Les valeurs

‘Elles évoluent clairement d’une activité considérée sans enjeux éducatifs et interdite, vers une pratique à valeur artistique.’

Le refus d’introduire la danse au collège (1959) à cause d’un dévoilement du corps chargé de sentiments, alors que les finalités éducatives sont la santé et la grâce féminine, est affirmé explicitement (voir annexe 5 Partie II) . La pratique de référence de l’éducation corporelle des jeunes filles s’appuie sur le modèle de la gymnastique rythmique et sportive. Les valeurs qui structurent ce modèle sont d’ordre éducatives : correction des postures, identification au modèle féminin de l’époque avec son esthétique des formes corporelles, la recherche d’harmonie qui s’exprime par la grâce. Les textes officiels expliquent clairement les valeurs antagonistes entre les valeurs artistiques de la danse (messages et esthétiques) et les valeurs éducatives (maintien corporel).

A partir de 1967, les valeurs d’expression sont mises en avant pour valider les finalités éducatives. La danse est appelée expression corporelle, et met en avant ce qui reste pour elle sa valeur fondamentale : l’expression de soi par le mouvement (voir annexe 6 Partie II). L’Ecole s’approprie donc de nouveaux enjeux correspondant à une approche du corps différente. Corps envisagé non plus comme pâte à modeler de l’extérieur, mais comme un corps intégrant une vie psychique et affective personnelle. Nous remarquons que l’expression corporelle appartient au même groupe d’activités physiques qui, comme la gymnastique, participe à l’objectif de maîtrise du corps. Les valeurs éducatives sont donc bien affirmées : expression de soi, mais aussi maîtrise de son expression !

Les programmes de 1985 insèrent la danse dans le domaine des activités physiques à visées expressives et esthétiques. Si l’expression perdure, elle change de registre. Ce n’est plus les qualités du corps mais celles de la danse dont il s’agit. De plus, la connaissance des conventions qui règlent les esthétiques devient incontournable.

Les nouveaux programmes de sixième en 1996 affichent les valeurs artistiques en créant un domaine d’activités physiques particuliers : les APA (Activités Physiques Artistiques). Les éléments de référence reposent sur la création, la présentation d’un projet expressif, qui peut prendre, pour références culturelles des pratiques aussi diversifiées que la danse contemporaine, les danses traditionnelles, le jazz, le théâtre, les arts du cirque (voir annexe 13 Partie II).

Cette évolution rend compte de la volonté d’ouverture de l’Ecole vers les expressions culturelles, artistiques, scientifiques, sportives, qui organisent la vie sociale des années 1990. L’Ecole de la République cherche à promouvoir la réussite de tous et l’intégration sociale et culturelle de l’ensemble des jeunes. La multiplicité des formes de communication, leur instantanéité et leur diversité posent cependant les problèmes des références scolaires. L’éducation physique au collège répond à ces questions, par des propositions de nouveaux programmes qui affichent des valeurs absorbant un ensemble d’expressions culturelles diversifiées. Ainsi, les danses de couple et le hip-hop sont classés dans le registre des pratiques artistiques alors que ces danses dans notre société n’ont pas ces qualités.

L’Ecole est donc prête à donner d’autres valeurs aux danses, dans la mesure où elles sont pratiquées dans un cadre normalisé. Mais, en faisant celà, elle s’écarte du sens premier des pratiques sociales de référence, et s’invente donc des danses en les détournant.

Ainsi le modèle APA s’appuie sur la création artistique. Les valeurs affichées dans les exemples de danses à enseigner sont exprimées différemment :

  • Les danses traditionnelles sont porteuses du patrimoine culturel d’une part, et invite à danser pour le plaisir avec les autres ;

  • La danse contemporaine reprend la notion de plaisir de la rencontre, mais dans le cadre de la création artistique ;

  • La danse jazz favorise “le désir d’identification des adolescents aux modèles médiatisés par la société”.

Les valeurs affichées sont plus de socialisation que de création artistique.

Il apparaît ainsi des distorsions assez grandes concernant les valeurs des danses. Le modèle APA se structure autour de l’artistique. La danse contemporaine tente aussi de trouver sa cohérence dans la production d’un projet expressif à partager. Les autres modèles semblent plus reposer sur les qualités sociales de cohésion avec le groupe.

Les valeurs se sont donc transformées avec la parution des nouveaux programmes de 1996, mais les références aux danses à enseigner créent des confusions dans les différentes conceptions de la pratique de l’art à l’Ecole. Le modèle de “pratiquant culturé” évolue en profondeur, car les valeurs fondent sa réalité. Nous pouvons nous interroger alors sur les modèles proposés dans les nouveaux programmes si nous cherchons une certaine harmonie nationale dans les valeurs et les modèles à transmettre.

Nous percevons une évolution importante concernant les valeurs éducatives de la danse scolaire de 1959 à 1997 :

  • Des valeurs explicitement énoncées ... à ... des valeurs dont les contours éducatifs sont flous et favorisent des interprétations diversifiées.

  • Des valeurs éducatives fondées sur l’apparence corporelle ... à ... des valeurs s’appuyant sur les pratiques culturelles qui intègrent d’autres éléments que les formes du corps.

  • Des valeurs éducatives affichant une normalité culturelle ... à ... des valeurs éducatives qui cherchent à englober une diversité culturelle.