IV - 2 : Le “ conservatisme ” des villageois riches confronté au “ modernisme ” des Niaméens riches

Pour les hommes aisés, l’analyse des représentations en fonction du lieu de naissance est un rappel direct des fonctions même des migrations telles que nous les avions décrites dans les premiers chapitres. En effet, si les villageois sont venus s’installer en ville, c’est en premier lieu pour des fonctions économiques : trouver du travail, accumuler de l’argent pour revenir si possible au village. S’ils réussissent, ils n’oublieront pas leurs premières ambitions, même si le retour au village n’est envisagé qu’au moment de la retraite (n’oublions pas que les hommes aisés que nous avons ici étudiés sont des adultes), d’autant plus que c’est souvent grâce aux réseaux villageois installés en ville qu’ils ont pu “ réussir ”. Ils reproduisent donc des réseaux traditionnels, notamment sur leur quartier qu’ils fréquentent plus souvent que les Niaméens et pour des raisons diverses, tant pour leur travail que pour la vie quotidienne et leur sociabilité. Loin de remettre en question les systèmes sociaux traditionnels, ils les reproduisent puisque c’est par eux qu’ils peuvent se mettre en valeur : ils s’attachent plus fortement à l’environnement du quartier et sont moins individualistes dans le sens où la proximité familiale et amicale est plus mise en valeur que chez les Niaméens. Cette dernière remarque serait confortée par le fait que se référer à des valeurs ancestrales constitue ‘“ un moyen de se positionner socialement, de se démarquer de certaines catégories plus acculturées, de capitaliser le malaise d’une population qui perd ses repères ”’ (Louvel, 1996, p. 15).

Les Niaméens n’ont, en comparaison, pas des références équivalentes. La stabilité de leurs situations résidentielles et professionnelles leur permet de s’éloigner des réseaux d’entraide traditionnels et de se montrer plus critiques vis-à-vis de leur environnement. En fait, la valorisation sociale qu’ils avaient espérée passe par l’acquisition d’avantages “ urbains ” plus individualistes qui les différencieraient d’une partie des citadins pauvres de la ville. Sans prôner des systèmes occidentaux, ils dénoncent l’amorce d’un changement profond dans les mentalités et les représentations des Niaméens. La ville devient un système global où la hiérarchie sociale est basée sur un découpage spatial, ce qui les amène à critiquer leur quartier d’habitation qui ne correspond pas complètement à leurs attentes.

Nous pouvons d’ailleurs rapprocher ces résultats de ceux obtenus par Gibbal (1974), sur la ville d’Abidjan. Afin de mesurer le degré d’insertion urbaine des hommes dans cette capitale, il dégage de son étude trois types de population urbaine :

Il ajoute à ce premier découpage une dimension migratoire. En effet, il mesure le stade d’insertion sociale à l’aide de facteurs tels que le lieu de naissance, la date d’arrivée en ville, la date d’arrivée dans le logement actuel et la durée du séjour urbain intermédiaire (il s’agit de l’écart entre l’arrivée en ville et le début de la domiciliation actuelle). L’identification de ces discriminants lui permet alors de mettre en évidence trois types de population urbaine :

Notre étude porte sur le premier groupe. Ces citadins, selon Gibbal, accordent plus de place à la famille qu’aux simples relations d’amitié, mais ils ont échappé aux relations avec la famille étendue. Ils ont peur d’être soumis aux relations d’aide et à leurs conséquences sur le plan économique. Car la ville, toujours selon cet auteur, favorise les comportements plus individualistes. Aussi ancienne que puisse paraître cette étude, elle démontre donc bien l’importance du milieu d’origine et de l’ancrage dans la ville quant aux réseaux sociaux, que reflètent en partie les relations de l’individu à l’espace.

Ces deux groupes d'individus aisés (villageois et Niaméens) sont des citadins de Niamey à part entière, développant des stratégies opposées de promotion sociale : les villageois riches ne se replient par véritablement sur le passé mais les valeurs traditionnelles sont pour eux un moyen de s’intégrer au processus de modernisation ; les Niaméens choisissent des références modernes dans le même objectif.

Le lieu de naissance constitue un premier exemple de l’importance des parcours migratoires et de stratégies différenciées à l’intérieur d’un même espace “ physique ”. Les durées de séjour montrent plus encore ces disparités spatiales et sociales tout en nuançant les résultats obtenus sur le lieu de naissance : avec le temps, les individus isolés peuvent peut-être développer des réseaux améliorant leur insertion urbaine.