III - 4 - b : Structure des discours : le citadin dans l’espace et dans la société

L’analyse de ces discours montre la dimension sociale du quartier d’habitation 16 . En effet, sur l’axe 1, en négatif (graphe 3-10), se placent des individus isolés relationnellement sur leur quartier, soit par choix (quartier signe), soit pour des raisons généralement économiques (quartier isolé). A partir du moment où ce sentiment de solitude disparaît, deux types de discours apparaissent : soit l’individu met l’accent sur sa familiarité avec son environnement immédiat, sur la convivialité et la solidarité dans son quartier, soit les préoccupations sociales disparaissent et sont remplacées par des intérêts plus matériels liés à l’équipement et à l’aspect physique.

Les autres oppositions/associations qui apparaissent sont directement liées au désir de valorisation sociale, quelle que soit la forme qu’il prenne. L’opposition qui se dessine (graphe 3-11) est celle, nette, entre “ quartier signe ” et “ quartier isolé ”, c’est-à-dire entre l’intégration sociale par appartenance à une classe sociale et celle basée sur l’appartenance à un groupe. Car le quartier signe montre la volonté d’une différenciation socio-économique entre quartiers, le quartier isolé celle de la reproduction du système traditionnel d’entraide. Or ce dernier système a pour base la mixité socio-économique.

Dans le premier cas (quartier signe), pour appartenir à une classe sociale élevée, il est nécessaire de montrer que l’on est en possession d’un capital non partagé. Les individus vont tenter d’échapper aux relations de clientélisme : appartenir à cette classe, c’est aussi ne pas redistribuer son argent, c’est à dire démontrer l’adhésion à des valeurs “ modernes ”, voire “ occidentales ”. Ils vont alors essayer d’habiter des quartiers correspondant socialement à ces désirs. Ces changements par rapport à la société traditionnelle reflètent un processus d’individualisation dont les deux agents principaux sont l’Etat moderne et le capitalisme : les individus deviennent des “ agents économiques individualisés par la propriété privée, par la mercantilisation des rapports de production et par la monétarisation des relations sociales ” (Marie [2], 1997, p. 85).

A l’opposé (quartier isolé), appartenir à un groupe, c’est développer des relations étroites avec des individus proches : se fréquenter, aller chez les uns et les autres, bref, entretenir des contacts nombreux et les plus fréquents possible. Alors que la cohésion de la classe sociale va se définir en opposition aux autres classes, la cohésion du groupe est interne : les individus sont reliés entre eux par des liens non basés sur la richesse. Mais, de la même façon pour les deux types d’insertion sociale, la proximité spatiale est le reflet de son statut : soit on habite à côté de gens de la même classe, soit on désire un logement proche de sa famille et de ses amis. C’est ainsi que vont s’opposer quartier signe (volonté d’appartenance à une classe, souvent non réalisée) et quartier isolé (regret de ne pas appartenir à un groupe). Entre les deux, les préoccupations matérielles ou le sentiment de sécurité se développent dans le cas où l’appartenance au groupe se concrétise.

En définitive, les structures qui émergent des discours sur le quartier d’habitation montrent de nettes oppositions entre les types de qualificatifs. Si ces derniers ne sont pas incompatibles entre eux, ils s’excluent relativement les uns et les autres, les discours restant cohérents par rapport aux qualificatifs cités.

Il faut enfin remarquer que ces appartenances vont correspondre à des appropriations et des choix spatiaux différenciés (tableau 3-9). Les individus utilisant des références au quartier signe habitent plus dans les quartiers riches, signe à la fois d’une réelle richesse économique et d’un désir conséquent d’appartenir à la classe sociale équivalente. Il apparaît aussi que certains individus se sentant isolés habitent aussi ces quartiers : c’est le conflit classe/groupe difficile à résoudre spatialement. De même, ce sont les habitants des quartiers centraux ou riches qui sont le plus sensibles aux aspects matériels parce que, d’une part, pour les habitants des quartiers riches cet environnement physique propre (assainissement et voies goudronnées en particulier) fait partie de l’image de marque et, d’autre part, l’équipement des quartiers centraux et leur proximité par rapport aux marchés et aux autres services urbains en font des endroits géographiquement privilégiés.

Type du quartier
Représentations
Quartier central Quartier riche Habitat spontané Périphérie lointaine Périphérie proche Total
Quartier signe 15 62 8 15 0 100
Quartier fonctionnel 28 28 16 20 8 100
Quartier cocon 15 21 15 30 19 100
Quartier isolé 11 32 11 25 21 100

Que ce soit en termes de revendications explicites ou en termes de discours général sur le quartier d’habitation, le type de représentations est déterminé par la place que l’individu s’attribue dans la société. Cette place dépend par exemple de son niveau de revenus, de ses réseaux de relation mais aussi des normes qui lui servent de référence. Ainsi, le sentiment d’isolement est plus fort pour les individus qui pensent que leur survie en dépend, tandis que pour d’autres il ne sera pas valorisant de conserver de façon traditionnelle des relations clientélistes ou un réseau de relations dense. Plus qu’une relation au temps ou aux lieux, les représentations du quartier d’habitation sont donc liées à une représentation sociale de la vie urbaine.

Notes
16.

L’analyse factorielle effectuée sur les types de quartiers identifiés donne trois axes significatifs.