II - 3 : Du centre commercial au centre social
Si la plupart des femmes et tous les hommes savent répondre à la question sur l’emplacement du centre-ville (ce n’est pas le cas des inactives pauvres arrivantes qui d’ailleurs déclarent très peu le fréquenter), les disparités apparaissent quant à sa définition.
Pour la majorité des groupes, plus les individus sont installés depuis longtemps à Niamey, plus ils citent des lieux extérieurs aux Grand et Petit Marchés, à Lacouroussou et à Maourey. Les centres d’intérêt se diversifient, soit par l’extension des réseaux de relation, soit par le fait qu’ils habitent plus le centre ou des lieux très éloignés du centre. En fait, pour les ancrés, le centre n’est pas défini comme une concentration de services urbains alors que c’est le cas pour les arrivants et, dans une moindre mesure, les installés qui gardent sur Niamey une représentation classique du centre-ville. Les raisons se trouvent dans l’histoire même de la ville car elle a été pendant longtemps un village polynucléaire. Le Petit Marché n’a été créé que dans les années 30, et le quartier administratif a longtemps été placé dans le quartier européen, de l’autre côté du Gounty Yena. Il existe cependant deux exceptions, en ce qui concerne les actifs adultes aisés et les actifs pauvres non précarisés. Au contraire, ici, ce sont les arrivants qui situent le centre dans des parties périphériques aux principaux marchés, sans doute à cause de leurs activités dans le secteur public plus répandues que pour les installés de ces groupes.
Ces localisations différentes font référence à des types de fréquentation contrastés. En effet, les femmes ancrées ne vont plus dans le centre uniquement pour leurs achats, elles y associent des activités de sociabilité et parfois professionnelles car avec le temps de séjour à Niamey, les réseaux de relation s’étendent ou les lieux de rencontre se diversifient. Pour les hommes, ce sont les arrivants et les ancrés qui travaillent le plus dans le centre, les installés y développent plus largement leurs activités de loisirs.
Globalement, les représentations du centre-ville de Niamey se répartissent donc de la façon suivante :
- - tout d’abord, pour les arrivants, le centre est situé au Petit Marché ou dans sa périphérie, et est essentiellement associé à des activités de loisirs et d’achats ;
- - pour les installés, le centre est plus varié et dépend de l’activité professionnelle. Pour les inactifs, il se concentre sur des marchés. Pour les actives, qui le fréquentent aussi pour des raisons liées à leurs emplois, il s’agit du Petit Marché, associant des lieux professionnels, commerciaux et administratifs, ainsi que des lieux d’achats. Enfin, les actifs, moins intéressés par les achats, citent plus des lieux de loisirs en périphérie des marchés ;
- - les ancrés placent eux aussi le centre ailleurs que sur les marchés, et même en dehors du centre-ville, car ils y associent principalement des activités de loisirs et de visites, ce qui les oriente vers un centre plus résidentiel.
En conclusion, les représentations spatiales de la ville de Niamey en fonction des durées de résidence peuvent se décliner ainsi :
- - les arrivants sont en situation instable : ils se reconnaissent peu dans un quartier qu’ils n’ont pas choisi et ont des désirs non satisfaits ou des contraintes non surmontées. La ville n’est encore pas très bien connue : le centre-ville est schématisé par ses fonctions commerciales ; Niamey est peu structurée socialement.
- - les installés ont déjà déménagé au moins une fois ; ils connaissent mieux la ville que les précédents et le quartier d’habitation, s’il peut ne pas être encore définitif, correspond plus à une stratégie de localisation dans la ville par rapport à des demandes matérielles liées au logement. C’est pour cela que les individus riches ou non installés citent plus fréquemment que les autres leur quartier en réponse à la question de la localisation des riches par exemple. Le centre-ville se diversifie dans ses fonctions mais pas dans sa localisation autour des principaux marchés de Niamey.
- - enfin, les ancrés sont installés réellement et à très long terme dans leur quartier d’habitation. Ils s’y sentent en sécurité et y ont construit des réseaux de relations sociales qu’ils estiment très importants. D’ailleurs la question de “ là où l’on vit comme au village ” obtient plus fréquemment que pour les autres le nom du quartier d’habitation. La ville est connue, du moins ses parties les plus anciennes, et ils arrivent à en avoir une représentation structurée en catégories socio-économiques. Les nouvelles périphéries loties accueillant les nouveaux arrivants suscitent de leur part beaucoup de méfiance et portent une image de lieux peu sûrs. Le centre de la ville n’a pas de réelle signification pour eux en ce sens où il ne se concrétise pas par une concentration des lieux à vocation professionnelle ou commerciale.
Ces représentations correspondent de fait à des pratiques urbaines contrastées.