du genre, de l’âge, de la situation professionnelle et de la position dans le ménage. De plus, d’autres déterminants sociaux peuvent apparaître. Deux ont été peu étudiés jusqu’à présent, même si leur importance a été reconnue : les lieux antérieurement connus et la durée de résidence, que nous pouvons rassembler sous le nom de parcours migratoire.