D’UN ITINERAIRE PERSONNEL A UN ITINERAIRE PROFESSIONNEL “Cheminements”

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Cheminement chorégraphique

Nous avons choisi le chemin le plus difficile pour nous. Ecrire pour dire, transmettre une expérience construite avant tout sur des sensations, de celles qui nous ont toujours aidés à réussir nos projets de création avec nos élèves ou nos complices. L’écriture renforce notre goût de partager une intimité dans laquelle il nous semble possible de rencontrer celle des autres, qui correspond à la conviction que chacun porte en soi une partie des autres, seul moyen de partage des actes et des pensées. Situation paradoxale que celle qui place l’intériorité comme sujet même d’universalité, potentialité dynamique de l’acte créateur qui s’offre à l’échange.

‘“Chaque fois que le sujet est confronté à l’expression de soi, il donne prise à ce qui, en lui, est de l’ordre de l’altérité. Peut-être n’y a-t-il de travail psychique dans la création qu’au travers des opérations de transformation du noyau primaire d’étrangeté qui habite le sujet” 7

La création de danse nous a permis maintes fois de partager des sensibilités et des imaginaires sans mots. Comment trouver les chemins de l’écriture pour exprimer des pérégrinations, des égarements et des rêveries, dès lors qu’une tentative d’explications de la danse se profile ?

Première étape : avoir une idée. “‘Une idée est à la base de tout travail chorégraphique ... L’idée provient d’une émotion ressentie... Savoir écouter, regarder, sentir, toucher, mettre son corps à l’écoute de ce qui nous entoure : être en éveil ! voilà autant de pistes à suivre pour se rendre disponible à la création’”8

L’idée d’écrire sur l’enseignement de la danse nous est venue tardivement. Elle a germé lentement, surmontant les périodes d’activisme de créations chorégraphiques et celles d’étouffement dues au sentiment d’incompétence. Notre expression privilégiée est le mouvement et la parole. Pas l’écriture. Cependant, nous avons senti le besoin d’une pause suscitée par des sensations de malaise corporel conséquence à la fois du vieillissement d’un corps devenu moins habile, et des difficultés rencontrées dans l’exercice même de notre métier. Le besoin d’écrire exprime une envie d’échapper à une dépression qui nous insupporte tant nous avons envie d’être actif et présent auprès de ceux que nous avons toujours aimé : les adolescents.

Nous avons décidé de “nous mettre à l’écoute de ce qui nous entoure” et dans cette recherche de relation empathique avec les adolescents et les collègues d’EPS, nous n’avons fait qu’accroître notre trouble.

Notre groupe de danseurs scolaires volontaires s’est considérablement modifié ces dernières années, accompagnant ainsi une adaptation du collège à une nouvelle carte scolaire, qui a vu la concentration d’enfants issus des quartiers les plus défavorisés de la ville. Ce groupe exclusivement féminin a pris l’initiative de danser comme il lui plaît, seule condition pour sa participation à un projet départemental de création. Nous avons vécu cette expérience depuis cinq ans, où l’enseignant n’est plus la référence culturelle. Nous avons observé comment les aînées les plus expérimentées prenaient en charge les plus jeunes, comment la transmission des mouvements stéréotypes s’organisaient, quels étaient les désirs de ces adolescentes toutes imprégnées des cultures “Funk” “Dance” et “Hip hop”. Nous avons ressenti le décalage culturel et tenté d’échapper à notre démission face à ce groupe. Nous avons assisté, désarmé, aux chocs des cultures, aux incompréhensions. Les élèves refusent d’entrer dans une danse qu’ils ne reconnaissent pas comme possibilité de valorisation corporelle, dans une danse qui “met la honte”. Quel sens peut prendre l’enseignement de la danse dans ce contexte scolaire ? Contexte scolaire dont fait partie l’enseignement de l’éducation physique et sportive.

Nous avons d’abord vécu la marginalisation de la danse comme un défi éducatif à relever : la danse en opposition au sport et son aliénation corporelle !

La danse dans le cadre de l’éducation physique a toujours été pour nous une évidence. Notre histoire corporelle est construite à partir du geste dansé. Les pratiques sportives ont complété et ouvert notre expérience du mouvement sur des registres émotionnels non contradictoires. La prévalence des rapports sensibles, directs, avec l’environnement et autrui, ont conforté notre goût pour les communications corporelles où l’esthétique tient une large place. Cette évidence est mise à mal dès lors que nous travaillons en équipe et que nous constatons que les partenaires n’ont pas cette compréhension de l’enseignement. Leur histoire personnelle est faite uniquement de pratiques sportives, souvent de haut niveau. La danse et les arts ne croisent pas leur vie culturelle. Dans tous les cas, ce qu’ils retiennent de ces pratiques récréatives ou expressives les gênent physiquement. Les codes corporels, les mises en scène du corps dansant ne trouvent pas de résonances dans leur façon de communiquer. Il leur paraît tout à fait ridicule de faire danser un corps de sportif tant il semble être attaché à des valeurs de virilité, de puissance physique et de domination, alors que la danse est du domaine de la féminité, de la séduction et de l’abandon.

Reprenant la réflexion de Karin WAEHNER, nous sommes ‘nourris d’émotions’ suffisamment fortes pour éprouver le besoin de “faire-quelque-chose”, le désir de se jeter dans l’exercice périlleux de la création ... de l’écriture.

Deuxième étape : “‘Improviser. Comment va-t-on procéder pour que cette idée devienne danse ? ... Le recours à l’improvisation est primordial. Il permet de mettre à jour l’idée, de lui donner vie ... Le travail d’improvisation sert à trouver le matériel utilisable pour la chorégraphie, sans prétendre pour autant déjà chorégraphier...”9

L’improvisation en danse suscite un effet cathartique pour le danseur. Elle lui permet d’exprimer ses clichés corporels, les formes dans lesquelles il est englué. Par ce jeu d’énonciation, le danseur découvre progressivement qu’il est capable d’aller au delà, qu’un registre tout à fait inattendu de sensations naît. S’ouvrent alors de nouveaux espaces au mouvement. Est-il possible d’improviser à partir de problèmes professionnels, de travaux de recherche, et de dégager une problématique ? Nous avions ce désir de parler de l’enseignement de la danse au collège, mais nous devons trouver la méthode.

Nous avons exploré ce que nous espérions le mieux connaître : le collège et ses textes officiels régissant l’enseignement de la danse. Nous avons voulu ressentir et comprendre la danse comme expérience humaine fondamentale. Nous avons essayé de réinventer, de répéter les actes d’enseignement comme autant de gestes signifiants. Toutes ces démarches devaient nous permettre de répondre à la question principale : quelle pratique de la danse est enseignée au collège ?

En poursuivant le cheminement qui reflète notre processus de création et/ou de recherche, nous structurons, dans des allers et retours permanents, ce que nous appelons en danse des modules gestuels, qui serviront d’appuis référentiels pour une chorégraphie. Dans notre travail, les modules sont plutôt des “morceaux choisis” qui éclairerons la problématique.

Notes
7.

CHOUVIER (B) “Symbolisation et processus de création”. Dunod. Paris.1998. 7 p.

8.

WAEHNER. (K). “Outillage chorégraphique”. Vigot. Paris.1993. 11 p.

9.

WAEHNER. op cit. 12 p .