Le corpus

‘Les textes officiels de l’éducation physique et sportive pose la problématique de l’enseignement de la danse dès les années 1950 ’

Nous avons choisi d’analyser la danse scolaire d’aujourd’hui, à travers sa récente histoire, persuadé que nous étions de l’importance des influences du contexte culturel. Il fallait donc bien vérifier cette hypothèse et pour reprendre VIGARELLO mesurer la relativité des savoirs dans le temps. Cette histoire commence avec celle de la création des collèges, lorsqu’au même moment, en 1950, des instructions invitent les enseignants à ne pas faire de danse à l’école.

Nous avons recensé 4 grands moments (1950, 1967, 1985, 1995) qui ont, chacun, modifié l’enseignement de l’éducation physique. Les textes officiels combinent des objectifs, des mises en oeuvre et des démarches pédagogiques que nous prenons comme autant de caractéristiques qui éclairent les modèles culturels véhiculés. Ces énoncés concernant la danse sont toujours situés dans le contexte de l’éducation physique et sportive, et mis en regard des pratiques culturelles. Cette contextualisation se fait à travers la revue “EPS”, revue prisée par les enseignants d’EPS et fiable indicateur de ce qui compte pour la profession à un moment donné.

Les entretiens semi directifs ont permis de faire parler les enseignants à la fois librement et de manière conduite, afin de pouvoir ensuite les comparer.

Nous avons dû constituer les écrits des enseignants. Pour ce faire nous avons décidé de les rencontrer et de mener avec eux des entretiens.

L’échantillon devait refléter une réalité de “terrain”.

Nous avons choisi de nous intéresser à des enseignants qui prennent des responsabilités dans la profession et qui sont reconnus par leur entourage comme des enseignants à la recherche d’innovations pédagogiques, ou en tout cas très impliqués au niveau des élèves dans leur établissement. Ils participent tous à la formation continuée des enseignants.

Ensuite nous avions la curiosité d’aller écouter des enseignants qui se différencient par leur expertise dans l’activité danse, imaginant ainsi que leur conception devrait être naturellement variée. Au début de nos entretiens, notre grille de lecture ne ressemblait pas à celle présentée maintenant. Nous nous questionnions alors à propos de la difficulté de faire exister une culture sportive et une culture artistique. Ainsi nous pensions que leur motivation ou leur non motivation à enseigner la danse pouvait être source de compréhension des problèmes rencontrés.

Nous avons isolé trois groupes d’enseignants. Des enseignants qui proposent cette activité dans le cadre normal d’une programmation. Nous les avons appelé les enseignants E. Nous sommes allée rechercher des enseignants qui refusent d’enseigner cette activité, peu importent les raisons, ils évitent cet enseignement. Nous les avons appelé les enseignants E -.

Il existe un autre groupe d’enseignants qui lui, milite en faveur de la danse. En plus de l’enseignement obligatoire, il propose cette activité dans le cadre de l’association sportive, activité facultative et volontaire des élèves qui choisissent de participer à des créations de spectacles, à des rencontres inter établissements. Ces enseignants dits experts, nous les appelons les enseignants E+.

Chaque groupe est constitué de six enseignants dont les années de formation s’étalent de 1967 à 1990 en rapport avec les années de sortie des textes officiels. Nous désirions aussi qu’ils ne soient pas trop jeunes dans la profession pour qu’ils puissent réellement parler de leurs expériences professionnelles. Nous avons de plus, voulu prendre en compte le sexe afin de constituer un groupe représentatif non pas de l’enseignement de l’EPS, mais de celui de la danse. Deux garçons pour quatre filles c’est accorder aux hommes beaucoup de place, car ils sont les plus réfractaires pour enseigner cette activité. Nous voulions être attentive à leurs expressions qui sont souvent dominantes dans le monde de l’EPS.

Nous avons donc interrogé dix huit enseignants en poste dans notre académie, mais dont les lieux de formation initiale sont différents. Certains de ces enseignants nous connaissent mieux que d’autres et nous pensons qu’il est nécessaire de le prendre en compte, car certaines personnes se sont mieux confiées que d’autres. Nous avons pris le temps, avant l’entretien, d’informer les enseignants sur notre recherche exprimée en ces termes : enseigner la danse semble une difficulté dans le cadre de l’EPS, nous tentons de comprendre les problèmes rencontrés par une écoute compréhensive qui retient les motivations et les compétences avouées et reconnues.

Les questions identiques pour tous nous garantissait d’une trop grande subjectivité. (voir annexe 1 Partie III)

Nous avons établi une grille de questions, passage obligé pour l’entretien. Nous l’avons élaborée alors que notre modèle n’était pas encore abouti. Nous voulions d’abord inciter des échanges spontanés, et les premières questions invitaient l’enseignant à parler de sa formation initiale, de son vécu en danse dans cette formation : un retour en arrière, où pour tous les enseignants nous étions absente de leur vie ! Ensuite nous proposions une série d’items concernant la danse, ils pouvaient en choisir un ou deux. Notre désir était de comprendre les valeurs qu’ils attribuaient à la danse en référence à notre cadre d’analyse, dans l’objectif de la comparer à l’ensemble du discours par la suite. Nos questions se poursuivaient autour de l’idée que la danse est peu enseignée et envisageaient les problèmes et les réponses apportées. Les différents degrés d’expertise en danse pouvaient peut être nous éclairer sur ce qui fait la spécificité de la danse par rapport à l’enseignement des pratiques sportives, et permettre ainsi une compréhension diverse des cultures sportive et artistique. Afin de mieux situer l’enseignant dans son univers culturel personnel, une série de questions s’attachaient à mesurer les échanges vécus à travers des spectacles, des expositions etc ... et la connaissance de chorégraphes. Pour conclure, nous les invitions à donner cinq mots concernant l’enseignement de la danse, toujours dans l’idée de casser les réponses un peu trop organisées de par ma présence. Leur besoin de formation achevait l’entretien.

Cette grille de lecture n’a pas été influencée par notre modèle qui s’est élaboré ensuite. Cependant nous avons regretté notre constitution d’items sur les valeurs accordées en danse. Nous aurions pu les rédiger pour qu’ils soient plus “parlant” pour nous. Malgré cette difficulté ressentie en cours d’expérimentation, nous n’avons pas changé notre questionnaire.

La durée égale pour tous laissait libre la quantité de discours.

Chaque entretien dure une demi-heure, très précisément pour tous. Il est enregistré, et traduit ensuite textuellement. Nous prenions des notes pendant l’échange. Ce qui nous permettait de retenir les propos les plus signifiants pour nous, et qui nous libérait d’une communication trop directe et, du point de vue émotionnel, trop forte. Nous avons pu mesurer différents décalages entre le vécu “à chaud” et la retranscription de la bande son. Le premier concerne la dynamique de l’entretien et sa réalité retranscrite. A plusieurs reprises, le sentiment d’avoir vécu un échange chaleureux et très riche a été contrarié par le relevé, celui-ci apparaissant pauvre, sans contenu, avec une logique d’intervention difficilement appréciable. Les prises de notes qui devaient laisser filtrer les aspects importants de l’échange, n’étaient pas en accord complet avec l’enregistrement. A cette double écoute, des éléments fondamentaux nous avaient échappé et s’imposaient à nous. Enfin, nous avons remarqué que la retranscription cachait aussi, les engagements personnels dans les discours. Ceux-ci se traduisaient par des mouvements accompagnant les dires, ou au contraire, par une position relativement immobile et neutre.

Ces différentes appréciations nous ont incité à écrire les portraits des enseignants et redonner de la vie à nos personnages. Il nous est apparu aussi une grande disproportion dans le flot de paroles des discours, alors que l’entretien avait une durée analogue, et sans pour cela que nos interventions soient plus longues. Cette différence va du simple au double dans la quantité, qui dans un texte peut se mesurer facilement. Le rythme d’élocution des enseignants varie, mais nous n’avons pu que le constater, sans pouvoir assurer une interprétation possible.

‘L’enseignante et son cycle d’enseignement confrontés à la dynamique des apprentissages témoignent d’une didactique de la danse en acte.’

Nous avons constitué notre corpus à partir de plusieurs données :

  • Les situations d’enseignement proposées par l’enseignante et rédigées par elle à notre intention. Ces préparations font apparaître les objectifs, du cycle, des séances et des situations. Nous possédons par écrit les situations proposées sous forme de tâches avec l’ensemble des contraintes ainsi que des critères de réussite. (voir annexes 4 et 6 Partie IV). L’enseignante nous a fourni aussi ses évaluations des danses à la fin du cycle d’enseignement.

  • Les écrits des élèves : l’enseignante incitait les élèves à décrire les images retenues lors des présentations des danses. Celles-ci étaient organisées deux fois dans le cycle, à la deuxième séance et à la sixième et dernière séance (Voir annexes 5 et 7 Partie IV). A ces descriptions s’ajoutait le titre deviné de la danse observée. Ces fiches qui constituaient les évaluations des danses, ont représenté notre base de données concernant les élèves. Nous avons choisi de relever les écrits de 11 élèves. Deux groupes de création (un féminin, l’autre masculin) constitués de quatre élèves chacun, et trois élèves dits en difficulté scolaire, identifiés ainsi par l’enseignante et son équipe (voir annexes 8, 9, 10 Partie IV).

Ces matériaux ont été mis en regard de deux autres données : une enquête préliminaire concernant les représentations de la danse en début d’enseignement (voir annexe 1 Partie IV). Une évaluation intermédiaire s’est déroulée après une situation d’apprentissage. Ces deux recueils ne reposaient pas comme les évaluations sur des textes libres d’élèves, mais procédaient par questions avec des réponses proposées au choix.

Pendant la durée du cycle d’enseignement notre modèle était en voie d’élaboration et nous regrettons là aussi notre écriture des solutions possibles concernant notre enquête préliminaire. Au cours de cette période nous recherchions davantage quelles étaient la sensibilité et l’intelligibilité des danses des élèves, et nous avons peu questionné ceux-ci sur la sociabilité. La motricité elle, n’était que vaguement envisagée, toujours par rapport à une esthétique probable.

Les écrits des élèves (voir annexe 5 et 7 Partie IV) sont des documents à l’état brut, documents ordinaires d’ enseignant. Ils n’ont pas été mis en place avec toute l’attention requise d’une recherche scientifique, qui aurait dû mesurer les conditions particulières qui entourent la production de tels documents. Les élèves étaient assis par terre, assez proches les uns des autres ne pouvant pas garantir une individualisation stricte des réponses. Le temps imparti à cette description n’a pas été géré pour tous les groupes avec précision. Lors de la présentation des danses, les élèves sont tour à tour spectateurs et danseurs. Il est clair qu’un groupe n’apprécie pas de la même façon lorsqu’il doit présenter sa danse immédiatement après l’observation, ou lorsqu’il est déjà passé devant ses camarades. L’émotion de l’acte de représentation est un frein à l’écriture et à la mémorisation de ce qui est regardé. Nous n’avons pas de relevé pouvant nous renseigner sur cette question. Ces descriptions d’élèves nous permettent d’approcher des tendances générales d’élaborations culturelles sans pour autant prétendre à une véracité.

Nous pouvons constater, comme nous l’avons annoncé, que notre corpus est hétérogène et varié. Cette diversité tend à mettre à jour des modèles culturels dont les constitutions proviennent, soit d’éléments théorisés, soit d’histoires reflétant des articulations originales de pratique et de théorie, soit de vécus non distancés. Nous les lisons pourtant avec le même filtre d’analyse qu’il s’agit maintenant de tracer à partir d’une catégorisation choisie.