Le contexte culturel

La danse est en plein essor. Les années 1980 marquent un tournant à la fois artistique et institutionnel. Le développement grandissant de la danse, amateur et professionnelle, incite le gouvernement à reconnaître la danse comme un art à part entière, et a crée une délégation de la danse au ministère de la culture. Celui-ci attribue des subventions et propose des implantations temporaires à des compagnies de danse contemporaine. L’opéra s’ouvre aux chorégraphes modernes. L’année 1988 est déclarée “année de la danse”, et provoque ainsi une grande diffusion des oeuvres classiques et modernes dans des lieux culturels et à la télévision.

Avant d’analyser les créateurs influents de cette époque, nous examinons la revue “EPS”. La danse est présente et pose, comme les autres activités sportives, la question de son enseignement et de son évaluation. Elle se positionne en faveur d’une pratique artistique, originale dans le cadre de l’EPS. Elle prend en compte les créateurs qui ont un impact important dans le monde culturel

‘La revue EPS rend compte de l’effervescence culturelle par le nombre important d’articles sur la danse. Elle est le reflet des influences et des interrogations concernant le choix des contenus de formation.’

Une enquête dans l’académie de Besançon, parue dans la revue EPS laisse entendre que la pratique de la danse occupe le champ des activités physiques d’expression (APEX). Si l’on considère les pourcentages en heures, ils sont dramatiques, de l’ordre de 1,82%. Dans cette revue, la même année (1986), un article intitulé “faire vivre la danse”, montre que danser est une passion, mais qu’il faut se battre pour ne pas l’abandonner ! Tous les numéros de cette revue en 1986 proposent des articles sur la danse : deux articles d’ordre pédagogique (pédagogie du rythme, danse en lycée décrite comme matière à examen), et trois articles concernant des chorégraphes qui répondent tous à la question de l’enseignement de la danse à travers leur pratique professionnelle. Ces entretiens donnent, malgré les personnalités différentes, une image de la danse capable de répondre aux questions des enseignants dans leurs pratiques scolaires.

BEJART définit la danse comme la seule activité permettant à l’homme de développer le corps, les sentiments, et l’intellect : “la danse pourrait rendre à l’homme son unité dans une civilisation qui, de plus en plus, désunifie, le spécialise”. Sa démarche de création s’inspire de thèmes variés. La technique (“c’est quand même la liberté”) est indispensable pour interpréter. En pédagogie, l’enseignement de la danse doit porter sur deux aspects : le travail du corps (souplesse, maîtrise corporelle dans la tenue et les déplacements ...), et le travail propre à la danse, qui exige un “‘entraînement mental et imaginatif très important et créatif’”. L’enseignant doit être ouvert “‘du point de vue esthétique sur différentes choses pour ne pas s’enfermer’”, la danse doit être, pour l’enfant “‘un jeu qui développe le sentiment du temps et de l’espace’” 132.

L’article consacré à LABAN explique de façon très pragmatique le “‘danse moderne éducative’”, issue des conceptions de ce premier théoricien de la danse. Un cours se présente en trois parties : un échauffement, une partie exploratoire, et un “point culminant”133, moment de composition.

Enfin, l’interview de NIKOLAÏS permet d’aborder la danse en tant qu’art contemporain, dont le corps du danseur produit le mouvement pour lui même : “‘d’après ma conception, la “motion” ne m’explique pas moi en tant que personne ; la motion possède sa propre signification, et là est l’art de la danse’”134. Lorsque la question de l’enseignement est posée, NIKOLAÏS répond, “‘tout ce que vous devez faire consiste à simplifier, pour vous adapter à leur langage, à leur expérience ; les enfants comprennent mieux l’abstraction que les adultes’”135.

Ces articles proposent des exemples possible pour les enseignants spécialistes de danse. Ils donnent accès aux pratiques culturelles. Ainsi, un théoricien du mouvement dansé, incite les enseignants à l’exploration des composantes du mouvement que sont l’espace, le temps, l’énergie. Le corps et ses parties sont envisagés comme autant de segments individualisables dans le cadre d’une leçon très structurée.

Deux chorégraphes, appartenant à des courants d’expression différents, témoignent d’une perception singulière de cet art. Le premier reposant sur les traditions de la danse occidentale : une technique maîtrisée pour exprimer les grands thèmes de la vie. Le second, une danse plus abstraite, dégagée de “l’égo” du danseur, dont le mouvement pur, éclairé, affirme par sa seule présence, une plastique en elle-même.

Ces trois articles font apparaître un choix pédagogique dans la manière d’aborder la danse et de la rendre vivante pour l’enseignement de l’EPS.

Choix qui peut contenter des modèles culturels différents, s’appuyant sur l’articulation singulière des pôles : importance de la motricité, catégorie trois pour le premier. Liaison motricité, catégorie quatre, et intelligibilité, catégorie un et quatre pour le deuxième. Dominante de la motricité dans les trois premières catégories en lien avec la sensibilité catégorie quatre, et l’intelligibilité catégorie quatre.

La diversité relative des articles correspond aux goûts des enseignants experts, dans leur recherche pour structurer des contenus d’enseignement, ouverts sur les pratiques artistiques contemporaines.

Ces choix laissent dans l’ombre un certain nombre de chorégraphes-danseurs qui marquent profondément cette période par leurs innovations, et incitent tous les danseurs professionnels à découvrir et expérimenter leur travail de création. Nous en retenons un, américain, incontournable aujourd’hui encore. CUNNINGHAM bouscule les représentations du mouvement dansé dans ses rapports à la musique, à l’espace. Il reste, selon les critiques, la dernière grande référence culturelle de la seconde moitié du siècle.

‘Merce CUNNINGHAM est un chorégraphe dont les innovations font référence. Il propose des créations qui interrogent, sans précédent, la communication artistique.’

Nous choisissons, dans cette période d’effervescence, de parler d’un chorégraphe qui a marqué profondément cette nouvelle génération d’artistes français par la rupture qu’il introduit dans les pratiques artistiques. Il est la dernière grande référence. Ensuite, les créateurs des années 1980 s’inscrivent dans des recherches de personnalisation d’écriture chorégraphique, qui ne débordent pas en influence leur compagnie. CUNNINGHAM, comme ses contemporains en danse, devra attendre les années 1970, 1980 pour être reconnu en France. Sa conception de la danse considère le mouvement pour lui-même, “‘sans souci de causalité quant à quel mouvement doit suivre l’autre, libère du besoin de continuité, et établit clairement que chaque fait de la vie peut être sa propre histoire’”136. Cette vision du mouvement pur, en dehors de toute recherche expressive, interroge les enseignants d’EPS. Il se positionne en rupture complète avec ses prédécesseurs. Il ouvre ainsi d’autres voies à la danse, comme à la vision de la danse. En effet, CUNNINGHAM perturbe le regard du spectateur pour sortir du cadre traditionnel régi par les lois de la perspective. Il doit “‘casser la vision frontale en couvrant la scène, en refusant de privilégier un point de l’espace’”137. Chaque danseur est un centre, d’un espace qui se déplace avec lui. Le chorégraphe ne choisit donc pas de privilégier un point de l’espace ou un rôle. Plusieurs actions se déroulent en même temps. Le spectateur est libre de regarder ce qui l’intéresse, ce qui fait sens pour lui, avec le risque de ne pas avoir la même vision d’une chorégraphie que son voisin immédiat, et peut-être encore moins de celle du créateur.

Marcelle MICHEL parle du désarroi du spectateur “privé de livret, (il) se trouve en situation d’inconnu devant un spectacle éclaté”.

Eric DEVISSHER138 décrit l’espace nouveau ainsi crée : “il n’y a plus d’avant et d’arrière”, mais “une multiplicité de centres d’attraction du regard. Le spectateur ne cherche plus à faire la synthèse de tout ce qu’il voit et entend”, en d’autres termes, le regard doit se laisser aller à la mobilité et à la fluidité des formes sans chercher une cohérence qui émanerait d’un point de vue central.

“‘Le corps du danseur n’est plus mis en évidence comme une forme humaine, il intervient surtout par son habileté et une motion bien articulées’”139. CUNNINGHAM se situe bien en opposition à la danse expressive. Il rejette le corps porteur d’affects et de sentiments, le corps théâtralisé. Il le dépouille de toute manifestation émotive. Seule la matérialité du corps l’intéresse. L’expérience esthétique qu’il propose passe par la perception des combinaisons, des mouvements qui s’organisent autour de structures logiques, formelles, élaborées dans un espace ouvert . Les procédés de composition sont déterminants pour cette danse qui cherche à toucher par des formes, et non par des sentiments. La danse ne transmet pas de messages susceptibles d’être communiqués verbalement. Elle suscite la perception‘. “Elle se rapporte à ce qui communique directement par les sens’”140. Le travail technique du danseur repose sur la transparence, l’absence de l’être social, la disponibilité physique.

Une autre caractéristique de ce créateur est d’avoir trouver un signifiant nouveau à la danse, en utilisant le hasard et l’aléatoire comme procédé de création. Laurence LOUPPE141 montre comment la décision artistique ne pouvant “‘émaner d’un sujet alourdi par ses antécédents psychologiques’”, doit avoir recours à l’aléatoire, seul gage de l’autonomie de la danse. Ainsi la danse se débarrasse de tous les éléments parasitaires : les sentiments, les constructions à priori de l’espace scénique, la construction du temps.

CUNNINGHAM ne prend en compte que le mouvement et son déplacement, et délivre ainsi celui-ci de l’emprise de la musique. Il invente un nouveau rapport avec cet art, rapport de hasard et de coïncidences. La musique ne doit rien à la danse, et inversement. La rencontre de deux arts, à travers une création, offre pourtant aux spectateurs une perception sensorielle plus riche et plus intense.

Nous pouvons définir cette danse à travers notre filtre d’analyse :

La danse est une oeuvre visuelle qui cherche à ouvrir le champ perceptif du spectateur, pour une approche nouvelle du monde, où l’homme n’est plus au centre de l’univers. Il existe une multitude de centres, d’individus, d’objets qui ont tous leur système d’organisation propre. Il n’existe pas de cohérence entre eux, sinon celle de l’incertitude et du hasard. Danser, est l’acte qui met en image cette conception du monde et qui passe par une appréciation des espaces et des directions du mouvement, dans des rythmes personnalisés. L’émotion recherchée et l’imaginaire déclenché s’enracinent dans une perception complexe et objective.

Les corps doivent être très mobiles. Chaque partie peut devenir le centre du mouvement. La dynamique du mouvement est celle qui produit la lisibilité de ce mouvement, sa matérialité. Le corps est sollicité comme forme, énergie, direction : un corps dépourvu d’affects.

Les rencontres entre danseurs se font au hasard, ce qui nécessite de connaître, pour chacun, son “chemin” dans le temps et l’espace, et d’être attentif aux partenaires dans leur position géographique. La socialisation se construit à partir d’une position individuelle maîtrisée. Les rapports sociaux sont ainsi très égalitaires. La danse n’est alors qu’une affaire de corps dépouillés des attributs sociaux.

L’intelligibilité de la danse transite par la notion de hasard qui seule, peut permettre l’anticipation. La recherche d’ouverture à ce hasard, la conscience de la relation dans l’immédiateté de l’action est “‘l’instant unique qui donne le sentiment de liberté humaine’”142. Cela nécessite l’apprentissage d’un regard nouveau. Celui de la post-modernité qui reflète une “‘vision topologique, une diversité des angles et des positions repérées. La matière est moins perçue en fonction d’un état que par son potentiel dynamique’” 143.

Nous pouvons mesurer la cohérence de ce modèle, entre les valeurs qu’il véhiculent et les quatre pôles du modèle qui sont en lien permanent. Afin de partager sa création et son approche de l’univers, le chorégraphe articule une motricité (catégories dominantes deux et quatre), une sensibilité (catégories un et quatre), une sociabilité, (catégories un et cinq), et une intelligibilité du mouvement (catégories deux et cinq), qui concourent à communiquer une pensée originale sur l’homme et ses relations avec le monde.

Nous pouvons conclure en citant Nicole WALSH, que “les critères traditionnels d’observation s’avèrent inadéquats pour décoder les productions de danse non littérales”, qu’elles suscitent un regard nouveau, différent qui est en correspondance avec celui qu’interpellent les productions picturales abstraites contemporaines.

CUNNINGHAM marque de son empreinte tous les chorégraphes, et particulièrement la nouvelle danse française qui s’exprime goulûment dans les années 1980.

Le rejet de la théâtralité commence aussi à secouer le monde enseignant, en pleine élaboration de contenu à enseigner. La théâtralité construite sur les émotions et les sentiments renvoie aux aspects les plus subjectifs de la personne. La rationalisation inhérente à l’évaluation scolaire, entraîne des problèmes de choix d’indicateurs objectifs. De plus, des contradictions émergent entre deux notions : l’expressivité du corps qui était considérée comme enjeu fondamental, et la nouvelle poétique du mouvement basée sur la production de formes. En choisissant les formes plastiques plutôt que les sentiments, les enseignants montrent leur ancrage culturel en faveur de la danse abstraite.

Il nous paraît important de mesurer ici, à la suite de Vincent PRADOURAT144, que la recherche formelle et le degré d’abstraction obtenu, ainsi que la trop grande pureté, vide la danse de tout sens, de toute vie. Il observe que CUNNINGHAM exprime ainsi un rapport au corps particulier. Cet artiste, “‘comme DESCARTES, fonde la pensée occidentale du corps comme une avancée de l’intellect sur les pulsions, sentiments, le corps est un objet dangereux à tenir à distance’”. Ainsi derrière un regard de la nouveauté et en rupture avec les pratiques anciennes, du point de vue des oeuvres, se cache un rapport au corps traditionnel, corps maudit, dont la vie en société exige la transparence. Est-ce la raison du glissement furtif qui semble s’opérer, de la danse expressive vers la danse contemporaine abstraite, à l’Ecole ?

‘La réalité culturelle française reste éclectique. Les courants abstraits, expressionnistes, les courants issus de la danse libre, ceux de la danse classique, s’expriment et se mélangent.’

Les pratiques de danse se diversifient en offrant un large éventail de créations. Aucune tendance nouvelle ne vient effacer la précédente. Les styles se juxtaposent ou se mélangent dans des espaces différents que chacun respecte. Les années 1980 voient l’explosion, jamais connus jusqu’alors, d’un grand nombre de compagnies. De multiples facteurs (politiques notamment) favorisent cet épanouissement. Nous nous attacherons ici à montrer “‘la spécificité de la danse française qui tient à une approche nouvelle de l’émotion, à sa capacité à inventer un mouvement qui reflète l’instant d’un état intérieur, d’exprimer une époque confuse et changeante’”145. Cette période se caractérise par des chorégraphes qui n’ont pas l’ambition de créer des langages gestuels nouveaux, mais d’imposer un style personnel. Ils se sont tous nourris des grands maîtres de la danse moderne. Mais ils s’en émancipent avec d’autant plus de facilité, que les sources d’inspiration personnelles sont variées, et que la vie sociale et culturelle incite à l’expression individuelle, sans chercher des références systématiques d’école.

Selon les thèmes évoqués, il est possible d’énumérer différents chorégraphes qui marquent cette génération de danseurs. Des danseurs-chorégraphes dont la préoccupation est le mouvement, BAGOUET, DUBOC, LARRIEU, côtoient ceux qui s’inspirent de thèmes divers et qui mettent en jeu une théâtralité plus grande : BOUVIER-OBADIA, DIVERRES-MONTET, MARIN, GALLOTTA. Certains danseurs utilisent d’autres registres d’expression plus intégrés dans la société médiatique : CHOPINOT, DECOUFFLE. Les chorégraphes possèdent des styles différents, mais des ressemblances sont relevées par les auteurs de l’histoire de la danse : “‘un goût pour le petit geste, le détail ... la danse française hérite d’une tradition théâtrale riche’”. Alors que la danse abstraite américaine de CUNNINGHAM oblige à une nouvelle perception de cet art du mouvement, d’autres recherches sur le corps se mènent et influencent la danse française.

Au japon, le buto explore, fouille un corps archaïque, en deçà de la culture. La danse buto va profondément frapper les imaginaires, car elle tente de mettre à jour le corps dans son organicité, celui des origines du temps.

En Allemagne, dans la lignée du courant expressionniste, Pina BAUSCH utilise les danseurs dans les états de corps provoqués par un travail d’improvisation mené à son paroxysme. Il en résulte une communication fondée à partir de chocs émotionnels intenses qui brutalitse les imaginaires et les sentiments.

Nous mesurons le dynamisme de la création en danse, et les lectures variées du corps qu’elles offrent, en même temps que les interrogations sur un art qui semble ne plus avoir de limites, dans les possibilités d’expression, de mise en scène. De ce contexte très riche, il en ressort deux grand types d’expression du corps : une expression dite théâtralisée qui tend à mettre en espace un propos organisé. Et une expression plus abstraite, dont la recherche de la plasticité du corps dans sa réalité objective ou bien dans une réalité en deçà de la culture donne le sens de la communication.

Il nous semble important de considérer les transformations que subit dans son institution même, la danse classique. En 1980, un groupe de recherche est créé à l’opéra de Paris, il travaille immédiatement avec CARLSON, élève de NIKOLAÏS et de CUNNINGHAM. La danse contemporaine entre petit à petit dans la structure classique et va modifier insidieusement la technique académique. FORSYTHE propose, dès 1985, des oeuvres classiques qui intégrent une modernité dans le traitement chorégraphique.

Les enseignants vivent dans ce monde culturel. Les émotions que certaines danses vont provoquer chez eux sont source d’inspiration pour leurs pratiques pédagogiques.

Le foisonnement des compagnies entraîne un développement considérable des écoles de danse. Mais l’enseignement de la danse en France n’est cependant pas réglementé. L’explosion des styles et des pratiques pousse les professionnels, comme le gouvernement, à prendre des mesures. C’est l’occasion pour ceux-là de s’exprimer sur l’enseignement de la danse. Expression d’autant plus forte que l’Etat entend légiférer en la matière. Aucun texte n’organise l’enseignement. Celui-ci s’inspire jusque là de la transmission orale des grands maîtres à danser, et ressemble en cela aux autres enseignements artistiques. La nécessité d’une formation d’enseignant et d’une définition des contenus de formation interviennent au même moment où dans le milieu scolaire les recherches de didactisation de la danse se multiplient. Nous tenterons de mesurer les influences de la réalité culturelle dans les expérimentations scolaires.

‘Les lois que l’enseignement soulèvent les rapports douloureux entre art et pédagogie, entre danse et sport,’

Afin d’aboutir à une législation concernant l’enseignement de la danse, une concertation interministérielle est mise en place dès le début des années 1980. En 1988, un brevet d’état, structuré par le ministère de la jeunesse et les sports, est proposé, aux grands cris des professionnels se réclamant du ministère de la culture ! La fédération française de la danse, représentant des danseurs et des chorégraphes, s’insurge. Elle exige la reconnaissance de la danse comme art à part entière, et son rattachement intégral à ce ministère : “‘pour nous, il est hors de question que la danse soit considérée comme une discipline sportive ... Il faut avoir danser pour pouvoir enseigner !’”.

En quoi ce débat nous concerne-t-il ? Il pose en effet les rapports ambigus qu’entretiennent la formation physique des danseurs et la formation à un art. Il favorise une réflexion sur les démarches pédagogiques.

Ce qui est dit très clairement, et cité en exemple par ailleurs, est ceci : seul le talent du professeur à enseigner son art compte, et cela n’est pas l’aboutissement d’une formation, puisque les meilleurs en n’ont jamais eue ! L’art exige d’autres talents, que la pédagogie n’apporte pas, que la pédagogie sclérose voire tue ! Il paraît important de souligner dans ces prises de position, comment, dans la tradition de l’enseignement artistique, le rapport au maître semble déterminant. Et le rejet de la loi, qui impose une formation identique pour tous, est avant tout le rejet de l’uniformisation de l’enseignement artistique, dans la crainte d’un nivellement de la création.

Le témoignage de Dominique DUPUY 146 à ce sujet, paraît illustrer le propos : “‘Au terme de pédagogue, je préfère celui de maître. Non pas celui qui domine et qui commande, mais l’ancien apprenti qui, ayant atteint la maîtrise de son art, est reconnu capable de le transmettre à son tour’”.

Il parle ensuite de voyages et d’expérience délicate : “‘le maître ne leur demande pas de reproduire son image dans le miroir en face d’eux, mais de trouver leur identité à travers un mouvement qu’il propose. Le maître n’exhibe pas un corps à voir, il énonce un mouvement avec son corps, les autres le mettent en joue, le dévisagent. Ce moment est unique. Le maître est un artisan sans objet, une conscience en action ... Il faut beaucoup d’abandon pour atteindre cet état’”.

Le rapport au maître se fait par le regard qui ne percevra rien s’il s’attache aux formes, mais qui permettra les expériences personnelles riches s’il va, au delà des formes, chercher les sensations, l’expérience du mouvement dans ce qu’il a d’unique, d’éphémère et de profond.

Pour exercer ce regard, comme pour le favoriser chez les élèves danseurs, l’expérience de la mise en jeu du corps est fondamentale. Ce regard se construit en effet sur des savoirs particuliers.

La loi de 1989 vient adoucir les protestations, car le ministère de la culture est devenu partie prenante. Le brevet de transforme en diplôme. Cependant le débat reste ouvert : la danse ne va -t-elle pas être étouffée par l’institution ? Elle a besoin de liberté pour s’exprimer. Elle doit refuser les normes pour évoluer. Tous les professionnels reconnaissent le besoin d’une formation reposant, à la fois sur les connaissances du corps, afin d’éviter les accidents, et sur l’histoire de la danse. Mais pour le reste, seule l’expérience et la pratique de danseur est reconnue comme élément fiable. Dans les discours, apparaît une volonté de regard non modélisant, permettant au danseur de trouver son expression. Dans les pratiques les plus largement répandues, des enseignements se font sous le contrôle d’un modèle de corps qui reste celui de l’académisme, modèle toujours extrêmement rigide !

La formation proposée pour l’obtention du diplôme nécessite le choix d’une option technique. Le candidat est jugé par des spécialistes de cette technique, qui ont chacun des “dadas”, qui ne laissent aucune chance au danseur peu respectueux des normes. La contradiction entre technique et expressivité se manifeste encore nettement. Elle traverse à la fois le monde scolaire et le monde artistique.

Notes
132.

BEJART (M). Entretien, in revue EPS. n° 197. 1986. 6 ,12 p.

133.

GOUGH (M). “Rudolph von LABAN, la danse éducative”, in revue EPS n° 199. p 27 à 30. 1986.

134.

NIKOLAÏS.” Itinéraire”. in, revue EPS n° 202. 1986. 60 p.

135.

NIKOLAÏS. op cit.

136.

CUNINGHAM (M). (1955) . in, La danse au XXème siècle. Michel et GINOT. Bordas. Paris 1995.135 p.

137.

MICHEL (M). “Eternels adolescents ?” in , Fous de danse. Autrement. Paris.1983. 165 p.

138.

DEVISSHER (E)r. “No fixed relations”. in, Revue d’esthétique. Paris.1992. 109 p.

139.

WALSH. (N). “Analyse esthétqiue et didactique de geste en danse”. in, Danse le corps enjeu. opt cit. 296 p.

140.

WALSH. op cit. 292 p.

141.

LOUPPE (L). “L’utopie du corps indéterminé”. in, Le corps en jeu. op cit. 220 p.

142.

CUNNINGHAM. (M). (1955). article extrait de 7arts, in “la danse au XXe siècle” op cit. 135 p.

143.

SAUVAGEOT (A). op cit. chapitre 5.1994. 161, 223 p.

144.

PRADOURAT (V). “Essai d’un panorama du corps contemporain”. in, La danse, naissance d’un mouvement de pensée. op cit. 52 p.

145.

MICHEL et GINOT. op cit. 187 p.

146.

DUPUY( D). “Le corps du maître”, in Le corps en jeu,op cit. 247 p.