VII - 2 : Un espace subi

Les références à l’Occident sont ici totalement inexistantes et la vie en ville n’est vue qu’à travers le crible de la vie au village et celui du passé. La ville matérielle n’est pourtant pas mise en valeur (alors que c’est un environnement relativement différent du rural), ni la sociabilité. Le ton reste globalement très négatif, la ville est encore une nécessité subie dans laquelle ils n’ont pas développé de sentiment de familiarité. Toutefois, au niveau de la ville, ils reconnaissent que la vie y est plus facile qu’au village du fait des opportunités de travail.

Ce qui me plaît, c’est la sécurité de l’emploi, sans avoir besoin de compter sur quelqu’un. [...] Au village, je cultivais, ici je ne le fais pas. La migration m’a apporté la sécurité de l’emploi (entretien n°1 ; Plateau).
Tu te reposes par rapport à la vie au village. Ca, c’est bien, c’est pourquoi c’est mieux de vivre en ville, même si le village c’est bien. Si on a les moyens de rester en ville, c’est mieux d’y rester. Dans le cas contraire, c’est dur (entretien n°38 ; Plateau).’

Mais ils critiquent fortement les mentalités. Ils ont du mal à retrouver le même esprit de solidarité qu’au village et accusent pour cela l’influence de plus en plus importante de l’argent dans les relations sociales.

A Niamey, sans argent on ne peut pas être l’égal de quelqu’un, tandis qu’au village si, on peut être quelqu’un même quand on n’a pas d’argent (entretien n°28 ; Bandabari).’

Ils se plaignent aussi beaucoup de leur pauvreté. Pour ceux qui sont restés un peu plus longtemps, une dimension temporelle apparaît dans le discours : les gens sont plus pauvres qu’avant. Mais elle est peu développée dans ce groupe : rien sur l’amélioration de la voirie, la dégradation des moeurs et de la solidarité. L’avant, c’est le village et non la ville.

Repliés sur leurs difficultés et les regrets de leur vie passée, aucun n’a développé de sentiment d’appartenance à la ville (les points d’ancrage ne se sont développés que chez les individus plus âgés, migrants ou non). Elle est considérée comme décadente et dangereuse.

Beaucoup de choses me déplaisent. Notamment les voleurs qui tuent sans scrupules et les gens qui sont trop bagarreurs, qui ne respectent rien ni personne (entretien n°38 ; Plateau).’

Pourtant ils ne se plaignent pas des nuisances urbaines comme le stress et la pollution auxquels ils sont peu sensibles, ni même d’ailleurs du manque de sens civique des citadins.

Les discours sur le quartier d’habitation relèvent le peu d’affectivité qu’ils accordent à cet espace, l’important c’est d’être à côté de son lieu de travail, essentiellement pour des raisons économiques et de déficiences de réseaux sociaux. L’espace de proximité est donc impersonnel, anonyme et ils ne s’y plaisent pas plus qu’en ville.

Mon quartier ne me plaît pas trop. Mais je ne veux pas déménager car je suis à côté de mon lieu de travail et je peux m’y rendre à pied si ma moto est en panne ou si je suis fauché (entretien n°34 ; Liberté).’

Il pourrait paraître étonnant qu’après plus de 10 ans, le caractère provisoire de leur migration soit toujours profondément ancré chez ces migrants ruraux récents, mais les difficultés d’insertion professionnelle (des emplois précaires et peu rémunérés) et sociale (comme par exemple le peu d’individus ayant fondé une famille en ville) peuvent expliquer le malaise et le rejet qu’ils continuent à exprimer face à un espace qu’ils jugent répulsif à leur égard. La ville garde un aspect très utilitaire, d’un strict point de vue professionnel.