IV - 2 : Le “ quartier - village ” des vieux enracinés

En conséquence de la conclusion précédente, c’est l’ensemble des ancrés, que ce soit des habitants du centre ou des vieux quartiers périphériques, qui constituerait l’exemple même d’individus vivant dans des quartiers - village. Quelques observations permettent de nuancer cette affirmation sans doute rapide. Rappelons auparavant les quartiers d’habitation concernés par cette étude. Les ancrés habitent plus le centre et les périphéries lointaines, et plus précisément Kirkissoye, Lamordé, Goudel, Gamkallé et Saga. Ces deux ensembles de quartiers regroupent la moitié des ancrés contre seulement un tiers des arrivants (plus situés dans le centre) et un quart des installés.

En termes de peuplements et de modes de vie, une étude effectuée par Diaz Olvera et alii ([1], 1999) montre que les vieux villages rattachés à Niamey ont des caractéristiques particulières par rapport aux autres quartiers. Ainsi, 83 % des habitations y sont en banco ou en paille alors que ce n’est le cas, par exemple, que de la moitié des logements du centre. Le taux de polygames atteint 20 % et près de la moitié des premières épouses est apparentée avec leur mari. La plupart des résidents n’a effectué aucune étude et, de fait, ce sont eux qui constituent l’ensemble des citadins les plus pauvres : ils ne travaillent pratiquement pas dans le secteur public (alors que c’est, par exemple, le cas d’un tiers des habitants du centre).

Quant au centre, sa population est plus bigarrée et nous ne pouvons sans doute pas parler d’homogénéité des modes de vie alors que c’est un lieu de passage, d’hébergement, de premier logement. De fait, seules quelques caractéristiques ressortent plus particulièrement chez les habitants de ces quartiers. Tout d’abord, ils comportent peu de polygames et près de 40 % des individus ont atteint un niveau d’études secondaires. Les emplois des résidents se situent plus dans le secteur public ou parapublic que dans les autres quartiers. Mais le revenu mensuel individuel est globalement assez peu élevé. Ce sont principalement des quartiers résidentiels puisque seuls 14 % des actifs y travaillent. C’est donc le centre qui répond le moins aux critères d’homogénéité. Cependant, on peut penser que si ce critère n’est pas rempli au niveau de l’ensemble du quartier, certaines zones, ou certains groupes d’individus, y obéissent. En effet, un ensemble de concessions comportant des célibateriums loués dans un même voisinage peut voir se créer une communauté de propriétaires, de vieux résidents qui laissera de côté les locataires de passage.

L’identification des vieux résidents à leur quartier a bien été montrée dans l’analyse des représentations spatiales, notamment par le développement d’un fort sentiment de sécurité, conforté par un environnement connu et où ils sont reconnus. C’est dans l’habitude, le rituel quotidien qu’offrent les activités obligeant à sortir de son domicile que se construit le sentiment de familiarité et de sécurité avec l’environnement spécifique qu’est le quartier d’habitation. Cette identification est renforcée par la proportion d’individus propriétaires (66 % des habitants des villages rattachés le sont) et par celle des individus nés à Niamey. Ces derniers se trouvent essentiellement en effet dans le centre (un tiers des habitants) et dans les villages rattachés (la moitié des habitants). Cette identification passe aussi par une sociabilité centrée sur le quartier d’habitation. En effet, l’étude de la mobilité quotidienne fait apparaître cette concentration puisque, pour les ancrés, plus de 60 % des déplacements pour motif de sociabilité se font dans le centre alors que ce n’est le cas que de moins d’un tiers de ceux des autres (tableau 5-7).

Typologie Mobilité totale pour la sociabilité (depl./jour) Part des déplacement internes au quartier (en %)
Jeunes actifs pauvres précarisés    
Installés 0,8 20
Ancrés 0,9 67
 
Actifs adultes aisés    
Installés 1,1 32
Ancrés 0,5 75

Il faut noter que ces différences sont surtout significatives pour les hommes, les femmes étant de toute façon plus ou moins captives de leur quartier d’habitat. De plus, ce centrage des activités sur le quartier s’explique d’une part par le faible taux de possesseurs de véhicules particuliers (tandis que près de 70 % des habitants des vieux villages et du centre n’en possèdent aucun, ce n’est le cas que de moins de la moitié des habitants des autres quartiers), d’autre part, par la forte proportion d’individus travaillant dans leur quartier, ce taux pouvant atteindre 42 % chez les actifs des vieux villages.

Enfin, il est ici difficile d’évaluer l’importance des réseaux d’entraide et du contrôle social. Cependant, l’arrivant est tout d’abord attiré par la ville cosmopolite, puis par un quartier en mutation puisqu’il accueille des migrants et facile d’accès. Les ancrés, au contraire, ont des références plus traditionnelles, basées sur des valeurs culturelles plus “ rurales ” et liées à des activités commerciales qui les inclinent à valoriser le local, le quartier (Frémont, 1982). En outre, pour les vieux résidents, le processus exploratoire de l’espace urbain a commencé depuis longtemps et plus la durée de séjour est élevée, plus leurs représentations seront attachées à un mode de vie traditionnel du fait de l’évolution de la ville. Or, une “ image ”, une fois formée, est très stable dans le temps (Capel, 1975). Malgré les transformations de l’espace urbain, c’est toujours donc une représentation de type villageoise qu’en ont les vieux Niaméens.

En conclusion, de nombreux indices permettraient de conclure à l’existence de véritables quartiers - village au sein de la ville de Niamey. Cependant, quelques réserves peuvent être émises à la généralisation d’un tel concept à l’ensemble des vieux résidents. En effet, les habitants du centre se trouvent au contact de beaucoup d’éléments nouveaux qui modifient les modes de vie (rappelons-nous l’exemple de Fadjiguila (Gibbal, 1988) qui pourtant n'était pas central). De même, les vieux villages ont des populations de plus en plus mixtes et, ainsi que nous l’avons dit en conclusion de la partie précédente, les installés ne sont pas les ancrés de demain. Le caractère rural de certaines périphéries devrait tendre à disparaître du fait même de la transformation de la répartition des emplois et de l’urbanisation croissante. Cependant, cette hypothèse peut ne pas être vérifiée dans le cas d’une crise économique plus sévère encore. En effet, les problèmes financiers de l’Etat nigérien l’empêchant de payer ses fonctionnaires, ne peut-on pas imaginer au contraire un retour, même pour les migrants en Occident, à des solidarités traditionnelles et à une augmentation de la part du secteur informel qui favoriseraient le renouveau des “ quartiers - village ” ?