Les hypothèses de travail.

Afin d’analyser, de comparer et de comprendre les modèles échafaudés à partir des textes et des discours, nous établissons deux hypothèse de travail.

‘Hypothèse 1 : la modèle est vivant et dynamique s’il est équilibré et cohérent.’

Nous faisons l’hypothèse que les modèles culturels qui se transmettent sont des modèles qui articulent de façon cohérente les quatre éléments et des valeurs. Ce sont donc des modèles discursifs et complets, qui lient de façon équilibrée les 4 éléments. Si un élément disparaît, le modèle est défaillant. Autrement dit, le modèle de référence d’une danse se compose de valeurs explicitées qui articulent une motricité particulière, qui réactive une sensibilité et une sociabilité, elles-mêmes articulées à une intelligibilité.

Accorder à la danse une valeur de divertissement, peut par exemple, organiser le modèle suivant : une motricité élaborée en rapport avec une virtuosité technique, une sensibilité accordant une grande place aux perceptions visuelles et aux émotions, une sociabilité construite à partir d’un style favorisant l’identification, une intelligibilité faisant une large place aux images et aux sensations. Ainsi formalisée, cette danse peut renvoyer à des pratiques culturelles spécifiques, ou alors, à une pratique plus universelle du divertissement dansé. Si dans l’enseignement de la danse de divertissement, un des quatre éléments est absent, le modèle perd son sens et sa dynamique interne.

Imaginons l’apprentissage d’une danse dont la finalité est de jouer avec son corps et de prendre du plaisir avec le mouvement. Si la situation proposée incite les élèves à enchaîner des mouvements dans l’espace et de les mémoriser, nous disons que cette situation ne permet pas à l’élève de construire une danse qui a du sens pour lui. L’élément sensibilité est absent et par là même l’accession au plaisir est limitée et floue, tout comme la sociabilité. Ce sont les constructions personnelles qui vont équilibrer les manques pour ceux dont les activités culturelles sont connues. Pour les autres c’est l’ennui qui commence !

Le manque de cohérence entre les valeurs du modèle et les quatre éléments rendent celui-ci inopérant. Prenons l’exemple d’une danse dont la valeur attribuée est de favoriser la rencontre, de privilégier un type de relations humaines. Ce sont les valeurs invoquées lorsque l’on fait pratiquer aux élèves une danse de couple comme le rock. Il semble logique d’accorder de l’importance à l’élément socialisation, et de construire les trois autres en liaison dynamique. Pourtant un grand nombre d’enseignements commence par les apprentissages de pas, réalisés seul, qui incitent à des prises de repères précises sur la musique (ouïe) et à une mémorisation construisant logiquement les coordinations dans le temps. Cet exemple montre une articulation incohérence des valeurs avec les éléments, ce qui ne permet pas au modèle culturel de se construire.

‘Hypothèse 2 : le modèle est ouvert s’il comporte un grand éventail de catégories.’

Nous faisons une seconde hypothèse de travail : chaque élément du modèle est décrit selon différentes caractéristiques. Chaque individu tisse de façon particulière les éléments en prenant plus ou moins en compte ces caractéristiques. Nous supposons que les modèles culturels qui investissent le maximum des catégories de chaque élément est passible d’être un modèle plus universel, pour nous plus poreux. Nous voulons dire que ce modèle est plus ouvert vers d’autres modèles, plus ouvert au métissage, qu’un modèle qui n’utilise qu’une catégorie.

Un modèle est dit ouvert si, dans le registre de la motricité, le mouvement est expérimenté comme une organisation motrice complexe, qui se joue du temps de l’espace et de l’énergie ; qui produit des techniques plus ou moins sophistiquées. Si dans le registre de la sensibilité, les trois perceptions fondamentales sont mises à l’épreuve et en synergie, si les émotions, les images et la perception esthétique sont testées. Si dans le registre de la sociabilité, les différentes relations sociales que permettent les communications corporelles sont approchées. Si les différentes formes d’intelligibilité des danse ont été vécues. Ce modèle culturel ouvert, peut se vivre à travers des formes de danses particulières. La seule condition requise est l’expertise de la danse. ... ou alors de la conscience du modèle théorique.

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Graphique 2 : Le modèle théorique du « pratiquant culturé »

Ainsi, nous sommes en mesure, grâce à notre modèle, de construire un scénario pour notre recherche, comme nous pourrions le faire pour une chorégraphie.

Nous avons, dans un premier temps décrit le contexte, ou “planté le décor”. Celui-ci situe notre réflexion dans un champ théorique hétérogène, autrement dit, donne à l’espace une ambiance lumineuse non franche. Se dessine, à contre jour, un modèle formel élaboré à partir de matériaux bien définis, qui devient la référence, soit de la réflexion soit du mouvement.

La dynamique de cette recherche, le rythme de cette chorégraphie sont apportés par les combinaisons variées et originales des éléments qui composent notre modèle. Nous avons répertorié trois temps distincts qui nous donnent à penser, ou à voir, des alchimies toutes insolites et singulières, dont les cohérences sont analysées.

Cette recherche que nous avons présentée un peu comme une chorégraphie en gestation, se déroule en trois tableaux : le premier, les textes officiels, le second, les enseignants, le troisième, les élèves.

Nous avons tenté dans la première phase de notre rédaction de trouver une forme d’écriture en accord avec le mouvement dansé, cherchant à se jouer du temps, des images, d’un réel réinventé.

Nous ne pouvons cependant plus conserver notre jeu exploratoire des correspondances entre danse et recherche. L’analyse de contenu nous oblige à une nouvelle rigueur, tout comme la prise en compte des personnes que sont les enseignants et les élèves.

Nous changeons alors de ton. La présentation de la méthodologie nous a déjà incitée à le faire. L’écriture devient linéaire et structurée dans le temps. Les allers et retours, les hésitations, les métaphores ne peuvent plus envahir la pensée. Nous savons que cet essai d’être objectifs pour regarder une certaine réalité n’est qu’une tentative illusoire de partager un objet dont les contours pourraient être identifiés de la même manière par tous ceux qui l’observent. Notre subjectivité reste à l’oeuvre dans la catégorisation et le classement des mots. Ils rendent compte du “pratiquant culturé” que nous sommes, ressemblant ainsi à la glace du studio de danse qui révèle les fêlures d’un corps minutieusement travaillé.

‘ “Dernières émotions avant la fin” . Juin 1994.
On a peur de revenir en arrière, d’être rattrapés par nos autres chorégraphies. Cette peur est excessive. Nous savons que cette pièce est différente, sans être pour autant étrangère à ce que nous avons déjà crée. Le stress s’apaise. On décide de travailler sans se juger. Sans renier le passé, on ressent pour la première fois la difficulté d’imaginer de façon neuve ... On se sent en vie...” Joëlle BOUVIER / Régis OBADIA121
Notes
121.

BOUVIER-OBADIA. “L’effraction du silence” in, Mémoire vivante op cit. 57p.