Section 5 : Une typologie des individus hierarchisant ces determinants

Globalement nous avons pu identifier plusieurs couples “ pratiques - représentations spatiales ” dont les deux extrêmes peuvent être caricaturés de la façon suivante :

De toute évidence, ces descriptions sont trop caricaturales pour exprimer la richesse des situations. Ce n’est pas parce que l’individu est aisé qu’il appartiendra obligatoirement à la seconde catégorie : il peut continuer, au moins partiellement, d’utiliser des représentations moins individualistes, voire plus traditionnelles pour appuyer son ascension sociale.

Les facteurs que nous avons présentés ci-dessus montrent qu’il existe, en fonction du genre, de l’âge, des revenus individuels ou du ménage, des écarts dans ces représentations. Nous avons tenté de les mettre en valeur à l’aide d’une typologie d’individus décrivant la pluralité des situations. Si elle a été créée sur la base des écarts entre représentations, elle s’est avérée également pertinente quant à l’analyse de la mobilité quotidienne puisque, ainsi que nous l’avons vu précédemment, représentations et pratiques spatiales sont fortement liées.

Sur la base de l’analyse présentée ci-dessus, il a fallu hiérarchiser les facteurs déterminants. En effet, si le genre apparaît primordial dans tous les cas, l’âge, les revenus individuels et du ménage, l’activité professionnelle ont une influence à la fois mutuelle et sur les pratiques et représentations spatiales. Nous avons donc, dans un premier temps, à partir des analyses factorielles sur les représentations du quartier d’habitation, procédé à des classifications ascendantes hiérarchiques sur l’ensemble de la population. Cette étude a permis de mettre en évidence les premières variables de différenciation. Une analyse plus spécifique prenant appui sur ces résultats s’est traduit par une typologie de la population féminine et masculine en 16 groupes distincts (graphes 4-22 et 4-23).

Les chiffres indiquent le nombre d’individus par classe ; les pourcentages la proportion de la classe par rapport au nombre total de femmes

Les abréviations en italique indiquent le codage des classes utilisés pour la suite

Les chiffres indiquent le nombre d’individus par classe ; les pourcentages la proportion de la classe par rapport au nombre total d’hommes

Les abréviations en italique indiquent le codage des classes utilisés pour la suite

Nous ne reviendrons pas longuement sur les déterminants. Le premier niveau de coupure est, pour les hommes comme pour les femmes, l’activité professionnelle qui sépare actifs et inactifs. Pour les inactifs, vient ensuite le revenu du ménage puis, éventuellement, l’âge. Pour les hommes inactifs, nous n’avons pas ce découpage final du fait à la fois des effectifs et de la moyenne d’âge des hommes inactifs dans les ménages pauvres qui est élevée (52 ans).

Les actives, lorsqu’elles sont individuellement aisées ou modestes, appartiennent à des ménages eux-mêmes à revenus modestes ou élevés et sont alors jeunes ou adultes. Nous n’avons pas séparé ce groupe car aucune différence n’est apparue dans les pratiques et représentations spatiales en fonction des critères classiques. Nous avons enfin différencié les femmes actives pauvres selon le revenu du ménage.

Chez les hommes actifs, le revenu du ménage n’intervient pas car ces individus fournissent principalement les ressources de leur ménage. Pour les revenus modestes et élevés, c’est l’âge qui est apparu comme discriminant tandis que pour les pauvres, c’est le type d’emploi. La différenciation entre emploi précarisé et non précarisé pour les pauvres a en effet son importance dans les stratégies que les individus s’autorisent à mettre en place. Enfin, pour les hommes actifs pauvres occupant un emploi précarisé, une dernière différenciation s’est faite par l’âge.

On peut aussi remarquer que nous avons été amenés à regrouper des catégories d’âge et de revenus du fait de problèmes liés aux effectifs, tout en gardant au maximum la cohérence de chaque groupe. Par exemple, les jeunes hommes actifs pauvres occupant un emploi précarisé regroupent tous les individus de moins de 50 ans. Or 70 % d’entre eux sont en fait des adultes. De fait, les groupes sont relativement homogènes.

Nous aboutissons à 16 groupes : 8 groupes d’hommes et 8 groupes de femmes (tableau 4-12). L’effectif des groupes de femmes représente entre 6 et 16 % du nombre total de femmes, celui des groupes d’hommes entre 1 et 26 % du total des hommes. Le groupe le plus important est composé de 165 personnes. Malgré le faible effectif de quelques groupes (comme les inactifs aisés, les actives pauvres des ménages aisés ou modestes), nous avons choisi de ne pas effectuer de regroupements avec d’autres groupes car la projection de la typologie en tant que variable illustrative sur les axes des analyses factorielles des représentations et la comparaison de leurs caractéristiques respectives en termes de mobilité quotidienne montrent des disparités trop fortes pour être ignorées.

Notons ici que le groupe de plus faible effectif (les inactifs des ménages aisés) n’étant pas représentatif, puisqu’il comporte seulement 9 personnes, n’est pas employé en tant que groupe de référence dans la suite de l’analyse. De plus, les groupes sont cités dans les chapitres suivants par leur nom abrégé afin de simplifier la lecture du document.

Typologie Noms détaillés Noms abrégés Nombre d’individus % / total
par sexe
FACTPP Femmes actives pauvres appartenant à un ménage pauvre Actives pauvres des ménages pauvres 97 13
FACTPR
Femmes actives pauvres appartenant à un ménage aisé ou modeste Actives pauvres des ménages aisés 41 6
FACTR
Femmes actives aisées ou modestes Actives aisées 119 16
FINACPJ
Jeunes inactives appartenant à un ménage pauvre Jeunes inactives des ménages pauvres 116 16
FINACPM
Adultes inactives appartenant à un ménage pauvre Adultes inactives des ménages pauvres 97 13
FINACPV
Adultes ou aînées inactives appartenant à un ménage aisé ou modeste Aînées inactives des ménages pauvres 63 9
FINACRJ
Jeunes inactives appartenant à un ménage aisé ou modeste Jeunes inactives des ménages aisés 124 17
FINACRV Aînées inactives appartenant à un ménage pauvre Adultes et aînées inactives des ménages aisés 69 10
TOTAL DES FEMMES 726 100
         
HACTPNP
Hommes actifs pauvres non précarisés Actifs pauvres non précarisés 75 12
HACTPPJ Hommes actifs pauvres précarisés, jeunes ou adultes Actifs pauvres précarisés, jeunes et adultes 106 17
HACTPPV
Hommes actifs aînés pauvres précarisés Actifs aînés pauvres précarisés 67 11
HACTRJ
Jeunes actifs aisés ou modestes Jeunes actifs aisés 85 13
HACTRM
Adultes actifs aisés ou modestes Adultes actifs aisés 165 26
HACTRV
Aînés actifs aisés ou modestes Aînés actifs aisés 47 7
HINACP
Hommes inactifs appartenant à des ménages pauvres Inactifs des ménages pauvres 80 13
HINACR Hommes inactifs appartenant à des ménages aisés ou modestes Inactifs des ménages aisés 9 1
TOTAL DES HOMMES 634 100

Les différences entre groupes sont illustrées par l’étude des caractéristiques de leurs représentations et de leur mobilité. On retrouve évidemment à chaque niveau les effets observés précédemment. Ainsi, en termes de représentations du quartier d’habitation, il apparaît (graphe 4-24 et 4-25) que le désir d’un quartier tranquille concerne plutôt les individus aisés ou appartenant à un ménage aisé ainsi que les inactives âgées (pauvres, modestes ou aisées). A l’inverse ceux qui souhaitent de l’animation sont plutôt les pauvres attirés par les quartiers populaires et les femmes dont la plupart des activités se déroule dans leur quartier. En outre, les attentes villageoises sont exprimées plus par les âgés et les pauvres (c’est le cas par exemple de toutes les femmes inactives), tandis que les individus aisés et les jeunes ou les adultes ont des souhaits plus urbains. Ainsi, les actifs aisés jeunes et adultes sont ceux qui ont le plus cité comme caractéristique principale la proximité du lieu de travail ou le raccordement aux réseaux d’eau et d’électricité.

Les résultats de la seconde analyse factorielle (graphe 4-25) confortent cette première approche puisque les aisés et les actifs sont plus préoccupés par la qualité de leur logement. On trouve dans cette catégorie les hommes actifs aisés jeunes ou adultes tandis que les inactifs et notamment les femmes se préoccupent plus de l’animation et de la sociabilité développée dans leur quartier. Le calme dans le quartier est un souhait plutôt exprimé par des aînées inactives pauvres. Il faut noter ici la place particulière des femmes actives aisées, qui, contrairement aux autres individus aisés, souhaitent des quartiers plus animés et ont moins exprimé d’attentes vis-à-vis de leur habitat que sur leur quartier d’habitation. En effet, moins jeunes que les inactives des ménages riches, qui sont plus individualistes, elles ont des désirs plus liés au souci d’une sociabilité de proximité. Pour les femmes aisées, l’âge est prépondérant dans l’apparition d’un certain repli sur le ménage et la famille réduite.

En définitive, si l’on se rapporte aux deux types de représentations présentées en introduction de cette partie, les représentations des aînées inactives des ménages pauvres se rapprochent de la première (villageoises, non centrées sur la concession) tandis que les jeunes et les adultes actifs aisés, au contraire, ne sont pas intéressés par une animation dans la rue ou une sociabilité de proximité, ayant les moyens de se déplacer largement en ville ; ils désirent un confort moderne (urbain) dans leur logement et un quartier tranquille.

L’étude de la mobilité quotidienne indique de même des situations disparates entre les groupes. Il serait ici fastidieux de décrire groupe par groupe les caractéristiques de la mobilité quotidienne. Cette dernière sera illustrée par quelques exemples : le niveau de mobilité quotidienne urbaine, la part de la mobilité motorisée dans les déplacements de la veille et les motifs de sorties du domicile (tableau 4-13 et 4-14).

Les femmes, sauf les actives aisées, ont toutes un niveau de mobilité inférieur à 3,1 (tableau 4-13). En fait, pour les femmes, la mobilité augmente avec la richesse et l’activité, ce qui explique que le groupe qui se déplace le plus soit celui des actives aisées dont la part des déplacements en modes motorisés est la plus forte. A l’opposé, les aînées inactives des ménages pauvres se sont peu déplacées la veille et ont plus marché à pied, la sociabilité de proximité prenant une place primordiale dans les motifs de sortie (tableau 4-14). Entre ces deux positions, se déclinent les situations en fonction de l’âge et des revenus. Ainsi, ce sont les actives aisées ou des ménages aisés qui utilisent le plus largement les modes motorisés, alors que les inactives, même si elles appartiennent à des ménages riches, se déplacent principalement à pied, dénotant de fait un espace fréquenté de taille plus réduite. L’activité influe également sur les motifs de déplacements dans le sens où la part de la sociabilité augmente avec l’inactivité (et avec l’âge). Il faut noter ici que les déplacements des inactives pour le travail sont le fait d’étudiantes.

Pour les hommes, les situations sont similaires : ceux qui se déplacent le plus sont les plus jeunes et les plus riches, à savoir les jeunes et les adultes actifs aisés, utilisant également majoritairement les modes motorisés pour se déplacer (tableau 4-13). En revanche, les actifs aînés pauvres précarisés se déplacent peu (plus cependant que la plupart des groupes de femmes) et à pied, principalement pour des motifs de vie quotidienne (tableau 4-14). Entre les deux groupes, on retrouve, de même que pour les femmes, un ensemble de situations différentes. La part des déplacements motorisés augmente par exemple non seulement avec les revenus mais également avec la stabilité de l’emploi. De plus, bien que la plupart des groupes soient composés d’actifs, la part du travail dans les motifs de déplacements varie en fonction de l’âge et de la richesse. Elle est supérieure à 50 % chez les pauvres non précarisés, alors que pour les aînés pauvres précarisés la vie quotidienne est plus importante.

Typologie Mobilité totale
(depl. / ind. / jour)
Part de la mobilité motorisée
Actives pauvres des ménages pauvres 3,1 23
Actives pauvres des ménages aisés 2,4 51
Actives aisées 4,5 64
Jeunes inactives des ménages pauvres 2,4 14
Adultes inactives des ménages pauvres 2,5 19
Aînées inactives des ménages pauvres 2,0 18
Jeunes inactives des ménages aisés 2,6 24
Adultes et aînées inactives des ménages aisés 2,6 22
     
Actifs pauvres non précarisés 5,2 30
Actifs pauvres précarisés, jeunes et adultes 4,7 18
Actifs aînés pauvres précarisés 4,4 15
Jeunes actifs aisés 6,8 60
Adultes actifs aisés 6,8 72
Aînés actifs aisés 6,6 61
Inactifs des ménages pauvres 5,3 22
     
Ensemble 4,2 40
Typologie Travail Sociabilité Vie quotidienne
Actives pauvres des ménages pauvres 42 27 27
Actives pauvres des ménages aisés 48 25 23
Actives aisées 59 16 18
Jeunes inactives des ménages pauvres 2 46 49
Adultes inactives des ménages pauvres 0 39 59
Aînées inactives des ménages pauvres 0 52 46
Jeunes inactives des ménages aisés 8 44 48
Adultes et aînées inactives des ménages aisés 3 49 46
       
Actifs pauvres non précarisés 52 14 24
Actifs pauvres précarisés, jeunes et adultes 32 17 40
Actifs aînés pauvres précarisés 27 12 55
Jeunes actifs aisés 36 26 25
Adultes actifs aisés 40 15 31
Aînés actifs aisés 41 9 32
Inactifs des ménages pauvres 0 31 64
       
Ensemble 29 24 38 %
Note : Le total par ligne n’est pas égal à 100 % car ne sont pas comptés les déplacements secondaires.

En conclusion, cette typologie reflète un ensemble de représentations et de pratiques spatiales propres aux chefs de ménage et aux épouses niaméens. Les critères socio-économiques de ces rapports hommes - espace urbain permettent a priori d’identifier des pratiques et des représentations spatiales différenciées parmi la population niaméenne. S’ils restent des facteurs discriminants prépondérants, ils ne sont pas les seuls. En effet, les parcours migratoires constituent un degré supplémentaire de différenciation des individus.

Notes
25.

Par comparaison, Ouagadougou, en 1990 (Dille, 1995) occupait une surface de 19 000 hectares tandis que Niamey atteignait à peine 5 000 hectares en 1988 (Sountalma, 1991).