La composition du modele.

La motricité.

‘ “La colonne vertébrale est l’instrument fabuleux que la nature a mis au service des créatures, au cours de leur développement, pour relier entre elles les différentes parties du corps. En faisant se dresser cette colonne vertébrale de la situation horizontale à la verticale, l’homme a fait plus ; il a établi à travers son corps un passage entre la terre et le ciel. Le diaphragme, notre coeur en second, sépare les sensations des émotions, comme un écran entre elles. Mais il peut être aussi un lien” 63 .’

Nous étudions la motricité à travers les analyses du mouvement, menées par des chercheurs dont les travaux s’intéressant à l’apprentissage moteur, et par ceux qui ont défini le mouvement dansé. Cette double mise en lumière nous semble une nécessité pour pouvoir intégrer les visions spécifiques du contexte de l’éducation physique scolaire et définir ainsi des catégories de compréhension. Celles-ci expliquent une progression dans les approches du corps. De la première, assez globale et polyvalente qui permet d’inclure un grand nombre de pratiques corporelles, à la dernière catégorie, conception plus spécifique du corps dansant.

‘La catégorie 1 exprime une motricité qui produit du mouvement ou des formes, et met en valeur le corps et ses contours.’

La motricité en EPS est envisagée à partir de comportements moteurs observables, dans le cadre de tâches à réaliser et qui mobilisent la capacité du sujet à coordonner des actions, à ordonner et positionner des parties de corps en vue de fixer des postures. Ces actions et ces équilibres sont rendues possibles grâce à l’activation et à la réorganisation de programmes moteurs plus anciens, qui assurent une certaine stabilité aux réponses motrices. Le comportement moteur se traduit donc par des actions, par des formes gestuelles identifiables et qui peuvent être décrites dans leurs apparences comme dans leurs nombres sans pour cela rechercher les processus mis en jeu.

En danse, la nature de la motricité est particulière. Le mouvement dansé se développe sans pression extérieure ou finalité, qui se construirait hors du sujet. La gratuité du mouvement dansé est une transgression par rapport à l’efficience recherché dans tout mouvement. Il a de ce fait été dévalorisé, voire réprimé. Le danseur contrôle ses actions dans le seul but d’agir sur ses potentialités physiques et expressives.

“‘La motricité du danseur est essentiellement abstraite’” 64, et pour reprendre SERRE, elle peut être qualifiée de morphocinèse : “‘une motricité dont la finalité réside dans la production de formes, appréciées en elles mêmes, qui préside aux relations de l’individu avec son milieu social à des fins artistiques’” 65.

La motricité peut donc être aperçue à partir des formes qu’elle produit, des figures, des mouvements au sens large. Cette approche renvoie à l’aspect visible ou extérieur de l’action dansée. Les références à des formes gestuelles sont implicites, et les actions corporelles sont gommées au profit d’une apparence. Le mouvement n’est pas abordé ici comme un matériau vivant. Il est un donné à voir évasif, et constitue pour nous le premier temps d’un regard naïf (“pur” ?) sur le corps dansant.

Dans les discours, tous les termes faisant référence à une acception très large et vague reposant sur une approche universalisée, voire formaliste du corps dansant, seront classés dans cette catégorie. Nous retrouvons les mots suivants : Corps - Mouvement - Geste - Bouger - Formes - ...

‘La catégorie 2 rend compte d’une motricité efficiente qui se mesure par le contrôle d’une mécanique dont l’ensemble des rouages est coordonné et adapté aux situations évocatrices.’

La motricité donne à lire des coordinations motrices plus ou moins élaborées, et un schéma corporel maîtrisé.

La psychologie du développement a montré comment, à travers de grandes étapes, l’enfant construit dans l’activité sensori-motrice, des connaissances de l’action indispensables pour accéder à l’abstraction. La motricité est donc un terme générique pour rendre compte d’organisations motrices dirigées en vue d’objectifs à atteindre, témoignage de comportements adaptés et efficaces. La motricité extériorise des savoirs-faire particuliers, en rapport direct avec un contexte où se déroulent les pratiques corporelles. Elle rend compte d’une activité adaptative qui mobilise “‘une locomotion, une équilibration et une coordination’” spécifiques.

L’ensemble des coordinations d’actions que le corps élabore s’effectue à partir de patterns moteurs, de programmes moteurs pré-cablés. Cette approche des comportements moteurs permet de classer et de répertorier des familles d’actions qui mettent en jeu différemment les parties du corps.

Marielle CADOPI tente d’analyser ainsi le mouvement dansé en s’interrogeant sur ce que pourraient être ces classes d’action de base en danse. “‘Plier naturellement sur ses jambes est-il le programme moteur généralisé de base, de la classe des pliés en danse ?’”66.

Cette analyse du mouvement, et ses conséquences, semblent fondamentales pour tous les professionnels concernés par les apprentissages en danse.

Cet auteur nous le verrons ultérieurement, articule de façon intime l’utilisation des propriétés bio-mécaniques du corps avec la construction des sensations proprio et intéroceptives. Dans notre modèle, nous sommes aussi tentés, déjà, de lier la motricité et la sensibilité.

En EPS, et dans les discours, nous classons dans cette catégorie tous les termes faisant référence aux coordinations d’actions, aux organisations posturales. Les mots référents sont : Enchaînements - Déplacements - Verbes d’actions - Sauts - Tours - Appuis - et les parties de corps identifiées dans le mouvement (tête, bras, bassin ... ) - Coordinations ...

‘La catégorie 3 illustre une motricité morphocinétique dans ses processus d’élaboration de mouvements expressifs, grâce à une combinatoire de matériaux.’

La motricité est jusqu’ici appréhendée comme une activité du corps, universelle. Nous savons cependant qu’elle n’est efficiente que confrontée à un contexte particulier, que les enseignants doivent construire grâce à des situations pédagogiques porteuses de ce que Paul GOIRAND appelle les problèmes fondamentaux de l’activité sportive. Ceux-ci s’expriment en termes contradictoires et situent les activités humaines comme de grands champs d’expérimentation et de communications inventives avec l’environnement.

Cette catégorie rassemble tous les aspects plus complexes de la motricité, qui s’élaborent dans les pratiques de danse.

Le corps peut avoir des trajets différents et constituent ce que LABAN a appelé “l’icosaèdre”, qui rend visible l’espace corporel, tel un volume, dans lequel chaque point de l’espace peut être investi par le mouvement. La danse est aussi une organisation du temps, des accents. Elle libère le poids du corps de la sensation gravitaire quotidienne. Le mouvement dansé se joue du temps comme de l’espace. Il utilise l’écoulement de l’énergie dans le corps, “‘le réseau de tensions et de contre tensions que le danseur se doit de découvrir’” 67. La motricité dansante peut être analysée à partir des qualités du mouvement lorsqu’elles structurent de façon harmonieuse et consciente les organisations posturales, dans le temps, dans l’espace et en modulant l’énergie.

La danse contemporaine a élaboré ainsi à partir de “ce matériau”, une nouvelle approche éducative du mouvement qui a été largement reprise par les enseignants d’EPS.

Les trois composantes, espace, temps, énergie, sont “‘susceptibles de combinaisons infinies. Ce n’est qu’à des fins d’analyse qu’il est possible de les examiner isolément. De fait, elles sont indissociables’” 68, indissociables également des parties du corps en jeu. Ce type d’étude du mouvement dansé tente d’inclure un grand nombre de pratiques de danse et révèle une approche universelle de la danse. Elle facilite la création de mouvements originaux, personnalisés par le simple jeu des combinatoires entre les composantes.

Dans cette catégorie, la motricité est envisagée comme une combinaison originale d’invariants du mouvement. Les termes retenus dans les écrits et les discours sont les composantes du mouvement et tout ce qui peut les qualifier. Ce sont : Energie - Espace - Temps - Rythme - Dynamique - Large - Vite - Fort - ....

‘La catégorie 4 refléte une approche de la motricité à travers l’ensemble de ses techniques, qui exprime une maîtrise des codes corporels variables selon les styles de danse.’

La danse peut aussi être perçue comme l’expression d’une technique spécifique. Les techniques du corps représentent des constructions sociales qui se transmettent en même temps que l’appartenance de classe (Mauss69 ). Elles sont donc un ensemble d’actions efficaces, normées, reproductibles. Elles peuvent être considérées comme un ensemble de savoir-faire pertinent qui ne se réduit pas à des codes gestuels, mais dont la maîtrise peut libérer le danseur et lui permettre d’accéder à l’expression personnelle. Toutes les techniques sont élaborées dans ce sens. Elles sont des trouvailles individuelles dont les degrés d’efficience permettent la généralisation. Ce sont ensuite dans les processus d’acquisition que les scléroses apparaissent, dues à la disjonction de leur lieu d’émergence.

Les techniques sont attachées à des valeurs du corps et cristallisent une construction originale de relations entre la perception d’un idéal de corps et l’environnement. La technique classique a déréalisé le corps, l’a épuré du quotidien pour en faire un objet de contemplation plastique, réglé par esthétique classique des formes.

La technique de Martha GRAHAM a contrôlé les rapports du corps avec la terre, et la sexualité. Elle a suscité une perception esthétique différente : celle des sensations. Elle a construit le bassin comme origine du mouvement et déploiement d’énergie.

La technique de José LIMON a cherché à maîtriser les déséquilibres, la pesanteur, en introduisant la notion de suspension et de récupération, etc ... Cette technique a libéré le danseur de son centre, l’espace est devenu mouvant, projeté hors de lui, et a mis à jour une nouvelle lecture esthétique.

Nous pourrions ainsi analyser toutes les techniques de danse. Elles rendent compte d’une singularité qui s’exprime dans un contexte particulier.

Cette catégorie envisage donc la motricité à travers ses techniques qui cristallisent des relations particulières au corps, aux autres et aux objets ... Les mots référents classés dans la catégorie 4 sont : Technique - Placement - Norme - Base - Vocabulaire - Positions - Seconde - Attitudes - ...

La motricité dansante, nous l’avons vu, peut être abordée sous quatre angles allant du plus général au plus particulier : de formes et de figures, elle est ensuite analysée à travers des coordinations d’actions qui restent dans le domaine de l’Education Physique en général. Puis les combinaisons diversifiées de l’espace, du temps de l’énergie, du poids du corps, sont les matériaux du mouvement dansé dans une approche qui caractérise la danse contemporaine dans toutes ses expressions. Elle peut enfin être reconnue par ses techniques qui lui confèrent des styles particuliers et une spécificité qui la contextualise dans l’espace et dans le temps.

Notes
63.

DUPUY.(D). “La danse du dedans”. (1981) in, La danse, naissance d’un mouvement de pensée. Armand Colin. Paris.1989.111 p.

64.

CADOPI.(M). “Le corps outil et matériaux” in, La danse, le corps enjeu. op cit. 148 p.

65.

SERRE.(JC). “La danse parmi les autres formes de la motricité” in, La recherche en danse. n°3 1984. Université Paris-Sorbonne. (Paris IV). Paris.139 p.

66.

CADOPI. (M). op cit. 152 p.

67.

LABAN cité par LAUNAY. “A la recherche d’une danse moderne”. Chiron. Paris. 1997.114 p.

68.

ROBINSON.(J). op cit. 47 p.

69.

MAUSS (M). “Les techniques du corps” PUF. (réédition). Paris.1950.