II - 1 : Le quartier, à l’image de la ville ou du village

La précarité des villageois et leur adaptation aux conditions de vie urbaines vont développer des exigences particulières en ce qui concerne le quartier d’habitat. Contrairement aux citadins, par exemple, les villageois accordent finalement moins d’importance à la sécurité et au calme ressentis dans le quartier, puisqu’à proprement parler, ils ne sont pas “ chez eux ”. De la même façon, la réalité et la proximité des réseaux sociaux des Niaméens, la stabilité de leurs emplois impliquent, pour eux, des préoccupations moins économiques que relationnelles. Dans tous les groupes, le coût de l’habitat est moins préoccupant pour ces derniers que pour les villageois. Les ruraux sont en conséquence moins sensibles à la proximité de parents et amis. En revanche, ils sont plus intéressés par la proximité de commerces et d’écoles, ce qui correspond en partie à la re-création d’un espace à l’échelle du village d’origine ; on peut l’observer chez les individus riches comme chez les individus pauvres.

L’opposition la plus forte entre les villageois et les citadins est observée dans le groupe des adultes actifs aisés. La préoccupation de la proximité des services est exprimée très fortement chez les villageois au détriment d’autres éléments caractéristiques du quartier. Cependant, ils se montrent moins satisfaits de leur quartier sur l’ensemble des points indiqués, que ce soit en termes sociaux, économiques ou professionnels. De fait, leur relative richesse n’a pas les mêmes conséquences que pour les Niaméens qui ont des exigences vis-à-vis des services urbains plus fortes comme le rattachement aux réseaux d’eau et d’électricité.

Autre exemple d’écarts : les actives pauvres des ménages pauvres. Les préoccupations des villageoises sont orientées vers le coût du logement tandis que les Niaméennes insistent sur le calme dans le quartier. Ces demandes correspondent à une réalité tangible. Les villageoises trouvent leur logement trop cher alors que ce n’est pas le cas des Niaméennes. En effet, les logements de ces dernières sont vraiment plus économiques puisque un tiers des Niaméennes est hébergé contre 16 % des villageoises, ce qui implique un plus grand intérêt des Niaméennes pour la qualité de vie dans leur quartier.

Les représentations spatiales du quartier d’habitation qui en résultent sont illustrées par le graphe 5-2. Ils montrent que les villageois sont moins concernés que les Niaméens par la qualité de vie à l’intérieur de l’habitation. Leurs préoccupations sont plus liées à l’environnement extérieur de l'habitat et à l’animation (qui conditionne d’ailleurs en partie le développement du sentiment de sécurité, non exprimé spécifiquement par les villageois). Ces représentations se traduisent chez les femmes villageoises par une représentation plus concrète du quartier et, a priori étonnamment, elles sont relativement plus comparables aux groupes dominants. Enfin, les préoccupations économiques sont nettement plus marquées chez elles que chez les Niaméennes. Leurs représentations spatiales correspondent en fait à des attentes plus urbaines et à une attitude plus individualiste dont une des raisons peut se trouver dans le déracinement à Niamey qui les coupe de leur milieu d’origine. Cet isolement peut s’observer même chez les actives aisées. Les villageoises sont donc généralement plus inquiètes de l’environnement physique que social, résultat de la précarité de leur situation et des rares possibilités de recours aux réseaux de solidarité. Même si elles tentent de recréer dans le quartier, au moins en ce qui concerne les services urbains, le village, elles vivent en fait dans un espace plus subi que choisi dans le sens où socialement elles le sentent plus vide, tant au niveau du quartier que de la ville.

Pour les actifs riches, les résultats sont légèrement différents. Les villageois ont, de même que précédemment, des représentations du quartier moins liées à la concession, moins individualistes. Cependant, leurs représentations se rapprochent en partie de celles d’individus dominés et ils sont moins préoccupés par les contraintes économiques. Ces individus représentent sans doute l’archétype du villageois qui a réussi en ville : contrairement à leurs homologues plus pauvres, leur richesse leur a permis de conserver des liens avec leur communauté d’origine et sans doute de reconstruire un réseau dense de relations sociales traditionnelles en ville. Ils reproduisent en partie les systèmes classiques d’entraide qui sont en fait des processus d’assurances en cas de problèmes et les déchargent en partie des inquiétudes matérielles. Nous pourrions les comparer aux actives aisées mais elles n’ont pas le même schéma de représentations car la femme aisée et active n’appartient pas à la société traditionnelle et les formes plus occidentales de la famille ne sont pas assez développées pour qu’elles soient véritablement reconnues. Il serait maintenant intéressant de vérifier quelles sont les formes que prennent les réseaux des hommes actifs riches villageois et notamment s’ils se répartissent sur toute la ville ou s’ils se concentrent dans le quartier d’habitation. C’est l’étude de la mobilité qui nous donnera à ce sujet quelques indices.