II - 2 : Le quartier d’habitation, un pôle d’activités plus important que pour les hommes

Globalement, les femmes se déplacent moins que les hommes puisque leur niveau de mobilité est presque deux fois inférieur. De plus, près de 20 % d’entre elles ont déclaré n’avoir pas quitté leur domicile la veille, en semaine. Même si nous ne pouvons pas en déduire le taux de femmes ne quittant jamais leur foyer, il apparaît ici que les femmes fréquentent moins l’espace hors de leur logement que les hommes.

Corrélativement, ainsi que nous l’avons vu dans l’étude sur les hommes, les femmes connaissent moins bien le centre-ville et l’appréhendent différemment que les hommes : les fréquentations, du fait du partage des rôles sociaux et des fonctions professionnelles, sont contrastées (graphe 4-3). Les femmes, moins actives, y vont soit uniquement pour y effectuer des achats, soit pour des raisons de sociabilité et commerciales. Or ce sont des activités également réalisables, en partie au moins, dans le quartier d’habitation.

Ainsi, les déplacements pour motifs de sociabilité et de travail s’effectuent principalement dans le quartier d’habitation (tableau 4-2). Sidikou (1980) déclarait déjà que les femmes ont un espace de parenté et d’amitié moins étendu que celui des hommes. Gibbal le notait déjà en 1988 au Mali. Selon lui, pour des raisons essentiellement de non accès aux modes mécanisés de transport, les femmes ‘“ ont des relations quotidiennes et fonctionnelles, avec les femmes de concessions mitoyennes de la leur, ou bien des relations basées sur des affinités plus profondes avec des amies, habitant des demeures éloignées mais toujours inscrites dans le périmètre du quartier ”’ (Gibbal, 1988, p. 318). De fait, elles n’ont pas accès aux modes mécanisés et se déplacent plus à pied que les hommes qui utilisent la moto ou la voiture (graphe 4-5).

Note : la mobilité motorisée comptabilise les déplacements effectués en voiture, en moto ou en transports en commun.

L’importance du quartier d’habitation est également imputable aux motivations des sorties féminines (graphe 4-6). En effet, si les femmes se déplacent autant que les hommes pour la vie quotidienne, c’est en raison d’achats à faire pour l’entretien du ménage qui représentent 70 % des déplacements pour ce motif. Or les marchés de quartier sont fréquents et évitent aux femmes de trop longues distances. De plus, la sociabilité est plus importante pour elles que pour les hommes et la moitié des déplacements pour ce motif s’effectue dans le quartier d’habitation, ce qui indique un réseau de relations concentré dans la proximité du logement.

Note : la somme des motifs par genre ne fait pas ici 100 % car ne sont pas représentés les déplacements de type secondaire (sans extrémité au domicile).

En termes de mobilité urbaine quotidienne, ces résultats ne font que confirmer les nombreux travaux mettant déjà en évidence le rôle du genre. Ainsi, par exemple, une étude sur Bamako et Ouagadougou montrait que les hommes se déplacent plus et plus loin que les femmes, et que les femmes utilisent peu de modes mécanisés (Diaz Olvera et alii, [1], 1998). De même Godard ([1], 1997) écrivait, dans un contexte de pays en voie de développement, ‘“ Dans la plupart des sociétés, les femmes se déplacent moins que les hommes étant davantage contraintes par les normes sociales à réaliser des activités ménagères à domicile ”’ (Godard, [1], 1997, p. 137).

L’espace fréquenté des femmes est donc généralement le quartier d’habitation. Parce qu’elles n’ont pas d’emploi ou parce qu’elles exercent le métier de petites commerçantes dans leur quartier, elles n’ont ni les raisons, ni les moyens de le quitter. 20 % ne sont pas sorties du domicile la veille et plus de la moitié de leurs déplacements est interne au quartier d’habitation. D’ailleurs 70 % de leurs déplacements en semaine se font à pied, ce qui réduit l’espace accessible. Elles connaissent donc mal la ville et elles ont plus de mal que les hommes à répondre aux questions sur les représentations de la ville et du centre-ville. Cependant, lorsqu’elles répondent, leurs indications sont équivalentes à celles des hommes. Il leur arrive de fréquenter le centre, notamment du fait de la présence des deux grands marchés et elles empruntent dans ce cas les transports en commun (bus ou taxi-ville). Ce repli des activités sur le quartier d’habitation lui donne une valeur particulière : les femmes sont plus sensibles à la proximité des services, des amis et des parents. Le quartier remplit alors des fonctions sociales, fonctionnelles et affectives puisqu’elles y sont plus ancrées que les hommes. Ce résultat rejoint les observations de Sansot qui, en parlant d’un contexte urbain occidental, écrit “ On peut dire que ce sont surtout les femmes qui font exister le quartier. En allant chercher leurs enfants, en multipliant les contacts durant les courses qu’elles exécutent, elles relient entre eux des points voisins mais distincts qui, sans elles ne formeraient pas un espace cohérent ” (Sansot, 1996, p. 261-262).

Les différences entre les hommes et les femmes, si elles sont importantes, doivent cependant laisser place à une analyse plus nuancée. Tout d’abord, il existe des effets d’âge ou de génération : les femmes fréquentent plus largement l’école qu’auparavant, elles ont plus accès au marché de l’emploi. Les hommes les plus âgés ont eux aussi réduit leur espace pratiqué au quartier d’habitation. Ensuite, la richesse influe sur les modes de déplacements et donc sur les espaces parcourus et connus. Au-delà des écarts entre les genres, nous allons donc maintenant étudier l’influence de ces critères (âge, activité et revenus) sur les caractéristiques socio-économiques, les représentations et les pratiques spatiales des individus. Mais, l’analyse ci-dessus et celle à laquelle nous allons procéder montrent que nous ne pouvons séparer le genre des autres déterminants. Que ce soit à âge égal ou à revenu individuel équivalent par exemple, le partage des rôles est tel que ni la mobilité, ni les représentations spatiales ne sont comparables. Cette hypothèse, déjà fortement confortée par les différences exposées plus haut, sera largement renforcée par la suite.