III - 4 - a : Qualifications du quartier d’habitation

Les référents aux espaces antérieurement connus ne sont pas ici clairement évoqués. Il s’agit d’exprimer la (non-)satisfaction d’insertions sociales qui, elles, sont directement liées au vécu spatial actuel. Nous avons ainsi pu identifier quatre types de qualificatifs récurrents en fonction d’un certain nombre de thèmes abordés dans les discours sur le quartier (tableau 3-8). Le détail de l’analyse se trouve en annexe 6.

Type de qualificatifs Thèmes abordés dans les discours
Quartier signe - le voisinage est bon
- il n’y a pas de lieux de loisirs, de commerces
- je ne m’entends pas bien avec mes voisins
Quartier fonctionnel - je suis bien situé géographiquement
- il y a des services publics et privés
- la voirie est bonne
- j’habite à proximité de mon lieu de travail
- j’ai de l’espace
- il y a des problèmes de surpopulation
 
Quartier cocon - je me sens en sécurité
- je m’entends bien avec mes voisins
- je suis chez moi
- j’habite à proximité de ma famille, de mes amis
- la brousse a reculé
- je suis relié aux réseaux d’eau et d’électricité
 
Quartier isolé - mon quartier est calme
- je n’habite pas à proximité de ma famille, de mes amis
- c’est moins cher qu’ailleurs

Ils correspondent aux représentations attachées au quartier et à la propre place de l’individu dans la société. En effet, c’est le désir d’appartenance à un groupe qui sous-tend tout le discours sur le quartier d’habitation : l’espace devient le support d’une identité que l’on voudrait communautaire (Noschis, 1984). Mais cette préoccupation est soumise à des contraintes non sociales, et ici notamment financières, qui limitent les ambitions des individus et participent à l’élaboration des stratégies d’intégration spatiale. Les quatre types de qualificatifs identifiés dans les discours sur le quartier d’habitation sont donc directement associés à quatre types de rapports à la fois sociaux et perceptifs entre l’individu et son environnement immédiat.

  • Le quartier signe. Le quartier est perçu comme l’outil de la valorisation sociale. L’important, c’est d’habiter à côté de gens “ biens ” et occupant des situations socialement valorisées (des médecins par exemple) :
    ‘Le Plateau [le quartier où l’enquêté habite] c’est le quartier résidentiel où vous avez surtout des expatriés et des Nigériens... des gens bien, des Nigériens qui sont nantis’ (entretien n°59 ; Plateau).
    ‘Les deux [son ancien et son nouveau quartier] sont de vieux quartiers où il y a peu de bruit, contrairement aux quartiers populaires et où il y a des familles d’un certain niveau de vie, ce n’est pas la masse populaire’ (entretien n°35 ; Plateau).
    Et même si cela doit se faire au détriment du niveau d’équipement en services urbains du quartier, ou des relations de voisinage :
    ‘Mais il y a des choses moins bien. Par exemple, si je veux aller chez un ami ou faire des courses, il faut descendre en ville. De même, si à 14h je veux causer à un ami, je ne peux pas aller chez lui à n’importe quelle heure, alors que dans les quartiers où j’ai grandi, on peut venir chez quelqu’un à n’importe quelle heure là où les copains se retrouvent’ (entretien n°27 ; Kalley).
  • Le quartier fonctionnel. Les individus vont être sensibles à l’aspect “ pratique ” de leur quartier d’habitation : la proximité des marchés et des services publics, l’état de la voirie (et donc de l’assainissement notamment en période des pluies), la proximité du lieu de travail font partie des critères de jugement :
    ‘Je ne me plais pas beaucoup dans mon quartier d’habitation. Les travaux [pour construire sa maison] ont été finis dès 1989 mais j’ai mis du temps à déménager car il y a le centre dans lequel on a tout, les lieux de distractions, le commerce et presque tout à côté de vous. Maintenant moi, je suis presque dans une périphérie’ (entretien n°17 ; Gaweye).
    ‘Mon quartier ne me plaît pas trop. Mais je ne veux pas déménager car je suis à côté de mon lieu de travail et je peux m’y rendre à pied si ma moto est en panne ou si je suis fauché ’(entretien n°34 ; Liberté).
    En outre, habiter un quartier où il n’y a pas les problèmes urbains de surpopulation est dans ce cadre aussi très important :
    ‘J’aimerais avoir une concession à l’écart, vers Lamordé car je me sens serré, il y a un problème de surpopulation pour vivre avec ma famille, ma femme [...] Le lieu est devenu trop petit pour sa population’ (entretien n°43 ; Terminus)
    La vision est ici individualiste, dans le sens où ces discours ne s’appuient pas sur des facteurs relationnels mais sur des critères plutôt économiques et pratiques (habiter à proximité de son travail ou des marchés, c’est dépenser moins d’argent en transport et gagner du temps).
  • Le quartier cocon. C’est ici la sociabilité au travers des relations familiales ou amicales qui est valorisée. Ainsi, les individus mettent en avant les réseaux de voisinage, la proximité de la famille et des amis :
    ‘Tous mes parents et amis sont à côté, je peux donc les joindre sans moyen de locomotion’ (entretien n°36 ; Banifandou).
    ‘Je n’ai pas vraiment choisi Boukoki, j’ai préféré rester à côté des gens que je connais, j’ai des amis dans le quartier, et des parents. Avant, quand j’étais célibataire, je pouvais rester n’importe où. Mais maintenant je suis marié, il ne fallait pas rester loin des gens que je connais, on ne sait jamais, il peut y avoir des problèmes’ (entretien n°45 ; Boukoki).
    Ils développent de ce fait un sentiment de sécurité lié aussi à la familiarité qu’ils ont pu développer avec cet environnement :
    ‘Je n’envisage pas de déménager car mon quartier me plaît. Tout le monde se connaît, vit ensemble alors qu’avant personne ne se connaissait et qu’ailleurs je ne connaîtrais pas grand monde. Ici, on assiste aux cérémonies des uns des autres’ (entretien n°20 ; Yantala).
    ‘Ici, les gens s’aident, c’est ce qui fait plaisir dans mon quartier ’(entretien n°23 ; Route Filingué).
    Ils vont exprimer un sentiment d’appartenance pour leur quartier et évoquer ses évolutions en termes de développement urbain et de modernisation :
    ‘Les rues sont bien réparties, contrairement au non loti et il n’y a pas de problèmes d’assainissement ’(entretien n°29 ; Abidjan).
    ‘C’est un quartier propre, bien assaini. [...] Ils ont pavé les rues’ ( entretien n°43 ; Terminus).
  • Le quartier isolé. Un sentiment d’isolement est ici clairement exprimé. Isolement social tout d’abord puisque les citadins ont, dans ce cas, le sentiment d’être anonymes : ils ne connaissent pas leurs voisins ou ne s’entendent pas avec eux :
    ‘Avant, les gens s’aimaient bien dans ce quartier. Mais depuis quelque temps, même si quelqu’un a un décès, les gens ne viennent plus le voir. Tout ça c’est la faute à la politique. Le fait que les gens appartiennent à différents partis, c’est ça qui les divise. C’est la politique qui a apporté le changement, sinon, avant, notre quartier n’avait pas d’égal au niveau de la solidarité’ (entretien n°39 ; Plateau).
    ‘Les autres quartiers étaient mieux car il y avait des gens de mon ethnie, de chez moi, alors qu’ici non. Là-bas j’étais vraiment heureux. Ici, je ne connais personne’ (entretien n°16 ; Plateau).
    Isolement par rapport à la ville ensuite : ils se plaignent d’habiter loin de la ville (la “ vraie ” ville avec ses animations et ses marchés leur semble ailleurs même si leur quartier en fait partie) :
    ‘Il n’y a pas de bars, de lieux de rencontre. [...] Dans mon ancien quartier il y a plein de petits commerces, alors que dans mon nouveau quartier, il n’y a pas de commerces’ (entretien n°43 ; Terminus).
    Ils évoquent enfin les contraintes économiques qui ont motivé principalement leur choix quant à leur quartier d’habitation, au détriment d’autres facteurs sociaux ou fonctionnels par exemple. Le faible coût du terrain ou du loyer constitue alors souvent l’unique avantage de leur quartier :
    ‘Je ne vois pas où je pourrais aller vivre ailleurs. Surtout que je n’ai pas ma parcelle. Tant qu’on ne me force pas, je ne déménagerai pas ’(entretien n°15 ; Dar Es Salam).
    ‘En plus, je ne paie pas de loyer, c’est encore mieux’ (entretien n°7 ; Dar Es Salam).

Ces différents qualificatifs du quartier d’habitation ne sont pas incompatibles entre eux. Chaque individu va les combiner et la forme de son discours va alors dépendre du poids donné à chacune d’entre elles. C’est par les méthodes statistiques multidimensionnelles déjà utilisées pour les discours sur la ville que nous mettons en évidence des éléments de la structure des discours sur le quartier d’habitation.