III - Richesse et individualisme

Du fait de l’accroissement des revenus, les exigences vis-à-vis du quartier d’habitation se modifient et l’envie de déménager augmente. Ce fait s’expliquerait en partie par le développement d’un sentiment fataliste chez les plus pauvres qui vivraient alors une vie ‘“ sans ambition ” ’(Sidikou, 1980) ou même seraient ‘“ sans projet de vie ”’ (Leroy, 1994). Le terme fatalisme nous paraît ici trop négatif : si les individus ne veulent pas déménager, ce n’est pas seulement parce qu’ils ne le peuvent ; car nous verrons que certains peuvent, malgré leur pauvreté, parfaitement être intégrés dans leur quartier, même s’ils ne l’ont pas choisi au départ.

De plus, comme le désir de déménager est lié à la volonté de monter dans l’échelle sociale, les destinations envisagées sont elles aussi relatives au niveau social de départ : les plus pauvres désirent aller dans le péricentre ou le centre, les individus à revenus modestes préfèrent la périphérie lotie tandis que les aisés espèrent les quartiers riches. Enfin, plus les individus sont riches, plus ils fréquentent le quartier envisagé. Nous verrons dans l’analyse de la mobilité urbaine quotidienne que cela est dû en partie à un accès élargi à l’espace urbain. Nous pouvons conclure de ces premiers résultats que plus la richesse est grande, moins l’attachement affectif au quartier d’habitation est fort.

Ce résultat est conforté par l’étude des représentations du quartier d’habitation. L’analyse sur l’ensemble des caractéristiques montre l’influence du revenu individuel (graphe 4-19). Il apparaît ici que les représentations urbaines relatives à la proximité du lieu de travail sont le fait des individus à revenus modestes ou élevés. Leur représentation est également plus moderne puisqu’ils expriment un attachement à la qualité de leur logement. Une des raisons en est que l’on voit apparaître généralement dans les classes moyennes “ stabilisées ” une relative recherche d’intimité (Le Bris, 1987). En revanche, les hommes pauvres, toujours du fait qu’ils ne sont pas tous inactifs contrairement à la majorité des femmes pauvres, ont une représentation moins villageoise que les femmes pauvres, mais les pauvres maintiennent l’importance des réseaux de voisinage et de services (comme les commerces). Les représentations de type villageoise et relative à la qualité de vie sont l’apanage des femmes pauvres, plus liées à leur environnement immédiat, que ce soit de façon contrainte ou affective.

L’analyse suivante (graphe 4-20), sans la proposition de la proximité du lieu de travail, montre de même que plus les individus sont riches, plus ils sont individualistes, tandis que plus ils sont pauvres, plus ils appartiennent aux groupes dominés, donc “ socialisant ”. L’individualisme est sans nul doute lié à l’indépendance financière qui permet de s’affranchir de certaines obligations sociales traditionnelles et d’être moins contraints par les impératifs de proximité, que ce soit du lieu de travail, des commerces ou des amis. En tout cas, du fait de la crise économique, les capacités d’accumulation et de redistribution sont compromises et l’individu doit devenir acteur et gérer sa place dans la société en référence ou non à des repères traditionnels (Marie [1], 1997). Mais surtout, cette relative richesse étire les liens entre l’individu et son espace de proximité qui n’a plus besoin d’être porteur de sécurité ou de calme, ni de relations affectives. En revanche, le quartier d’habitation est espace vital pour les plus pauvres qui resserrent les liens sociaux. En outre, pour ces mêmes raisons, les pauvres en ont une représentation populaire, tandis que les plus aisés s’attachent moins à l’animation et à la sociabilité de proximité. Ces résultats recoupent en partie ceux de Sidikou (1980) qui avait noté que les personnes pauvres donnaient plus d’importance aux relations sociales ‘“ parce qu’elles ne sont pas affranchies des concepts communautaires et de solidarité qui caractérisent les sociétés traditionnelles [...] ”’ (Sidikou, 1980, p. 249). De plus, selon lui, les individus plus aisés étaient attachés aux aspects “ tangibles ” du quartier tels la “ bonne présentation ”, ce que nous préférons nommer “ statut social ” du quartier.

Enfin, il apparaît logiquement que plus les individus sont riches, moins ils sont préoccupés par des impératifs économiques, et notamment par les dépenses liées au logement.