III - 1 : Un espace voulu familier et sûr

Les premières questions relatives au quartier d’habitation dans l’enquête-ménages portent sur le choix, parmi huit caractéristiques proposées, des trois les plus importantes pour un quartier. Ces huit qualités étaient :

  • - on a des parents et des amis comme voisins ;
  • - il y a des commerces et des écoles ;
  • - le quartier est à proximité du lieu de travail ;
  • - le quartier est sûr ;
  • - on dépense peu d’argent pour se loger ;
  • - il y a de la place dans les concessions ;
  • - on est raccordé aux réseaux d’eau et d’électricité ;
  • - le quartier est calme.

Etant donné qu’il n’a pas été demandé aux individus de classer par ordre de préférence les qualités importantes d’un quartier d’habitation, les informations à notre disposition concernent le nombre de réponses par qualité et les groupements reflétant les plus larges consensus. L’ensemble forme alors une “ image moyenne ” des différentes attentes des Niaméens vis-à-vis de leur quartier.

C’est la proximité des amis et des parents qui apparaît comme préoccupation première puisque 64 % des individus l’ont placée parmi les trois principales qualités d’un quartier. Elle est suivie de la sécurité dans le quartier (tableau 3-7). Ces deux caractéristiques montrent l’importance du sentiment de familiarité “ sociale ” dans l’espace de proximité. Il est important d’y être connu et reconnu puisque ces relations fondent l’identité du citadin. Mais, plus encore, cette proximité aux réseaux de sociabilité assure, au quotidien, la tranquillité du quartier et un secours éventuel rapide en cas de difficultés (Fall, 1991).

On retrouve ensuite des caractéristiques liées à la qualité de vie dans le quartier et dans la concession : la proximité des commerces, les raccordements aux réseaux d’eau et d’électricité, le calme dans le quartier. Il s’agit ici de qualités non associées à la sociabilité a priori.

Les qualités les moins citées correspondent à des situations spécifiques concernant des problèmes de promiscuité (la qualité attendue est alors de la place dans la concession) et de ressources financières (ils désirent un logement à moindre coût). La proximité du lieu de travail n’est citée qu’à 22 % car elle ne peut concerner que des actifs.

Qualités attendues % / total des individus
Voisinage des parents et amis 64
Sécurité du quartier 48
Proximité des commerces 38
Raccordement aux réseaux 37
Calme dans le quartier 37
Place dans la concession 28
Modicité du prix du logement 27
Proximité du lieu de travail 22
Note : les % représentent la proportion d’individus ayant cité cette qualité parmi les trois choisies.

En conclusion, une seule des qualités rassemble plus de 50 % des réponses, ce qui reflète la relative disparité des réponses. La combinaison la plus souvent citée est la suivante : proximité des amis et des parents / sécurité dans le quartier / calme dans le quartier. Elle est choisie par 93 individus, soit 7 % de l’échantillon, ce qui peut paraître peu mais montre l’intérêt des Niaméens chefs de ménage et épouses pour un environnement peu animé tout en étant socialement dense. L’étude des autres combinaisons de réponses révèle l’existence d’attentes différentes.

Pour les évaluer, une première analyse factorielle des correspondances 14 a été effectuée sur l’ensemble de la population et sur l’ensemble des variables caractéristiques du quartier d’habitation (graphe 3-4). La particularité des réponses citant la proximité du lieu de travail, alors que c’est la caractéristique la moins citée et qu’elle occupe une place singulière sur le second axe, montre qu’il est nécessaire d’effectuer une seconde analyse factorielle (graphe 3-5), en l’éliminant. Les axes significatifs sont les deux premiers sur la première analyse et les trois premiers sur la seconde. Le premier axe des deux plans d’analyse sont équivalents, renforçant de fait la cohérence des résultats. Les deuxièmes axes sont également comparables puisque celui de la seconde analyse précise le sens de celui de la première. Quant au troisième axe, il permet de nuancer certaines observations.

Le premier axe de chacune de ces analyses révèle la même opposition entre un quartier tranquille (associé aux qualités de “ calme ”, de “ sûr ”) et un quartier animé, voire populaire. Dans le premier cas, les individus expriment le souhait d’un quartier d’habitation anonyme, effacé, en retrait, où la sociabilité (de rue ou personnelle) ne se manifeste pas. L’environnement immédiat n’est pas matérialisé, il reste un espace sans fonctions (ni relationnelles, ni commerciales, par exemple). Dans le second cas, le quartier est caractérisé notamment par la présence de commerces qui conditionnent la présence d’individus dans la rue et il reste associé à une certaine pauvreté, confortant son aspect populaire. L’individu donne de l’importance à l’environnement de sa concession, qui est un espace concret et vivant. L’habitant est alors non plus replié sur son habitat mais, au contraire, ouvert sur le quartier. L’ensemble peut également renvoyer à une opposition entre quartier dense (et animé) et quartier aéré (et calme). Ces attentes ont d’ailleurs été identifiées par d’autres auteurs étudiant les représentations spatiales du quartier d’habitation. Ainsi, par exemple, Gervais-Lambony note, sur Lomé, que ‘“ deux attitudes face à la ville semblent s’opposer : celle de ceux qui aiment la ville pour son agitation et son animation (ils souhaitent habiter au coeur même de cette agitation, dans des quartiers vivants et centraux) et celle de ceux qui cherchent le calme (ils souhaitent résider dans des quartiers tranquilles, en général périphériques) ”’ (Gervais-Lambony, 1994, p. 339). Elles font également partie des critères relatifs au quartier identifiés par Kane (1999).

Le deuxième axe de la première analyse (graphe 3-4) oppose des attentes urbaines à des attentes villageoises. Les premières illustrent des préoccupations liées au nouvel espace urbain et plus modernes. En effet, habiter à proximité de son lieu de travail devient un problème lorsque celui-ci se trouve dans une partie de la ville peu résidentielle ou peu accessible à des revenus modestes. Or, la dissociation des espaces d’activités constitue une contrainte spécifiquement citadine puisque le contexte rural favorise au contraire leur proximité spatiale à l’intérieur du village et puisque, les champs se situant toujours en dehors de son enceinte, la distance géographique entre habitat et lieu de travail ne peut évoluer. De même, le raccordement aux réseaux d’eau et d’électricité n’est envisageable que dans une ville, le milieu rural en étant généralement dépourvu. A l’opposé, les seconds types d’attentes insistent sur le calme dans le quartier et sur le voisinage des parents et des amis. Or la juxtaposition de ces deux attentes caractérise plus un milieu villageois où les problèmes de densité générant bruit et inconfort existent moins et où la sociabilité est nécessairement de proximité.

L’axe 2 de la deuxième analyse factorielle (graphe 3-5) oppose, en complément, des préoccupations liées à la qualité du logement (via la place dans la concession et le raccordement aux réseaux) à des préoccupations liées à la qualité du quartier et notamment à l’ambiance calme et sûre. Les attentes liées à la concession mettent en évidence des problèmes de promiscuité et de confort moderne. Elles reflètent donc le désir de s’éloigner du quartier traditionnel (animé ou socialement dense) et relèvent donc d’une certaine individualisation des représentations, si l’on se rapporte à Lorenzi-Cioldi (1988). Les citadins jugeant important le raccordement aux réseaux, ou la place dans la concession, font référence à une image de surpopulation ou de non modernisme des concessions de la capitale, et ils revendiquent une spécificité par rapport à elle. Dans ces représentations, la référence centrale est l’individu lui-même par rapport à ses propres objectifs et non par rapport aux autres individus. En revanche, les attentes relatives à la qualité du quartier indiquent une démarche inverse. Le désir de calme et de sécurité dans le quartier sert à exprimer celui d’une sociabilité plus dense, par rapport aux individus préoccupés par la qualité de leur logement. La proximité des parents et des amis et le calme dans le quartier figurent une sociabilité de proximité personnalisée. Le calme, loin d’être synonyme d’isolement, renvoie en fait à l’augmentation de la familiarité du citadin avec son quartier, où il est reconnu. Ces individus semblent appartenir à des groupes dominés 15 construisant une représentation liée à leurs relations avec autrui (Lorenzi-Cioldi, 1988, p. 57) ou avec d’autres groupes. Ici, l’entité de référence n’est plus l’individu mais le groupe auquel il désire appartenir : proximité des voisins et amis dans le quartier (le réseau social est alors de proximité) ou calme dans le quartier (mon groupe d’appartenance n’est pas celui des quartiers populaires). C’est dans ces groupes que l’on trouvera le sentiment d’appartenance à un espace physique le plus développé.

Dans ce dernier cas, l’axe 3 de la seconde analyse factorielle, non représenté ici, montre que les préoccupations financières (liées au coût du logement) peuvent être plus ou moins affirmées en fonction de la pauvreté de certains ménages. Les plus démunis n’expriment pas d’autres exigences. Ils habitent un espace qu’ils subissent, “ choisi ” souvent en fonction d’un seul et unique critère : la modicité du prix du logement.

A partir de cette constatation, nous pouvons définir caricaturalement quatre types d’attentes autour desquels s’articulent les préoccupations des groupes sociaux, illustrés sur le graphe 3-6. La première est associée au désir d’un quartier animé et populaire, à la frontière entre les représentations villageoises et urbaines. L’espace peut être alors plus subi que choisi puisque son attrait réside non seulement dans l’agitation mais également dans le relatif faible coût du logement. Redoutant en conséquence un isolement social, l’individu souhaite qu’il existe au moins une sociabilité de rue. La proximité des parents et des amis est parfois associée à ces attentes.

Corrélativement, la deuxième représentation identifiée, met plus l’accent sur la notion de proximité, que ce soit celle des amis et des parents ou celle des commerces : expressions concrètes d’un quartier vécu, connu, où la familiarité est fortement développée. Ni individus dominants, ni groupes dominés, ces individus désirent créer au niveau du quartier des réseaux denses et personnalisés. Celui-ci doit également remplir des fonctions complexes, commerciales et relationnelles. Le quartier devient alors un prolongement du domicile et est vécu plus intensément. “ Il inspire le sentiment (parfois confus) d’une communauté sociale protectrice où l’on entretient ses habitudes ” (Frémont, 1982, p. 72). Cette représentation peut aussi être synonyme de repli sur le quartier qui devient un “ refuge ”. En effet, ceux qui ont vécu l’explosion urbaine de Niamey ont perdu la maîtrise de l’espace urbain. Ils compensent cette perte en maintenant l’idée du village au sein même de leur quartier (Sansot, 1996) : le quartier devient centre de vie.

La troisième représentation est également liée à la tranquillité du quartier mais non refermée sur le logement : la promiscuité ou la raccordement aux réseaux ne sont pas des préoccupations primordiales, elle ne les concerne pas ou plus. Elle se rapporte à des individus ayant des attentes relatives aux relations sociales qui font référence à la sociabilité, mais qui désirent en priorité la tranquillité. L’ambiance de leur quartier doit ainsi ressembler à celle du village. Par rapport à la représentation précédente, le désir de densité des réseaux de sociabilité est conservé mais il n’est pas accompagné de l’agitation urbaine et est calme.

Enfin, la quatrième attente se rapporte au désir de tranquillité et met l’accent sur la qualité du logement. Les représentations sont liées à l’importance du raccordement aux réseaux d’eau et d’électricité ainsi qu’à la place dans la concession, reflétant un certain repli sur le logement. L’individu va se valoriser, lui et son ménage, par l’accès à un confort moderne dans la concession, ignorant presque, de ce fait, ce qu’il y a autour. Mais pour que ces désirs soient, au moins en partie, satisfaits, la localisation de son habitat ne pourra pas être aléatoire (rappelons que seule une partie de Niamey est raccordée au réseau d’électricité : Jambes (1994) indique que les taux de raccordement peuvent aller de 11 à 57 % de la population résidente en fonction des zones). Ainsi, cette représentation est particulièrement développée dans les quartiers riches : car ‘là “ les limites du quartier vécu résidentiel ne sont pas ressenties comme une frontière stricte ” ’(Frémont, 1982, p. 80). Dans ce cas, les exigences vis-à-vis du quartier seront moindres puisque les individus ont les moyens de se déplacer sur l’ensemble de la ville. Et c’est cette dernière qui est la référence ; le quartier perd ses qualités au profit d’un discours bipolaire domicile - ville dans lequel le quartier doit être absent.

Graphe 3-6 : Quatre types de représentations du quartier d’habitation

Par rapport à ces désirs et attentes, qu’en est-il réellement ? Sont-ils des simples souhaits, des espérances réalisables ou l’expression d’un environnement satisfaisant ? Les individus enquêtés sont-ils ou non satisfaits de leur quartier actuel selon ces critères ? Nous ne pouvons pas séparer ces représentations d’un état des lieux du quartier d’habitation tel qu’il est vécu par ses résidents.

Notes
14.

Chaque individu a été caractérisé par la citation ou non des qualités proposées, le résultat se présentant sous la forme d’un tableau individus / qualités en modalités oui (a indiqué la qualité) / non (n’a pas indiqué la qualité). Sur les graphes ont été indiquées les modalités associées aux “ oui ”.

15.

Les notions de référents individuels et sociaux font référence respectivement à des individus favorisés (individus dominants) et à des groupes de défavorisés (groupes dominés) en termes de richesse ou de pouvoir par exemple, ce qui aboutit chez Lorenzi-Cioldi notamment à une opposition hommes/femmes. Nous explicitons, dans le chapitre 4, à quels groupes sociaux s’attachent ces types de représentations.