II - 2 - b : Le quartier d’habitation, vecteur de l’image sociale

Partis en Occident pour y effectuer des études, ils espèrent en retour la valorisation sociale et économique du savoir acquis. De ce fait, le quartier d’habitation a lui aussi son importance propre, il est “ signe ” : il est important d’habiter un endroit reconnu pour la qualité de ses habitants, des gens “ biens ” et riches :

Le voisinage est bon. J’y connais un certain nombre de médecins et d’universitaires. On s’est réuni pour créer une commission chargée de l’environnement et de l’assainissement. Nous travaillons avec la communauté urbaine. On a réussi à avoir trois containers et à les gérer. On a fait mettre du gravier sur les flaques d’eau. On a amélioré la sécurité. Avec une cotisation de 1 000 FCFA par mois, on paye un responsable qui est chargé de recenser tous les gardiens. Enfin, on maintient le contact avec les autorités (entretien n°21 ; Plateau).’

A partir du moment où cette condition est remplie, l’environnement physique est obligatoirement agréable, notamment au niveau de la voirie et de l’assainissement. Mais cette localisation spécifique du logement se fait au détriment d’autres avantages, comme la proximité des commerces ou le réseau de relations de voisinage. En effet, habiter un tel quartier va de pair avec une transformation des relations sociales qui ressemblent alors à une sociabilité urbaine occidentale : les voisins se connaissent peu ou pas et il y a peu de solidarité entre eux. Ces migrants, même s’ils font ce choix, ont tendance néanmoins à regretter cet anonymat.

Mais il y a des choses moins bien [dans son quartier actuel, par rapport à son ancien quartier d’habitation]. Par exemple, si tu veux aller chez un ami ou faire des courses, il faut descendre en ville. De même, si à 14h tu veux causer avec un ami, tu ne peux pas aller chez quelqu’un à n’importe quelle heure, alors que les quartiers où j’ai grandi, on peut venir chez quelqu’un à n’importe quelle heure ou là où les copains se retrouvent (entretien n°27 ; Kalley).’

Mais, l’exemple donné ci-dessus de l’entretien n°21 montre qu’ils s’investissent en groupe dans le quartier malgré cet isolement relatif. Car ‘“ Les acteurs qui participent le plus à la négociation publique des enjeux locaux ne sont pas forcément ceux dont la vie relationnelle est la plus étroitement liée au quartier ” ’(Grafmeyer, 1991). Si Grafmeyer le notait dans un contexte lyonnais où les citadins s’implique dans la conservation et la valorisation du patrimoine notamment, la logique observée pour les individus étudiés semble similaire. Il s’agit ici de valoriser son quartier puisqu’il est porteur de sa propre identité, et dont il convient donc de soigner l’image :

J’appartiens à l’association des villas U. Ceux qui habitent là ont constitué une association de défense de leurs droits, pour rendre le cadre de vie plus agréable, quand il s’agit de faire face à des questions qui ont trait à certains problèmes, c’est pour défendre nos intérêts matériels et moraux. Notre interlocuteur c’est l’Etat. C’est une association assez récente, qui n’a pas trois mois de vie. Pour le moment on a entrepris une seule activité. Il s’agit de faire un peu de salubrité publique, de nettoyer un peu la cité (entretien n°59 ; Plateau).’

Nous pouvons aussi ici remarquer que le sentiment de sécurité ne leur est pas inconnu, mais il ne se base pas sur les mêmes valeurs que pour d’autres groupes non acculturés. La sécurité, c’est la tranquillité (il y a peu de gens dehors la nuit), la présence des gardiens, l’ordre. La présence des amis ou de la famille n’est pas requise : leur richesse relative leur permet de se déplacer facilement en ville et ils n’ont pas de réels problèmes d’accessibilité par rapport à d’autres individus.

Ces migrants récents cadres supérieurs utilisent donc l’espace afin d’asseoir leur image sociale. La modernité dont ils se veulent les représentants passe à la fois par un environnement propre et entretenu (choix de l’espace vécu), des relations moins basées sur des réseaux traditionnels mais sur des rapports de classes (ils fréquentent les gens de leur milieu) ainsi que des références à un Occident modèle. Seule la sociabilité “ à l’africaine ” est valorisée.