III - 1 : Le rôle de l’expérience

L’expérience, le vécu, éléments essentiels de la personnalité de l’individu, ont une importance prépondérante dans l’élaboration des représentations spatiales car elles sont le résultat d’une mise en mémoire de lieux et de faits, comme nous l’avons vu en section I. Lynch le souligne ainsi dès les premières pages de son ouvrage : ‘“ Cette image [la représentation mentale] est produite à la fois par des sensations immédiates et par le souvenir de l’expérience passée, et elle sert à interpréter l’information et à guider l’action ” ’(Lynch, 1976, p. 5). De plus, Ledrut (1973) avait déjà reconnu que le vécu était une partie essentielle de la représentation spatiale urbaine. En amont de la représentation, au niveau même de la perception, Gibson, cité par Hall (1985), dans son étude sur la perception du monde visuel, souligne l’importance de la mémoire et de la vivacité des souvenirs. Ainsi, que ce soit au niveau de la représentation conceptuelle ou à celui de la représentation-interprétation, l’expérience qui modifie les connaissances et les informations joue un rôle. Elle a donc été utilisée comme facteur explicatif dans de nombreuses recherches sur les représentations spatiales. Nous pouvons citer pour exemple celle de Félonneau (1994) sur les cartes mentales d’étudiants à Bordeaux qui a inclus dans son analyse les espaces vécus par ces jeunes avant leur arrivée dans l’université (lieu de naissance, lieux d’enfance et d’adolescence).

De même, dans l’étude de la mobilité urbaine quotidienne, les expériences antérieures sont reconnues comme étant des éléments importants. Elles font ainsi partie des facteurs identifiés par Piolle (1979) au même titre que d’autres variables individuelles telles que le genre, la situation socio-économique et le statut de l’habitant. C’est pour cela que Merleau-Ponty peut écrire que : ‘“ Dans chaque mouvement de fixation, mon corps noue ensemble un passé, un présent et un avenir, il sécrète du temps, ou plutôt il devient ce lieu de la nature où, pour la première fois, les événements, au lieu de se pousser l’un l’autre dans l’être, projettent autour du présent un double horizon de passé et d’avenir et reçoivent une orientation historique ”’ (Merleau-Ponty, 1976, p. 277).

Une analyse de ce type est d’autant plus justifiée que certaines cultures ont tendance à mettre l’accent sur des représentations non physiques tandis que d’autres sont plus sensibles au phénomène de la perception. C’est ainsi que des individus avec des vécus différents sont susceptibles d’interpréter le même espace urbain de différentes façons (Gihring, 1975).