I - 3 : De la ville au quartier

C’est la mobilité quotidienne qui donne la meilleure illustration des effets de l’âge sur les espaces vécus.

Tout d’abord, ce sont les aînés qui indiquent le plus, en tant que centre-ville, des quartiers en dehors du centre prédéfini, au détriment du Petit Marché ou de Maourey qui sont pourtant de vieux quartiers de Niamey. D’ailleurs, ils déclarent le fréquenter moins que les adultes ou que les jeunes, ce qui expliquerait ces approximations. Les fréquentations se modifient aussi avec l’âge. Pour les hommes, comme l’âge s’accompagne d’une baisse de l’activité professionnelle, les plus âgés transforment une fréquentation à motifs multiples en une fréquentation à raison de sociabilité uniquement.

Ensuite, les jeunes et les adultes se déplacent plus que leurs aînés, et leur mobilité motorisée est proportionnellement plus élevée (graphe 4-10). Il faut noter que l’on n’observe pas d’augmentation avec l'âge du taux de personnes ne s'étant pas déplacées la veille de l’enquête. Les aînés se déplacent donc moins et moins loin que les jeunes et les adultes, corrélativement au fait qu’ils utilisent moins les modes motorisés.

De plus, les jeunes et les adultes n’utilisent pas les mêmes modes de déplacements : plus d’un quart des déplacements des premiers se déroule en deux-roues moteur, alors que près d’un tiers des déplacements des seconds est réalisé en voiture particulière (graphe 4-11). L’accession à une voiture ne se fait donc pas dès la prise d’indépendance et les jeunes achètent d’abord un deux-roues moteur. Cette hiérarchie est essentiellement justifiée par des revenus ou des économies qui s’accroissent.

La marche à pied est donc un mode plus employé par les aînés au détriment des modes motorisés. Cette modification est en partie due à un changement des motifs de déplacements. Plus âgés, ils sont moins nombreux à travailler, la moitié de leurs déplacements se fait pour des raisons religieuses et un quart pour le travail alors que ce dernier motive plus d’un tiers des déplacements des jeunes et des adultes, le reste se répartissant entre la sociabilité et la vie quotidienne. Pour les mêmes raisons les déplacements des individus âgés se déroulent plus à l’intérieur de leur quartier d’habitation, ce qui explique l’importance accrue de la marche à pied.

Les motifs des déplacements internes au quartier changent également avec l’âge. L’importance du travail et de la sociabilité décroît alors que les déplacements pour des motifs religieux sont de plus en plus nombreux. Car les aînés, recevant plus de visites qu’ils n’en donnent, sortent essentiellement pour aller à la mosquée (les trois quarts de leur déplacements internes se réalisent pour ce motif), ce qui correspond à l’entretien d’une certaine sociabilité sur cette place qui est un lieu privilégié de rencontres. Notons aussi que les jeunes sont les seuls à se déplacer en mode motorisé dans leur quartier (en voiture ou en moto), ce qui est sans doute dû à une volonté de montrer une relative réussite.

Pour les hommes, l’âge modifie donc les caractéristiques générales des rapports à l’espace :

- les jeunes viennent de prendre leur indépendance et généralement n’ont pas construit de famille avec des enfants. Ils se déplacent beaucoup dans toute la ville, en moto ou en voiture selon leurs ressources ; l’emploi du mode motorisé correspond à une volonté de montrer cette indépendance financière puisqu’ils l’utilisent même dans leur quartier. Ce désir ostentatoire d’asseoir une respectabilité sociale s’accompagne d’une volonté d’acquérir un logement et d’y avoir un confort moderne. Ils expriment de fait des attentes de type urbaines vis-à-vis de leur quartier d’habitation et sont soucieux de leur proximité au lieu de travail, ce qui dénote un relatif individualisme. La sociabilité est une activité importante puisqu’elle motive un quart de leurs déplacements, plus que pour les individus plus âgés.

Globalement, du fait de l’explosion urbaine, l’appréhension générale de la ville baisse au profit d’un centrage de l’espace familier sur le quartier. Ce repli résulte à la fois d’un effet d’âge (comme nous avons pu le voir) et d’un effet de génération. En effet, comme le note Sansot (1996), dans un contexte occidental, “ Lorsque les villes grandirent d’une façon inquiétante, l’homme éprouva la nostalgie physiologique, sentimentale du village et le quartier représenta une maintenance du village, un de ces lieux où l’on a encore prise sur l’espace, où l’on possède une place assignée avant toute convention ou toute initiative ” (Sansot, 1996, p. 263). Car la maîtrise de l’espace doit être à la fois géographique et temporelle et l’accès aux modes mécanisés en est une condition. Or les aînés se déplacent à pied, dans leur quartier, le reste de la ville est un endroit vague. Nous pouvons comparer ce résultat à ceux obtenus sur les femmes, qui, pour des raisons différentes, deviennent de plus en plus attachées affectivement avec l’âge à leur environnement proche.