I - “ Etre de là ”, un avantage social

Les premières différences observées entre Niaméens et villageois concernent les ménages, l’habitat et les activités professionnelles. Les villageois sont tout d'abord plus largement polygames que les Niaméens. Ensuite, quels que soient leurs revenus, leur sexe et leur âge, les villageois logent moins dans le centre-ville et habitent dans la périphérie lotie ou dans le péricentre, contrairement aux Niaméens. Cette répartition résidentielle est observée également à Bamako où les vieux quartiers centraux abritent relativement plus de chefs de ménage non migrants que les autres (Marcoux, Morin et alii, 1995). Comme nous l’avions indiqué précédemment, une partie des Niaméens habite également les périphéries lointaines. Il faut aussi noter que, du fait de l’accès à des logements familiaux en ville, les Niaméens riches (hommes ou femmes) habitent moins les quartiers riches que les villageois, ce qui constitue un indice d’un rapport à l’espace différent, notamment chez les aisés. Ces différences s’observent aussi lorsqu’on utilise le découpage en zones “ perçues ”. En effet, les Niaméens pauvres logent plus largement dans la zone villageoise et pauvre (les anciens villages). Les Niaméennes actives et inactives des ménages aisés se retrouvent paradoxalement plus dans les quartiers dangereux et pauvres occupés par ailleurs majoritairement par les villageois. Il s’agit en fait d’une partie de la périphérie lointaine (pour les actives) et du péricentre (pour les inactives). La fréquence des concessions dans la ville fait qu’il n’y a pas de différence entre les villageois et les Niaméens à ce niveau, sauf chez les individus les plus riches. Mais comme ils habitent des quartiers privilégiés, les villageois aisés logent plus dans des villas que les Niaméens.

Ces différences s’observent de la même façon dans l’analyse des statuts d’occupation des logements. Les Niaméens sont plus fréquemment hébergés que les villageois (c’est le cas par exemple d’un tiers des actives niaméennes pauvres des ménages pauvres alors que seuls 16 % de leurs homologues villageoises le sont). Quant aux actives aisées, malgré leur relative richesse, 14 % d’entre elles habitent dans des célibateriums.

Les raisons se trouvent principalement dans l’activité professionnelle. Les actives villageoises pauvres et aisées travaillent plus largement dans leur quartier d’habitation (tableau 5-3). En fait, elles ne travaillent pas plus au domicile mais lorsqu’elles travaillent hors du domicile, elles exercent plus leur emploi dans leur quartier, ce qui explique en partie la localisation de leur habitat moins situés dans les quartiers riches. En ce qui concerne les hommes, ici tous aisés, il n’y a pas de différence de localisation entre les villageois et les Niaméens.

  Total des actives dont travaillent au domicile ou dans leur quartier
Typologie Lieu de naissance Nb. ind. Nb. ind. %/total des actives
Actives pauvres Village 73 54 74 %
des ménages pauvres Niamey 24 14 58 %
 
Actives aisées Village 65 25 38 %
  Niamey 24 5 21 %

De plus, en règle générale, dans une même tranche de revenu, les villageois gagnent moins que les Niaméens, les différences étant accentuées pour les individus aisés. Par exemple, les actives aisées villageoises gagnent 30 % de moins que les actives aisées niaméennes. Ces écarts sont dus à la fois aux écarts de niveau d’études et d’activité professionnelle. Ainsi, dans tous les groupes, les villageois ont fait moins d’études que les Niaméens. Entre autres, 80 % des actives pauvres des ménages pauvres ne sont jamais allées à l’école, alors que ce n’est le cas que de 46 % des Niaméennes. Mais il faut remarquer que lorsqu’ils ont fait des études, les villageois sont allés plus loin que les Niaméens.

Or, ces problèmes de scolarisation et le fait de n’être pas né à Niamey impliquent une situation professionnelle plus difficile pour les villageois que pour les Niaméens. Les actifs aisés villageois, hommes ou femmes, ont moins accès aux postes de cadres supérieurs (et même à ceux de cadres moyens pour les femmes) et ils exercent plus des emplois en tant qu’indépendants. Leur secteur d’activité se situe essentiellement dans le commerce (82 % des actives pauvres villageoises contre 67 % des Niaméennes par exemple), les Niaméens exerçant aussi plus des métiers de taximen du fait de leur connaissance de la ville. Ces différences donnent un autre indice d’explication de la localisation de l’habitat : les Niaméennes des ménages aisés habitent à proximité de leur lieu de travail (ou de celui de leur époux) qui peut être l’université ou l’hôpital situés dans la zone dite dangereuse et pauvre qui abrite en fait quelques poches d’individus travaillant dans ces organismes publics.

Enfin, les Niaméens sont beaucoup plus sédentaires que les villageois qui, après avoir quitté leurs parents, ont généralement séjourné ailleurs qu’à Niamey. Ainsi, 80 % des actives pauvres niaméennes n’ont jamais quitté la ville après avoir quitté le foyer parental, contre la moitié de leurs homologues villageoises seulement. De même, 60 % des actifs adultes aisés niaméens sont restés à Niamey contre 40 % des villageois. Leur mobilité résidentielle à l’intérieur de la ville est aussi contrastée, les Niaméens ayant moins déménagé que les villageois. Par exemple, chez les actifs adultes aisés, le nombre de déménagements dans la ville est double chez les villageois par rapport aux Niaméens.

En conclusion, le lieu de naissance a une réelle importance sur l’insertion urbaine par la raison même de l’influence des réseaux locaux qui agissent sur l’insertion spatiale et professionnelle. Les Niaméens occupent des situations plus stables, tant au niveau de l’habitat (accès à la propriété) qu’au niveau de l’emploi (accès au salariat). Les villageois sont nettement plus soumis à des effets conjoncturels : ils habitent les nouveaux quartiers lotis sans avoir vraiment accès aux anciens quartiers et au centre et ont des difficultés de stabilité professionnelle et résidentielle, et ce même pour les plus riches d’entre eux. S’ils ont eux aussi des réseaux d’insertion, leurs stratégies sont évidemment différentes de celles des Niaméens. Ces résultats peuvent être en partie dus au cycle de vie, notamment chez les hommes où les villageois sont installés depuis 12 ans à Niamey alors que la durée de séjour en ville est de 18 ans pour les Niaméens. Le processus d’insertion n’est donc pas au même stade.