IV - 1 : Des étapes de la vie et des étapes de la ville

Nous pouvons décrire l’apprentissage de l’espace urbain en trois grandes étapes, correspondant peu ou prou aux catégories que nous avions identifiées.

Les arrivants ne peuvent pas développer de véritables stratégies en ville : la localisation de leur premier logement se fait en fonction de leurs réseaux en place et relève plus de tactiques dépendant de leurs connaissances et de leur premier emploi par exemple. En fait, ni leur activité professionnelle, ni cet habitat ne sont en général définitifs, ils constituent une première étape. C’est pourquoi leur quartier ne leur convient généralement pas. Le centre-ville reste uniquement défini par ses fonctions commerciales et la cohérence de la ville ne leur apparaît pas encore. Ils sont relativement plus individualistes et ont exprimé des exigences quant à la qualité de leur logement. En ce sens, ce sont les plus “ urbains ”.

Les installés peuvent être considérés comme des individus maîtrisant mieux leur espace quotidien. S’ils ont pu accumuler assez d’argent, ils ont déménagé dans des quartiers qu’ils ont enfin pu choisir et ils ont alors moins exprimé des attentes individualistes : leur quartier d’habitation se concrétise et devient fonctionnel. De toutes les façons, leur situation professionnelle s’est globalement améliorée. Les plus pauvres développent un sentiment de familiarité dans un milieu qu’ils ont appris à connaître et qui ne se restreint plus au quartier d’habitation. C’est ainsi que les fonctions même du centre-ville se diversifient. Ils se déplacent plus en ville que les arrivants et leur quartier n’est pas le lieu central de leurs activités.

Les ancrés sont ceux qui sont le plus enracinés dans la ville et qui ont donc développé le plus fort attachement affectif, d’autant plus qu’ils habitent des quartiers qui sont eux-mêmes liés à l’histoire de la ville (le centre par exemple). Pour ceux qui y sont nés, s’y ajoute, dans le contexte rural des vieux quartiers périphériques, un mode de vie quasi villageois puisque c’est parmi eux que nous pouvons observer les agriculteurs par exemple. Ils sont “ chez eux ” dans ces quartiers et, de même que les Niaméens, connaissent peu les nouvelles extensions loties qu’ils redoutent presque (par peur de l’étranger ?). De fait, ils les quittent peu et c’est dans ces quartiers que se déroulent la plupart de leurs activités quotidiennes. Pour les aisés, cela se traduit par un plus grand désir d’animation dans le quartier : la richesse se montre dans les quartiers populaires, où il y a du monde. Les plus pauvres en revanche mettent plus l’accent sur la sociabilité de proximité, non anonyme. Leur quartier est d’abord aimé par les relations sociales qu’ils y ont développées, puisque c’est elles qui sont mises en œuvre en cas de problèmes.

En conclusion, les arrivants sont peut-être les installés de demain mais en aucun cas les installés ne seront des ancrés tels que nous les avons observés : leur insertion en ville ne passe pas par les mêmes filières, ils sont impliqués différemment dans l’espace urbain que ce soit dans leur choix d’habitat ou leurs activités professionnelles. Le développement du secteur formel et de la fonction publique leur procure une stabilité qui les éloigne des circuits traditionnels de solidarité, leurs exigences se portant alors autant sur la densité de leurs réseaux que sur la qualité de leur environnement (c’est que l’on observe par exemple chez les individus aisés). Pour ceux qui travaillent dans l’informel, la crise économique fait reculer dans le temps l’accès à la propriété, le capital étant de plus en plus difficile à réunir (Marcoux, Morin et alii, 1995). Ils mettront plus de temps à devenir des “ ancrés ”, s'ils y arrivent d'ailleurs. Ces différences se trouvent renforcées par une croissance urbaine tardive qui a fait que Niamey a longtemps conservé un caractère rural, image gardée par les ancrés. Mais, pour les installés, arrivés déjà dans une ville construite, l’espace urbain devient maîtrisable. Il est beaucoup plus subi par les arrivants (car ils connaissent peu la ville) et par les ancrés. Les installés de demain vont alors développer des stratégies qui n’apparaissent pas en tant que telles dans celles des citadins ancrés d’aujourd’hui.