I - 2 - a : Référents sociaux des discours sur l’espace urbain

A l’issu de notre analyse des discours relatifs à la ville de Niamey, il est apparu cinq types de référents (tableau 3-3). Le détail de l’analyse peut être consulté en annexe 5. Ils permettent d’évaluer l’environnement vécu au quotidien. Or, ils sont clairement élaborés à partir du vécu spatial de l’individu puisqu’il s’agit essentiellement de points de comparaison entre ce que l’individu a connu auparavant et ce qu’il vit quotidiennement. Nous avons donc observé des oppositions ville/village, ville africaine/ville occidentale, passé de Niamey/présent de Niamey. Autres référents dans les discours sur la ville, les exigences de l’individu par rapport à son espace en ville, au niveau social et matériel, servent à exprimer les regrets ou les satisfactions liés à sa situation actuelle. Le référent est alors directement l’image que l’individu se fait de sa place dans la société au sein du groupe social duquel il revendique l’appartenance.

Type de référents Référents abordés dans les discours sur la ville
Référents passéistes - agrandissement et lotissement dans le bâti
- dégradation des moeurs
- Niamey, c’est ma ville
- la vie est plus difficile économiquement qu’avant
- Par rapport à avant, perte de la solidarité
Référents occidentaux - déficiences en services publics, sociaux et de loisirs par rapport à l’Occident
- les gens n’ont pas de sens civique
- La solidarité existe plus qu’en Occident individualiste
- Les mentalités sont mieux qu’en Occident
- arrivée de la démocratie
 
Référents ruraux - la vie est plus facile en ville qu’au village
- à la campagne, on a moins besoin d’argent
- on peut trouver du travail à Niamey
- il y a moins de solidarité qu’au village
- au village, je suis chez moi
 
Référents urbanistiques - amélioration de la voirie
- dégradation de la voirie
- modernisation du bâti
- absence de services publics, sociaux et de loisirs
- présence de services publics, sociaux et de loisirs
 
Référents relationnels - importance de la proximité familiale
- trop de politique
- importance de la proximité des amis
- La solidarité existe
- il n’y a pas de solidarité
- il n’y a plus de solidarité
- problèmes des vols et de la délinquance

Ainsi, parmi ces cinq types, trois font directement appel au vécu spatial antérieur ou à l’image que l’individu peut se faire de lieux connus ou non (référence à l’Occident, au village ou au passé de la ville). Deux autres rassemblent des éléments présents discriminants, de l’ordre de l’urbanisme et du relationnel.

  • Les référents passéistes. Il s’agit ici d’une représentation de la vie en ville telle qu’elle était “ avant ” ou telle que les individus pensent qu’elle était. En général, ils estiment que les valeurs anciennes ou traditionnelles (solidarité et bonnes moeurs) ont disparu :
    Les enfants sont devenus têtus, ils n’écoutent pas ce qu’on leur dit (entretien n°10 ; Deizeibon).
    Il y a le développement de la prostitution, tout cela ce n’est pas des choses qu’on connaissait ici, peut-être en raison du régime autoritaire qu’il y avait (entretien n°43 ; Terminus).
    Néanmoins, ils reconnaissent que Niamey s’est fortement modernisée dans son aspect extérieur :
    ‘Il y a eu des constructions d’immeubles comme les Sonara, il y a beaucoup de nouveaux bâtiments et la ville a beaucoup grandi’ (entretien n°25 ; Nogaré).
    En fait, ce thème regroupe les références à un passé socialement valorisé :
    ‘[...] Si ce n’est qu’avant la vie était communautaire, il y avait de la solidarité. Maintenant, se développe un individualisme, ce qui n’est pas bon. C’est pour les Occidentaux’ (entretien n°31 ; Banifandou).
    Ceux qui utilisent ce type de référents habitent une ville dans laquelle ils ont du mal à se reconnaître actuellement par rapport au village niaméen.
  • Les référents occidentaux. Les individus vont comparer leur ville à un Occident vécu ou imaginaire. La ville, et plus généralement leur culture africaine, sont alors valorisées par rapport à l’individualisme occidental :
    ‘En Occident, il y a un individualisme renforcé qui est pire qu’à Niamey et en cas de problème, on est seul’ (entretien n°17, un villageois n’ayant jamais été en Occident ; Gaweye).
    Néanmoins, la comparaison est en faveur de l’Occident en ce qui concerne les services urbains ou le civisme des citadins :
    ‘J’aurais voulu trouver [à mon retour de migration en Occident] les routes goudronnées, avec le tout-à-l’égout, avec les lampadaires partout. ça n’a pas été le cas et il y a eu des problèmes’ (entretien n°53 ; Lamordé).
    [...] Les gens ne sont pas disciplinés. Par exemple ils ne jettent pas leurs ordures dans les dépotoirs (entretien n°26 ; Lamordé).
    Ils se félicitent de l’arrivée de la démocratie au Niger, autre référence à l'Occident :
    ‘Il y a aussi la démocratie : Il existe un débat d’idées dans ce pays qui se construit’ (entretien n°22 ; Plateau).
  • Les référents ruraux. La vie au village (passée et vécue réellement et/ou de façon imaginaire) constitue un fort point de comparaison. Elle reste très valorisée lorsqu’il s’agit de sociabilité car la ville est diabolisée en termes de moeurs :
    ‘Au village, on vit comme en communauté. Ici, c’est chacun pour soi ’(entretien n°17 ; Gaweye).
    ‘Au village, quand on a du travail, tout le monde le fait. A Niamey, il faut le faire soi-même, à moins de payer quelqu’un. Si on n’a pas d’argent, il ne faut pas compter sur l’aide de quelqu’un. C’est pareil dans tous les centres urbains’ (entretien n°28 ; Bandabari).
    ‘Elle l’est aussi d’ailleurs en ce qui concerne le cadre de vie :
    Je préfère un village plus calme, plus sain’ (entretien n°49 ; Lamordé).
    La vie au village est cependant difficile puisque le travail y est rare et pénible, les revenus plus aléatoires qu’en ville :
    ‘Au village, il y a beaucoup de travail. Les hommes comme les femmes se reposent peu. Le soir, même en fin d’après midi, on ne trouve personne à la maison, tout le monde est aux champs, surtout à la saison des pluies. Alors qu’ici c’est l’heure de la descente, les gens rentrent chez eux, prennent une douche, se reposent. Au retour, par manque de temps, on peut même prendre sa douche aux champs. Dès le retour, pratiquement, les gens se couchent’ (entretien n°38 ; Plateau).
    ‘La vie au village, c’est bien quand il y a de la nourriture. Sinon, ce n’est pas supportable, c’est dur, très dur. Tandis qu’à Niamey, si on a de l’argent, on peut acheter à manger’ (entretien n°9 ; Banifandou).
  • Les référents urbanistiques. Dans ce cadre, la ville existe en tant qu’espace physique particulier. Tout d’abord, les individus observent l’évolution de la voirie et des bâtiments :
    ‘Il y a aussi une avancée des éléments d’assainissement : plus de caniveaux et de pavages, comme par exemple le rond-point 6ème. 70 % des mauvaises voies ont été aménagées’ (entretien n°30 ; Boukoki).
    ‘Avant, il y avait beaucoup de maisons en banco, maintenant il y a des cases en ciment’ (entretien n°5 ; Plateau).
    Ensuite, ils attachent de l’importance à la présence ou à l’absence de services urbains publics (hôpitaux, mairies, transports en commun) ou privés (les marchés) :
    ‘C’est un drame si on n’a pas de voiture particulière. Car le service public et privé est inexistant. C’est un calvaire de prendre un taxi, il y a des quartiers qui ne sont pas desservis ou les taximen disent ne pas connaître la route (entretien n°22 ; Plateau).
    A l’étranger, tout le monde est identifié par un numéro de Sécurité Sociale. Si quelque chose arrive, on est pris en charge. Ici, chacun doit se débrouiller, si on a un accident du travail par exemple, et c’est dommage.’ (entretien n°4 ; Plateau).
    Le concept de ville renvoie alors à des réalités observables concrètement.
  • Les référents relationnels. L’individu se positionne dans la ville par rapport aux relations qu’il y développe. La sociabilité en règle générale, et la solidarité en particulier, sont évaluées, l’accent est mis sur la proximité des amis et de la famille, en bien ou en mal :
    ‘Ce qui me déplaît à Niamey, c’est que mes parents ne sont pas là, contrairement à la campagne où ils sont à côté (entretien n°1 ; Plateau).
    Ce qui me plaît à Niamey, c’est qu’il y a des centres de distraction, c’est agréable, les boîtes, les amis pour discuter et jouer à la belote’ (entretien n°37 ; Plateau).
    ‘Les gens vivent un peu au-dessus de leurs moyens. Ils ne font même pas une bonne gestion de leurs revenus et ils se laissent trop avoir par ce que l’on appelle le social ici. Une fois que vous commencez à travailler, il y a des personnes que vous connaissez qui vous soumettent des problèmes qu’ils ont et que vous êtes amenés à résoudre. Ils les ont créés par leur mauvaise gestion’ (entretien n°49 ; Lamordé).
    Lorsque le sentiment d’isolement affectif et relationnel est trop fort, il peut s’accompagner d’une forte sensation d’insécurité :
    ‘A Niamey, je suis dans mon coin, assez isolé, ce n’est pas tout un chacun qui est au courant de mes problèmes, de mes soucis, pas comme au village. Là c’est petit, c’est restreint. Dès qu’il y a quelque chose qui arrive à une famille, tous les voisins sont au courant, c’est vite fait’ (entretien n°25 ; Nogaré).
    Au contraire, lorsque le réseau social est plus dense, l’individu va développer un sentiment de bien-être, de familiarité envers son environnement :
    ‘Ce qui me plaît, c’est la sociabilité des gens, qui reste (entretien n°26 ; Lamordé).
    Je suis né là, à Niamey, donc ça me plaît. J’y ai mes amis, des connaissances, plus qu’ailleurs’ (entretien n°14 ; Kalley).
    La critique de Niamey est ici relative à la sociabilité de l’individu.

Ces cinq types de référents s’articulent autour du thème central de la ville de Niamey et constituent une grille de lecture des représentations urbaines. A l’aide de celle-ci, nous mettons ainsi en valeur la variété des représentations spatiales chez les Niaméens.