II - Des références traditionnelles remises en question

Les intérêts des migrants en Occident et des non migrants quant à leur quartier d’habitation sont divergents. L’écart tient principalement à l’importance de la proximité des amis et des parents, faible pour les premiers, plus importants pour les seconds, ce qui semble indiquer une différence de représentations car les individus ont, dans les deux cas, la possibilité de se déplacer largement en ville.

Ces différences dans les besoins de liens sociaux proches peuvent expliquer en partie non seulement les différences de localisation de l’habitat, mais aussi celles constatées dans la localisation du quartier envisagé dans un éventuel déménagement. En effet, ceux qui vivent dans les quartiers périphériques lointains, centraux ou péricentraux, désirant non seulement s’élever socialement mais aussi rejoindre des relations, choisissent les périphéries loties. Les habitants des périphéries loties et des quartiers riches ayant le même souhait d’ascension sociale mais s’éloignant géographiquement de leurs parents et amis, s’orientent vers les quartiers riches plus valorisés. Or, dans le premier cas, on trouve de nombreux non migrants qui opteraient donc pour la périphérie lotie, et dans le deuxième cas des migrants en Occident qui choisissent des quartiers riches.

En termes de représentations spatiales du quartier d’habitation (graphe 5-4), les conséquences en sont que les migrants sont plus attachés au calme et à la tranquillité dans leur quartier et en ont une représentation relativement plus individualiste. Ils sont en effet moins attentifs aux services disponibles dans ce quartier et sont plus concernés par “ l’ambiance ” générale qu’ils associent au mode de vie d’une certaine classe sociale de la société nigérienne.

Au contraire, les non migrants ont des préoccupations plus concrètes vis-à-vis de leur quartier d’habitation. Ils ont exprimé des attentes relatives à l’extérieur de leur concession au travers notamment de l’animation dans leur proximité immédiate. Ce souci n’est pas uniquement relationnel, il est aussi “ pratique ” dans le sens où il est aussi important pour eux d’avoir dans leur quartier des services tels que des écoles, des commerces, privilégiés par rapport au confort intérieur de l’habitation. Ils sont également inquiets du coût du logement. Pour eux, ils “ vivent dans un quartier ” avant de “ vivre dans une ville ”.

En termes de représentations de la ville, il y a peu de différences dans les types de structuration entre les migrants et les non migrants. Cependant, si les deux groupes utilisent dans la même proportion des lieux précis pour localiser les zones demandées, les catégories de ces derniers ne sont pas les mêmes. Pour les non migrants, il s’agit principalement des cinémas et des cases tandis que les migrants utilisent les noms de bars ou citent le marché de nuit de Yantala, à proximité de leur domicile, indiquant des styles de vie différents.

Enfin, les migrants en Occident fréquentent moins le centre-ville que les non migrants et, de fait, ils le situent de façon beaucoup plus ponctuelle au niveau du Petit Marché. Les non migrants en ont une représentation plus diffuse et le localisent plus largement sur l’ensemble du quartier Maourey. Le type de fréquentation est identique pour les migrants et les non migrants, il est essentiellement centré sur les loisirs et les activités professionnelles.

En définitive, malgré des profils socio-économiques semblables, les hommes actifs et aisés ont des représentations spatiales tout à fait différentes en fonction d’éventuelles migrations en Occident.

Les migrants sont des individus susceptibles de manipuler un espace urbain globalement accessible à des fins de valorisations sociales basées sur une conception “ occidentale ” de l’échelle sociale. Contrairement aux non migrants, ils sont plus sensibles au “ standing ” de leur habitation et de leur quartier. C’est ainsi que 63 % d’entre eux citent leur quartier à la question “ où habitent les individus riches ? ”, alors que ce n’est le cas que de 8 % des non migrants. De même, parmi les actifs aisés habitant des quartiers classés comme riches, 77 % des migrants en Occident citent leur propre quartier comme un quartier où vivent les riches contre 41 % des non migrants : il y a donc chez les premiers une certaine satisfaction à montrer que l’on habite dans les “ beaux quartiers ”. Cette attitude est semblable à celle observée dans les classes moyennes occidentales : au-delà des besoins liés à la vie relationnelle ou à un confort minimal, ces individus choisissent leur habitation “ par rapport à l’environnement social et au standing de l’immeuble, qui peuvent rejaillir sur eux ”, et qui peuvent les protéger d’une “ descente sociale ” (Burgel, 1982).

Les non migrants, quant à eux, ont des stratégies de valorisation sociale plus traditionnelles qui s’appuient sur la conservation des relations sociales denses géographiquement. D’ailleurs, sans que le score de leur quartier soit plus faible que celui des migrants, un tiers d’entre eux cite leur quartier comme un lieu “ où l’on vit comme au village ”.