I - 3 : Partir en Occident

Dans le cas des migrations ouest-africaines, l’influence de l’Occident est prépondérante. Tout d’abord la colonisation a modifié à la fois la répartition des individus, les rapports économiques et les institutions. Elle est donc à l’origine de nombreux déplacements actuels, notamment pour des motifs économiques. Ensuite ces pays constituent une partie du rêve que peut représenter l’accession au confort, à l’équipement et au progrès symbolisé par les villes modernes et les pays du Nord.

Longtemps les migrations ouest-africaines vers le Nord ont été bipolaires car intimement liées au passé colonial et aux affinités linguistiques des pays. Elles étaient donc essentiellement dirigées vers les anciens pays coloniaux comme la France ou la Grande-Bretagne. Mais les destinations commencent à se diversifier et les parcours deviennent de plus en plus complexes. Il n’existe plus d’itinéraires simples et si nous présentons ici les différents pays d’accueil, il faut garder en mémoire le fait que, généralement, un migrant louvoie entre eux. Néanmoins, la corrélation entre les espaces coloniaux et les pays d’accueil reste frappante, notamment en ce qui concerne la France (Robin, 1994).

Les migrations Sud-Nord sont des migrations récentes car elles ont réellement pris de l'importance à partir de la fin des années cinquante. En effet, en 1954 on ne compte que 2 300 Africains en France, soit 0,1 % de la population étrangère. Mais, dès 1962, ils sont près de 17 800 (soit 0,8 % de la population étrangère) (Diop, 1993). Car c’est à cette époque que les migrations en Afrique commencent à se montrer moins gratifiantes financièrement (Adams, 1977). Les zones de culture d’arachide s’épuisent, le travail agricole se mécanise et la main d’oeuvre non qualifiée est de moins en moins demandée. Les possibilités d’emplois s’amenuisent. De plus la fermeture de certaines frontières comme celles entre le Mali et le Sénégal en 1961 provoque la réorientation des migrations. Le Zaïre avait, lui aussi, constitué une destination privilégiée, notamment pour les commerçants et les trafics de pierres précieuses. Cependant, à la même période, pour stopper ces malversations, ce pays a expulsé ses ressortissants étrangers. Ainsi les courants de travailleurs se sont naturellement dirigés vers la France où l’on pouvait observer à l’époque une forte demande de main d’oeuvre. En effet, d’une part, les Nord Africains, suite à la guerre d’Algérie, devaient être remplacés et, d’autre part, les Africains ont pris la place à partir de cette période des travailleurs Sud Européens dans des postes semi ou non qualifiés. Les Ouest-Africains ont alors commencé à profiter de ces nouvelles opportunités qui s’offraient à eux. De ce fait, pour certains pays comme le Mali (Adams, 1977) dans les années 70, la France était devenue la destination principale des travailleurs, au détriment des autres pays d’Afrique.

A partir de ce moment, l’amélioration des moyens de communication, d’information et de transport entre pays développés et sous-développés a intensifié les échanges Sud-Nord (Jenny, 1987). Les destinations privilégiées restent l’Europe, même si l’on peut observer des expatriations vers les Etats-Unis, où, à l’instar de l’Europe, il s’est créé de véritables réseaux d’accueil des nouveaux arrivants. Le cas des migrants sénégalais à New York est dans ce cadre exemplaire. Les premiers commerçants ayant migré dans les années 80 favorisent l’arrivée de nouveaux expatriés en servant de relais social et professionnel, ils permettent ainsi l’alimentation des flux entre les deux pays (Ebin, 1992 ; Ebin, Lake, 1993). Ce phénomène peut s’illustrer aussi par exemple par cet article de l’hebdomadaire nigérien Le Républicain du 1er avril 1999 : ‘“ Cela fait déjà des années que l’on savait qu’il y avait des Nigériens - surtout adultes - aventuriers installés aux Etats-Unis. Mais aujourd’hui plus que jamais, ce sont les jeunes scolaires qui veulent suivre les traces de leurs aînés [...]. Beaucoup de jeunes fréquentant le secondaire principalement se sont débrouillés on ne sait comment pour être déjà sur place. Parmi eux, certains ont commencé déjà à envoyer de l’argent à leurs familles. Et c’est cela qui attire les autres jeunes restés sur place et les fait rêver constamment. Cela a entraîné plus d’un à abandonner ses études. [...] A cette véritable épidémie est venue s’ajouter celle de la ruée vers le Canada. [...] ”’ (Le Républicain, 1er avril 1999, p. 3). Mais les migrations hors d’Europe restent globalement encore très minoritaires.

En 1993, les Africains représentaient 17 % des étrangers en Europe, mais seulement 14 % d’entre eux sont issus d’Afrique de l’Ouest. En effet, ce sont les maghrébins qui forment le plus gros contingent des étrangers (64 % du total sur le continent). Mais si l’on considère uniquement les migrants originaires d’Afrique sub-saharienne, plus de la moitié d’entre eux est ouest-africaine (Eurostat, 1995), ce qui souligne l’importance de ce flux migratoire au sein du sous-continent.

Au sein des Ouest-Africains en Europe, en 1993, les Nigériens sont très minoritaires puisqu’avec 5 066 individus ils ne représentent que 1 % de cet ensemble, loin derrière les Ghanéens, les Sénégalais et les Nigérians (Eurostat, 1995). A l’échelle de l’Europe, ce chiffre peut paraître insignifiant mais la majorité des Nigériens est concentrée sur un nombre restreint de pays, principalement la France, la Grèce et l’Italie (carte 2-2).

source : Eurostat, 1995

L’origine d’une telle répartition repose non seulement sur l’héritage colonial mais aussi sur de nouvelles contraintes politiques, économiques et législatives (Robin, 1992). On a pu ainsi observer un redéploiement des migrants sur le Sud de l’Europe. Ils passent alors par ces espaces de transit avant de se diriger vers des pays d’accueil traditionnels (Robin, 1994). L’Italie, la Grèce et l’Espagne dans une moindre mesure constituent, de ce fait, de nouveaux tremplins vers la France. L’Italie n’est apparue par exemple en tant qu’espace potentiel d’immigration que depuis les années 80 alors qu’auparavant la France est le premier pôle attractif au niveau de l’Europe. Du fait de leur fonction de passage transitoire, les séjours dans ces pays du Sud sont temporaires : les migrants y ont peu accès au marché local de l’emploi et les familles n’envisagent pas de les rejoindre, contrairement à ce qui se passe dans d’autres pays comme la France où l’importance du regroupement familial marque la volonté d’un séjour de longue durée. Les migrations vers l’Allemagne sont quant à elles liées en partie aux conséquences de la réunification et à l’image de puissance économique du pays en Europe. L’apparition de ce pays en tant que pays d’accueil est donc, elle aussi, tardive (Robin, 1994).

Il y a en conséquence ramification des itinéraires en Europe même si, globalement, la France reste la destination principale des migrants, avec, depuis 1991, l’Italie et la Grèce. L’attrait constant des Nigériens pour la France se montre aussi par la régularité de leur présence dans ce pays. Leur nombre est en effet passé de 630 en 1975 8 , à 1 034 en 1992, ce qui représente une augmentation de 64 % sur 18 ans (source : Ministère de l’Intérieur). Cependant les installations définitives y sont rares et, même s’ils doivent attendre la retraite, la plupart des migrants désire revenir dans leur pays d’origine. Dans ce cadre, quelle est la place de Niamey dans leur parcours ? Pour les migrants ruraux comme pour les migrants vers l’Occident, l’attrait de la grande ville ne se dément pas et c’est dans la capitale que, finalement, vont se rejoindre les deux flux.

Notes
8.

Il est impossible d’accéder à des données antérieures car avant 1974 les travailleurs immigrés issus des anciens pays colonisés n’avaient pas à posséder ni titre de séjour, ni titre de travail. Ils devaient se soumettre uniquement à un contrôle médical de l’Office National d’Immigration. Après 1974, ils sont assimilés aux autres immigrés et doivent, avant leur arrivée, obtenir une carte de séjour avec la mention “ travailleur salarié ” s’ils veulent exercer une activité professionnelle (Rêves d’en France, 1979).