III - Mobilité citadine contre mobilité villageoise ?

En règle générale, les Niaméens se déplacent moins que les villageois, les plus grandes différences dans les taux de mobilité s’observant pour les groupes d’actifs. Les actives aisées niaméennes font cependant exception puisque les Niaméennes effectuent presque 1 déplacement de plus par jour que les villageoises (tableau 5-4).

Tableau 5-4 : Lieux de naissance et mobilités urbaines quotidiennes des actifs aisés

Typologie Lieu de naissance Mobilité urbaine (depl./jour/ind.) Part de mobilité motorisée (%)
Actives aisées
Village 4,3 52
Niamey 5,1 84
Actifs aisés
Village 7,0 66
Niamey 5,5 90

Le tableau 5-4 montre non seulement des différences dans les niveaux de mobilité totale mais aussi dans l’utilisation de modes motorisés, à revenus comparables. Même pour les groupes plus pauvres ces écarts sont importants. Ainsi, dans le groupe des actives pauvres des ménages pauvres, 40 % des déplacements des Niaméennes sont motorisés contre 20 % à peine pour ceux des villageoises. Pourtant, les niveaux d’équipement en modes de transport sont les mêmes dans les ménages quel que soit le lieu de naissance des individus, sauf chez les actives aisées où les villageoises sont majoritairement captives (à 80 %) alors qu’un tiers des Niaméennes appartient à un ménage possédant une voiture, ce qui explique aussi leur plus grande mobilité.

Cependant, les modes motorisés comprennent les motos, la voiture particulière et les transports en commun (composés essentiellement des taxis). Pour les femmes appartenant à des ménages pauvres, les différences dans la mobilité motorisée s’expliquent en termes d’usages des transport en commun. Ainsi, pour les actives pauvres des ménages pauvres, plus d’un quart des déplacements des Niaméennes se fait en transport en commun contre 14 % de ceux des villageoises. Les mêmes écarts peuvent s’observer dans le groupe des jeunes inactives des ménages pauvres. Quant aux hommes, pour les actifs aisés, c’est l’usage plus ou moins répandu de la moto qui explique les différences entre les villageois et les Niaméens. Chez les Niaméens, hommes comme femmes, l’utilisation de ce mode est beaucoup plus répandue que chez les villageois, alors que la proportion d’individus captifs est comparable dans tous les groupes. Il s’agit donc bien d’une pratique différenciée par les localisations de déplacements plus que par l’accès aux modes motorisés.

En conséquence, les villageois se déplacent plus dans leur quartier d’habitation alors que les Niaméens effectuent relativement plus de déplacements dans la ville et notamment, depuis leur quartier d’habitation vers des quartiers non limitrophes et non centraux (voir un exemple pour les actives pauvres des ménages pauvres dans le tableau 5-5).

Déplacements
Non secondaires Non secondaires Non secondaires Non secondaires Secondaires Total
Lieu de naissance Internes Limitrophes Centraux Autres    
Village 53 13 17 14 3 100
Niamey 38 11 23 25 3 100
Note : les chiffres représentent des proportions par catégorie en fonction de la mobilité urbaine totale.

Ces différences sont plus profondes qu’il n’y paraît : non seulement les modes et les localisations des déplacements changent, mais aussi les modes utilisés au sein même du quartier d’habitation alors qu’a priori on penserait à une utilisation quasi exclusive de la marche à pied. Or, chez les actives aisées et niaméennes, la voiture est utilisée pour 17 % des déplacements internes (contre 8 % pour leurs homologues villageoises). De même, pour les actifs adultes aisés, un quart des déplacements internes des Niaméens se fait en moto contre à peine 10 % de ceux des villageois, ce qui implique, pour les Niaméens un usage très différent de l’espace même familier. Il serait ici intéressant d’étudier l’opinion que les individus ont sur les modes de transport en fonction de leur lieu de naissance pour compléter ces données. Nous pouvons ici avancer l’hypothèse d’une habitude citadine dans l’utilisation des modes motorisés qui dévaloriserait la marche à pied même dans les déplacements de quartier.

Un autre indice de l’importance du quartier d’habitation pour les villageois est donné par l’analyse des motifs de déplacement dans le quartier d’habitation, notamment chez les actifs. Les actives pauvres niaméennes se déplacent dans leur quartier essentiellement pour des motifs liés à la vie quotidienne tandis que les villageoises y ont des activités plus variées concernant à la fois le travail, la sociabilité et la vie quotidienne. Les actives aisées, de la même façon, s’y déplacent uniquement pour leur travail (75 % des déplacements internes) alors que les raisons de déplacement des villageoises sont également relationnelles (58 % des déplacements internes sont motivés par le travail, 27 % par la sociabilité). Nous pouvons également faire ces observations pour les actifs adultes aisés.

De plus, l’étude par motifs de la localisation des déplacements montre que la sociabilité et le travail des individus se déroulent pour les villageois plus dans le quartier que chez les Niaméens (tableau 5-6), ce qui indique une concentration des activités sur un secteur plus réduit pour les natifs du village alors que les autres dispersent leurs déplacements.

Typologie Lieu de naissance Part des déplacements internes pour la sociabilité Part des déplacements internes pour le travail
Actives pauvres
des ménages pauvres
Village 41 42
Niamey 33 26
Actives aisées
Village 52 38
Niamey 0 15
Actifs aisés
Village 60 17
Niamey 48 0
Note : les chiffres représentent la part des déplacements internes au quartier d’habitation dans la mobilité totale par motifs.

De façon plus globale, il n’y a que peu de différences dans la répartition des motifs de déplacement des individus en fonction de leur lieu de naissance. Le travail prend un peu plus de place chez les actifs niaméens au détriment de la sociabilité ou des motifs liés à la vie quotidienne, ce qui doit être dû à la différence de nature entre les emplois des Niaméens et ceux des villageois. Si on analyse dans le détail le motif “ vie quotidienne ”, il apparaît aussi que les actives aisées niaméennes font plus d’accompagnement que les villageoises, ce qui explique en partie leur utilisation plus généralisée d’un mode motorisé même pour les déplacements internes. De plus, les actifs adultes aisés nés à Niamey effectuent des démarches alors que leurs homologues villageois sont peu concernés par ce type d’activité.

En conclusion, les villageois se caractérisent, en termes de mobilité urbaine quotidienne, par une fréquentation intensive de leur quartier d’habitation dans lequel les motifs de déplacements sont plus nombreux et plus variés que ceux des Niaméens. Les Niaméens font preuve d’un usage plus spécifique de cette zone qui perd sans doute sa qualité de centre des activités au profit d’une connaissance élargie d’autres lieux dans la ville. Mais ce repli villageois sur le quartier d’habitation n’est en rien le résultat d’une reproduction sociale de la vie au village, il est plutôt une conséquence des difficultés dans la construction de nouveaux réseaux d’entraide.