III - 2 : La perte progressive des référents occidentaux

De leur voyage en Occident, il leur reste essentiellement l’impression de nostalgie qu’ils ont ressentie à l’encontre de leur pays.

Quel que soit le jugement que je porte sur mon pays, au bout de deux, trois mois, je le regrette. Je ne peux pas vous dire : voilà, c’est ce qui m’attire. C’est le milieu. [...] C’est ce qui fait que les Nigériens ne sont pas beaucoup voyageurs, il y a ce fait de toujours vouloir revenir à la maison. La nostalgie, c’est général. Vous savez en partant que vous allez de toutes façons revenir (entretien n°58 ; Wadata). ’

Le référent occidental est présent, comme pour le groupe précédent, mais atténué par le temps. Les références au passé de la ville, ainsi que, de façon encore marginale, les comparaisons avec la vie au village, sont donc utilisées plus fréquemment. Plus positifs que les migrants précédents, ils apprécient l’agrandissement de la ville, la sociabilité niaméenne.

Niamey s’est très modernisée, c’est devenu une grande ville. Je suis jeune et pour ce que j’ai vu de Niamey, Niamey a fait des bonds prodigieux. Par exemple, le quartier des ministères, à l’époque, il n’y avait que le bâtiment des Finances. Plan, Enseignement Supérieur, ce sont des bâtiments nouveaux (entretien n°43 ; Terminus).’

Mais ils sont plus critiques en ce qui concerne les moeurs des Niaméens : ils constatent la dégradation de la solidarité, en partie due à l’arrivée du multipartisme. La perception des aménagements urbains diminue, ils sont moins sensibles à l’environnement physique, ainsi qu’à leur environnement social, du moins au niveau de la ville. Mais ils se plaignent des nuisances urbaines, du bruit de la pollution ou du stress. Par rapport aux migrants récents, la ville n’est plus matérielle, l’accent est mis sur la qualité de la vie (moeurs, mentalités) et sur l’aspect social.

A l’échelle du quartier, au contraire, ce sont des préoccupations qui deviennent prioritaires. Il y a donc une réduction géographique de l’appropriation urbaine. Le groupe précédent pouvait envisager la ville comme un espace d’accessibilité maximale (peu importe d’habiter à proximité de tel ou tel endroit spécifique), tandis que, pour ces migrants, l’échelle de proximité s’est réduite et le quartier devient une zone privilégiée et fréquentée, les autres lieux de la ville s’éloignent. Au niveau du quartier, ce changement se traduit par le fait qu’ils ne lui attachent pas uniquement une valeur sociale, mais également relationnelle et fonctionnelle. Il devient en priorité le lieu de vie, mais sans que se développent cependant des sentiments d’appartenance :

A Lamordé, non seulement les lieux de travail sont à côté, les formations sanitaires sont là, on a les écoles. On n’a pas besoin d’accompagner les enfants, ils vont tous seuls. Ce sont des avantages (entretien n°48 ; Lamordé).’

Ils sont de fait plus critiques à cet égard. Cette attitude peut être due aussi à leur durée de résidence en ville puisqu’ainsi que le note Sidikou (1980) : ‘“ Tout se passe [...] comme si l’opinion sur le quartier se précise progressivement avec le degré d’urbanisation. Ce degré d’urbanisation est fonction du niveau intellectuel. Plus ce niveau s’élève, plus les gens prennent conscience et déplorent une situation plus ou moins dégradée de leur environnement ”’ (Sidikou, 1980, p. 245) :

Je n’ai pas observé de changement à Terminus, seulement des dégradations. Avant, il y avait des poubelles, maintenant ils ont pavé les rues et il n’y a plus de poubelles et ils ont des problèmes à gérer les ordures. Il n’y a pas eu d’améliorations (entretien n°43 ; Terminus).’

Même si la sociabilité est appréciée, elle n’est pas basée sur des relations de clientélisme qu’au contraire ils rejettent. Ils se félicitent ainsi d’habiter un endroit où ils ne sont pas dérangés (peut-être l’ont-ils trop été à leur retour d’Occident ?) :

J’aime Terminus car je peux y travailler sans être trop dérangé et au calme. Quand vous avez de grandes familles, les choses ne sont jamais simples (entretien n°43 ; Terminus).
ç a ne me plaît pas de vivre à Niamey car on vit pour les autres, pas pour soi-même. Les gens se mêlent de ce qui ne les regarde pas (entretien n°33 ; Poudrière).’

Comme ils sont moins sensibles à l’ostentation de leur richesse, le souci de valorisation sociale passerait par des moyens plus traditionnels de relations sociales : s’ils disent les fuir, n’est-ce pas au fond qu’ils sont fiers d’être les victimes des problèmes de parasitisme ? Ce qui expliquerait les thèmes récurrents de leur discours, tout d’abord au niveau de la ville (non plus valorisée en tant que symbole de modernité mais au travers de la sociabilité et en référence au passé), ensuite au niveau du quartier d’habitation : importance de l’aspect matériel sur le quartier (on ne vit pas comme les pauvres) et de l’aspect relationnel (on est entouré sans être ennuyé). Cette attitude reflète des compromis absents des discours des individus du groupe précédent. Elle peut être aussi comprise comme une remise en question des ambitions sociales plus occidentales, illustrées en fait par les migrants en Occident revenus récemment. Ils n’ont sans doute pas trouvé des groupes suffisamment développés pour créer une classe à part, se dissociant des systèmes traditionnels de relations sociales. Ils se rapprochent en conséquence d’une insertion plus traditionnelle.

Ainsi, nous pouvons ici faire deux hypothèses expliquant la différence de stratégies d’insertion entre les deux groupes précédents. Il peut s’agir d’un effet de génération : les classes sociales de type occidental sont des phénomènes nouveaux assimilés en premier lieu par les migrants en Occident récents tandis que les autres s’appuient encore sur des moyens traditionnels. Mais les migrants arrivés depuis plus de trois ans peuvent aussi avoir été déçus dans leur espoir d’avoir accès au modernisme (socialement et matériellement). Ils ont fini par se convaincre que leur valorisation sociale ne pourra se faire qu’en utilisant les réseaux préétablis. Pour les migrants moins favorisés qui ne sont pas cadres supérieurs, il n’est cependant plus du tout question de choix.