Les discours spatiaux

Les discours relatifs à l’espace permettent l’analyse des sens des lieux plus que celle des formes spatiales (Gilbert, 1986). Le jugement exprimé alors ne fait pas partie en lui même des représentations spatiales : c’est un traitement effectué sur elles qui permet de donner une valeur ou de comparer (Richard, Richard, 1993). Il utilise donc les représentations et devient l’un des moyens de les mettre en évidence.

Ces discours peuvent être le fait d’architectes, de politiques, de géographes. Leur étude est riche puisqu’elle permet de mettre en évidence des représentations spécifiques d’intellectuels façonnant structurellement l’espace urbain et que les données prennent des formes particulièrement variées : écrits, discours publics, lettres par exemple. Mais elle est restrictive puisque leurs discours sont le fait d’une élite culturelle et d’un groupe particulier ne reflétant pas en fait la pluralité sociale des représentations spatiales (Gilbert, 1986). Nous avons donc choisi, afin d’élargir l’échantillon, de nous intéresser à des citadins, hommes de la rue que nous avons interrogés sur des espaces dans la ville car les méthodes en vis-à-vis constituaient l’unique moyen pour nous d’aborder leurs représentations. Selon la méthode employée par Gihring en 1975 (Gihring, 1975), les enquêtés n’ont pas été restreints à la seule forme physique des éléments urbains. Puisque les entretiens étaient semi-directifs, les individus étaient libres d’employer les valeurs et les formes de cognition qu’ils désiraient. Cette technique a deux avantages (Gihring, 1975). Tout d’abord elle ne nécessite pas de compétences particulières en dessin ou en conceptualisation sous forme de plans. Ensuite, du fait de la méthode choisie de questions ouvertes, la variété des réponses et des choix exprimés peut être étudiée en tant que variable indépendante dans l’analyse des caractéristiques de ces populations.

Soixante entretiens ont été effectués en 1996. Quant à leur analyse, il nous faut remarquer que, du fait qu’il a fallu recourir parfois à une traduction et que le français reste une langue étrangère pour les enquêtés, nous ne pouvons pas effectuer une analyse de la forme et de la structuration du discours. Nous nous sommes donc intéressés à la formalisation de la pensée relative à l’espace, de la même façon qu’a procédé Gilbert (1986) dans sa recherche sur l’espace dans le courrier des lecteurs d’un journal canadien. Cette méthode a l’intérêt d’informer non seulement sur le contenu manifeste mais aussi sur le contenu latent qui donne du sens aux représentations spatiales. L’analyse de ces entretiens aura donc pour objectif de mettre en évidence des thèmes prioritaires constitutifs des représentations et leurs associations éventuelles sans s’attacher au vocabulaire spécifique employé. Les thèmes ou unités de sens ont été préalablement identifiés dans chaque entretien, sans que soit retenue leur fréquence. En effet, la fréquence d’un thème dépend, à notre sens, autant de son importance pour l’individu que de la forme qu’a prise l’entretien. Dans la mesure où les entretiens effectués étaient semi-directifs, nous préférons, par prudence, ne pas en tenir compte. Les articulations des thèmes identifiés ont été révélées par des analyses factorielles qui ont permis de mettre en évidence les cohérences des discours.

Même si les entretiens comportaient de nombreuses interrogations relatives à l’ensemble des unités spatiales présentées ci-dessus, seules deux d’entre elles ont retenu notre attention, pour des raisons de temps notamment. Il s’agit de la ville et du quartier d’habitation. Dans les questions qui les concernaient, nous nous sommes concentrés sur celles se rapportant aux représentations : description des changements observés, comparaison avec d’autres lieux connus, expression d’opinions, de critiques par rapport à ces espaces. Il a aussi été demandé aux enquêtés, dans la mesure du possible de comparer la ville avec leurs anciens lieux d’habitation.

Mais cette méthode pose divers problèmes (Abric, [2], 1994). Elle nécessite tout d’abord de la part de l’enquêté une certaine maîtrise du langage. De plus, elle met en œuvre des mécanismes de censure et de filtrage de l’information divulguée que l’enquêteur ne peut pas totalement contrôler. Les méthodes d’analyse des contenus sont elles aussi remises en cause car les interprétations sont souvent subjectives. Bref, les entretiens ne peuvent se suffire à eux-mêmes. Non avons donc choisi de les compléter, d’une part, par des cartes mentales et, d’autre part, par une enquête-ménages.