Déracinement et transformation des référents sociaux

Une autre expérience génératrice de pratiques et de représentations spatiales spécifiques est la rencontre avec des lieux dans lesquels l’individu ne peut utiliser ses repères sociaux et spatiaux antérieurs, des lieux où il va devoir, pour s’adapter, modifier ses relations avec les espaces urbains. Car, ainsi que l’avait déjà observé Koumba, ‘“ on peut s’attendre à ce que les stéréotypes du groupe propre et du groupe autre se modifient du fait du contact intergroupes ”’ (Koumba, 1992). Biguma et Usunier (1992) notent aussi que les hommes d’affaires bantous, influencés par plusieurs cultures, ont tendance à développer des comportements complexes. Ils imitent, copient des modes de vie qui leur paraissent plus efficaces. Ils vont par exemple acheter pour leur valeur symbolique des objets et se les réapproprier en leur ôtant leur valeur pratique (telle que la montre qui sera plus un bijou qu’une horloge). De même, dans une étude sur le retour des immigrés portugais dans leur pays, Silvano (1995) étudie les modifications des pratiques spatiales après un séjour à l’étranger. ‘“ [...] un émigrant de retour peut organiser son espace d’action (celui qui matériellement se trouve proche) en ayant comme référence l’espace du pays où il avait émigré (c’est-à-dire celui qui se trouve matériellement distant) ”’ (Silvano, 1995, p. 94). Il en résulte que son espace d’action va être un compromis entre les contraintes de son environnement actuel et les logiques construites lors de sa migration. ‘“ La mobilité [résidentielle] se traduit par une mobilité des références ”’ (Silvano, 1995, p. 94). Réussir ce compromis est un défi pour le migrant dans son intégration, qui peut se traduire par la création de nouvelles formes de codes et de comportements. De façon négative, cette migration longue distance peut ainsi se traduire par des phénomènes de déchirement affectif, de ruptures sociales difficiles à vivre pour l’individu (Brun, 1993). Ces travaux indiquent, en tout cas, que les changements sont possibles. Elles insistent cependant peu sur les modifications dans les caractéristiques socio-économiques de ces migrants à longue distance. Or leur séjour à l’étranger a pu se traduire par une amélioration de leur condition de vie, par un accroissement de leur famille, par des coupures avec le milieu d’origine avec lequel il est difficile de renouer. Tout concourt donc à ce que le migrant soit en partie “ décalé ” à son retour. Bien sûr, des changements s’opèrent aussi à l’intérieur même d’une société, sans contact avec une autre société parce que ‘“ ses représentations des valeurs et de l’espace, ses croyances et ses idées, transcendent très largement l’univers de sa métastructure socio-spatiale ”’ (Di Meo, sd, p. 16). Cependant, à la suite de Malinowski, nous supposons que le changement culturel vient essentiellement de l’extérieur, par contact culturel (Cuche, 1996), que ce type d’expériences, notamment quand elles se prolongent, induit une transformation profonde des critères sociaux influant sur les représentations spatiales et les types de traitement effectués sur elles.

L’influence des parcours migratoires est donc largement admise même si peu d’études, et notamment en Afrique de l’Ouest, ont été développées à ce sujet. Les travaux englobant les trois concepts (pratiques, représentations spatiales et parcours migratoires) sont d’ailleurs encore rares. Nous pouvons ici citer trois exemples qui illustrent les problèmes qui lui sont liés. Sur deux capitales africaines, Ouagadougou et Bamako, notre mémoire de D.E.A. (Clément, 1994) montre que les origines géographiques et le parcours migratoire interviennent de façon non négligeable sur les caractéristiques de déplacements, directement ou non mais sans aborder les questions des représentations spatiales. En revanche, à Niamey, on peut noter qu’une thèse (Sidikou, 1980) avait déjà abordé ce sujet mais en termes de représentations et non de pratiques quotidiennes. Enfin, Nkaya (1990) a présenté une thèse sur le thème ‘“ Images et pratiques de la grande ville au Congo’ ”. Son travail, bien que très intéressant, met peu l’accent sur les différences entre groupes sociaux et donne un aperçu relativement général des représentations de l’espace urbain. De plus, si les pratiques et les représentations spatiales sont bien illustrées, elles restent des éléments distincts et peu reliées entre elles. Ces quelques travaux montrent la nécessité de compléter les recherches actuelles par une étude globalisante sur les différentes thèmes abordés.