II - Un enracinement progressif

Cette progression dans la stabilisation des situations trouve sa confirmation dans l’analyse des représentations spatiales. Que ce soit par rapport au quartier, au centre-ville ou à la ville, elles évoluent parallèlement aux changements des statuts socio-économiques.

II - 1 : Importance accrue, avec la durée de séjour, de la proximité spatiale

Plus les durées de séjour s’allongent, plus les individus sont sensibles au contenu social de leur quartier d’habitation. Ainsi, les ancrés pensent en majorité qu’il est important d’avoir des parents et des amis dans leur voisinage alors que les arrivants mettent l’accent sur des préoccupations correspondant à leurs contraintes de nouveaux Niaméens. De fait, pour les pauvres (actives pauvres des ménages pauvres ou jeunes actifs précarisés), l’important est d'économiser sur le coût du logement. Pour les riches, actifs ou non, il s’agit de se sentir en sécurité, d’avoir de la place dans sa concession et éventuellement d’être proche de son lieu de travail. Il ne faut pas aussi oublier qu’une partie des ancrés n’a en fait pas de réels problèmes d’accessibilité puisqu’ils habitent dans le centre. Les arrivants ou les installés sont aussi plus intéressés par l’accès aux réseaux d’eau et d’électricité. Enfin, le calme n’est souhaité que par les hommes riches (nous avons vu qu’ils participent peu à la vie de leur quartier) et notamment les arrivants.

Les itinéraires des citadins peuvent alors s’interpréter comme une modification graduelle de l’insertion sociale des habitants. A leur arrivée, ils connaissent peu de gens et, ne connaissant qu’imparfaitement la ville, ils choisissent ou subissent leurs premiers quartiers d’habitation en mettant l’accent sur la proximité par rapport à leurs connaissances. D’ailleurs, les désirs de déménagement sont bien plus forts chez les arrivants, un peu plus atténués chez les installés et beaucoup plus faibles chez les ancrés. Par exemple, dans le groupe des actifs adultes pauvres non précarisés, un tiers des installés veut déménager contre un quart des ancrés. Les arrivants aisés veulent plus quitter leur quartier actuel que leurs homologues pauvres car leur situation financière rend envisageables leurs désirs mais, même là, les ancrés semblent stabilisés dans la ville.

Pour les installés, l’insertion sociale dans le quartier n’est pas encore totalement réalisée et ce logement intermédiaire n’est pas encore forcément le logement définitif. Ils sont encore, comme les arrivants, à la recherche d’un lieu propre et ils déclarent ainsi fréquenter régulièrement le quartier qu’ils envisagent d’habiter.

Enfin, les ancrés sont en général propriétaires : ils peuvent ne pas souhaiter améliorer par eux-mêmes, surtout s’ils sont pauvres, la situation matérielle de leur logement et de leur quartier. Cependant, ils connaissent bien cet environnement qu’ils fréquentent depuis longtemps et sa richesse sociale éventuelle en fait un atout fort, quelle que soit la situation de l’individu. C’est ce que Sidikou (1980) notait : ‘“  [...] on constate que l’importance des avantages liés à l’environnement social et celle liée aux avantages fonctionnels croissent avec la stabilité résidentielle. Parallèlement, l’importance des avantages psychologiques et de ceux en rapport avec le cadre de vie baisse progressivement ”’ (Sidikou, 1980, p. 248). Ce parcours-type dans la ville correspond à une progression usuelle du nouvel arrivant en ville : ‘“ d’abord, être hébergé, généralement par un parent ; ensuite louer un logement ; enfin, acquérir une parcelle, y construire un bâtiment et s’y installer à titre de propriétaire ” ’(Marcoux, Morin et alii, 1995, p. 81). Sa linéarité n’est pas bien sûr vérifiable chez tous les individus, les étapes peuvent se multiplier et les propriétaires redevenir locataires par exemple mais cette évolution reflète la plupart des situations (Marcoux, Morin et alii, 1995).

C’est ainsi que le graphe 5-3 indique une première modification de la représentation du quartier d’habitation en fonction de la durée de séjour. En règle générale, plus la durée s’allonge, plus les attentes sont villageoises et moins elles concernent la concession, signifiant une représentation plus sociale et moins matérielle comme nous l’avons précédemment expliqué. En outre, pour les actives pauvres des ménages pauvres, les jeunes actifs pauvres précarisés et les adultes inactives pauvres, l’augmentation de la durée de résidence à Niamey s’accompagne d’un repli sur la qualité de vie de l’habitation, et notamment d’une moindre inquiétude quant au coût du logement. Or l’étude socio-économique des groupes a montré qu’en ce qui concerne l’ensemble de ces individus, les ancrés sont plus largement hébergés gratuitement et propriétaires que les jeunes installés (qui sont plus locataires), et ce dans des quartiers pauvres et villageois. Leur stabilité résidentielle est donc relativement plus grande.

On peut également observer des différences entre les évolution des individus aisés et non précarisés et des individus plus pauvres. Les premiers, avec la durée de séjour, ont exprimé moins d’attentes liées au logement : le quartier est voulu plus animé, moins impersonnel. Pour les pauvres, la durée de séjour se traduit plus par un repli sur les liens sociaux, et devient de fait un lieu plus “ villageois ”. La fonctionnalité, l’animation diminuent en importance au profit d’une familiarité plus affective, portant sur la proximité des parents et amis.

Sans la proposition de la proximité du lieu de travail du cadre des réponses, il apparaît que les ancrés ont une représentation beaucoup plus villageoise de leur quartier dans le sens où la sociabilité doit être concrétisée par la proximité des parents et des amis. La sécurité, le calme dans le quartier sont des notions plus abstraites qui ne concernent que des individus riches arrivants pour qui la sociabilité n’est pas une question de proximité. Ce résultat s’oppose à celui obtenu par Sidikou (1980) qui indique que plus la durée de séjour est longue, plus le bruit, la circulation, la promiscuité et l’hygiène sont préoccupants, sans doute parce le bruit et la circulation en ville devaient être des phénomènes plus nouveaux dans les années 80 alors que presque vingt ans plus tard ces caractéristiques urbaines ont été banalisées.

Enfin, pour les individus riches, les préoccupations liées à des impératifs financiers ne dépendent pas de la durée de séjour alors qu’elles sont beaucoup plus prégnantes, chez les pauvres, pour les installés. Dans les groupes de pauvres, si cette préoccupation est moins importante, ce n’est pas par le fait d’une amélioration de la situation financière mais uniquement parce que les ancrés sont plus propriétaires que les autres. En fait, en étant arrivés plus tôt que les autres, ils ont pu, soit construire une concession sur des terrains non lotis ou libres, soit accumuler assez d’argent pour acheter une habitation. De plus, pour les installés se pose concrètement la question de l’acquisition d’un logement, ce qui est moins le cas des arrivants ou des ancrés, les premiers cherchant d’abord à économiser, les autres étant stables.