L’analyse et la comparaison des diffErents modèles de “pratiquant culturE”

Les modèles sont analysés et comparés en fonction de nos hypothèses de travail : Sont-ils équilibrés c’est-à-dire accordent-ils autant d’importance aux quatre éléments ? Sont-ils discursifs ? Les éléments dominants articulent-ils les autres en cohérence avec les valeurs affichées ? Sont-ils dynamiques et poreux ? Les éléments regroupent-ils l’ensemble des catégories énoncées ?

‘Les modèles sont peu équilibrés. Il existe toujours un ou deux éléments organisateurs de l’ensemble.’

Les discours des différents textes ne se répartissent pas de manière équitable selon les quatre éléments. Sur les dix modèles étudiés, six modèles révèlent une motricité organisatrice. C’est le cas des deux modèles avant 1985, et des quatre modèles de 1996-97 spécifiés dans les textes d’accompagnement : (contemporain, traditionnel, jazz).

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Graphique 9 : Danses traditionnelles
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Graphique 10 : Contemporain 6°
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Graphique 11 : Danse jazz 5° 4°
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Graphique 12 : Danse contemporaine 5° 4°

Les modèles 1985, et APA 6ème, et 5ème, 4ème, révèlent un déséquilibre différent au profit de l’intelligibilité.

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Graphique 13 : Modèle 1985
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Graphique 14 : Modèle APA 6°

Globalement, les modèles scolaires font apparaître deux éléments dominants : la motricité et l’intelligibilité. Est-ce révélateur d’une approche de l’éducation physique traditionnelle qui repose sur la mise en mouvement du corps, et des connaissances qui se réfèrent à cette activité physique ? Approche qui renvoie au sens commun concernant les pratiques corporelles et qui se fonde aussi sur la dualité corps-esprit pourtant rejetée aujourd’hui.

Les déséquilibres des modèles ne sont pas identiques. Leur étude permet d’observer les éléments plus ou moins défaillants.

Les modèles répertoriés avant 1985 montrent un certain équilibre entre trois éléments. La sociabilité est l’élément défaillant. La sensibilité n’est pas ignorée dans les discours. Il n’en est pas de même pour tous les autres modèles qui accordent une place mineure à celle-ci, en ne faisant que l’évoquer. Il semble que le système scolaire a réalisé un réel travail de traitement didactique à partir de 1985. La quantité de discours est plus abondante. Nous observons que l’élaboration du modèle scolaire exprime une clairvoyance, dans le domaine de l’intelligibilité et de la motricité, pour envisager la transmission culturelle. La sensibilité et la sociabilité sont les éléments culturels oubliés, et qui ne sont pas envisagés comme objets ou contenus d’enseignement.

En 1996-97, les modèles s’équilibrent entre la motricité d’une part, et l’intelligibilité. La sensibilité est l’élément défaillant pour le niveau sixième, la sociabilité pour le niveau cinquième. Comment interpréter la pauvreté des discours, concernant ces deux pôles au moment où l’institution définit un champ de pratiques artistiques ? Le respect des conventions de l’Ecole et de son orthodoxie suffit-il à expliquer ces manques ? L’institution se donne pour finalité la construction de la pensée rationnelle, déductive, et laisse peu de place au registre sensible.

La socialisation est-elle un facteur sans consistance éducative en danse ? Est -ce une volonté de laisser, à l’attention pédagogique des enseignants, le choix de ses implications, selon les différents contextes sociaux ?

Ou encore, la danse est-elle l’expression d’une personne sans identité particulière, un corps dansant au nom de l’humanité en général, et perd ainsi toute possibilité d’intégration sociale singulière ?

Nous observons cependant l’importance de l’intelligibilité comme facteur d’apprentissage et d’appropriation culturelle. Elle structure les modèles 1985 et APA 1996-97 qui privilégient la compréhension et les processus à mettre en oeuvre pour réaliser une danse. Ceci au détriment des trois autres éléments, motricité, sensibilité et sociabilité.

Nous relevons donc une évolution des modèles vers une intelligibilité accrue, et une sensibilité minorée qui montrent ainsi des modèles culturels défaillants et déséquilibrés.

‘Les valeurs se tranforment et modifient les cohérences. Les articulations des éléments ne ressemblent pas.’

La cohérence du modèle de 1959 (voir annexe 5 Partie II) s’articule autour des valeurs attribuées à la femme dans la société : santé et attitudes correctes esthétiques. Deux conceptions du corps s’expriment dans la motricité et l’intelligibilité. La première le perçoit comme une forme globale, une apparence à construire en rapport avec une norme sociale. La seconde traite le corps à partir des connaissances médicales, et l’envisage dans ses différentes parties. Cette approche a tendance à le morceler et rejoint les perceptions plus générales du corps.

La sensibilité témoigne d’une mise en conformité visuelle et d’un accord avec une écoute musicale. La recherche d’harmonie entre le mouvement et la musique est régie par des codes esthétiques.

Le modèle culturel est féminin, et témoigne ainsi d’une logique sociale et culturelle, en rapport avec les valeurs.

Le modèle de 1959 est discursif, car les valeurs organisent les éléments et les combinent entre eux. Si nous observons les catégories de chaque pôle, nous remarquons qu’elles sont peu investies, et qu’elles témoignent d’un ancrage culturel spécifié, exceptée pour la motricité, qui est abordée dans son aspect le plus large, sans référence technique particulière. La sensibilité et la socialisation sont culturellement, clairement identifiées. L’intelligibilité révèle des approches culturelles du corps et de son entraînement.

A cette époque, l’Ecole se démarque des pratiques dansées nouvelles et de leurs modèles culturels. Elle incite à l’élaboration d’un “pratiquant culturé” qui s’appuie sur des valeurs toujours vivaces de la formation du corps : correction, santé. Ce modèle s’inscrit dans l’approche esthétique classique qui définit les canons de la beauté et de la féminité. Les individualités ne sont perçues que dans leur lien avec la norme de la collectivité. L’intelligibilité repose sur les résultats attendus et sur la mise à distance du corps.

Le “pratiquant culturé” est un conservateur des traditions, tant sur le plan des valeurs, que sur les autres éléments.

Le modèle issu des textes de 1967, (voir annexe n° 6) montre, nous l’avons vu, un déséquilibre entre les quatre pôles en faveur de la motricité. Les valeurs annoncées sont celles liées à l’expression du corps. Cependant la notion de maîtrise accompagne systématiquement celle d’expression. L’expression corporelle veut être une propédeutique à la danse, et les qualités recherchées par ce modèle visent l’universalité, ce qui correspond aux différentes catégories investies par la motricité : articulation discursive donc entre les valeurs et la motricité.

Une seule catégorie est enregistrée dans l’élément sensibilité. Elle sollicite une seule activité perceptive, la mise en correspondance musique/mouvement.

Ceci révèle une incohérence avec les valeurs affichées d’expression personnelle. Les apprentissages, menés pour réussir la relation avec la musique, exigent de la part des débutants un contrôle du mouvement qui élimine toute recherche expressive personnelle. La danse contemporaine est la démonstration de ce problème. Elle a dû inverser le rapport musique/mouvement en demandant aux musiciens de créer à partir de la gestuelle du danseur, afin de garantir sa créativité personnelle.

La socialisation est peu mise en avant. Elle repose sur l’affirmation de soi. Ceci semble judicieux, compte tenu des valeurs d’expression, et favorise une certaine recherche de cohésion du modèle.

L’intelligibilité de la danse passe par la conscience du mouvement et de ses effets. Elle investit toutes les catégories, et se veut donc en rapport avec les valeurs très ouvertes aux différentes formes d’expression.

Le modèle est déséquilibré, peu discursif si nous regardons la sensibilité, mais plus cohérent avec les trois autres éléments.

Ce modèle exprime une volonté d’ouverture aux différentes formes de pratiques d’expression, sans renier certains aspects dominants du modèle antérieur (gymnastique rythmique).

Le modèle proposé par les nouveaux programmes de 1985 nous permet d’envisager le “pratiquant culturé” comme un élève dont les capacités expressives sont encore sollicitées. L’intelligibilité des actions dansées est un élément organisateur avec la motricité. Cette dernière est identique au modèle précédent. La référence à la danse contemporaine incite le danseur scolaire à la création collective. Les valeurs affichées dominantes sont donc l’expression et la création. Le modèle tente d’articuler une certaine cohérence en restant assez évasif sur l’ensemble des quatre pôles. Le système s’organise autour de l’intelligibilité, où les intentions des actions, ainsi que leurs effets, doivent être maîtrisés.

La motricité est plutôt évoquée que décrite.

La sensibilité repose encore sur la correspondance musique/mouvement et limite ainsi le champ créatif et la cohérence du modèle.

La sociabilité insiste sur l’affirmation personnelle, en ne reprenant pas le modèle de la danse contemporaine dans ses codes et ses rôles singuliers.

Il s’agit donc d’un modèle assez pauvre, peu discursif et surtout très évasif dans les moyens à mettre en oeuvre, sauf pour l’intelligibilité. Ceci est cohérent, nous l’avons déjà souligné, avec les attendus de l’éducation physique et sportive en général. Le modèle révèle un déséquilibre et une défaillance, dûs à la sensibilité à peine évoquée et non cohérente avec les valeurs.

Le “pratiquant culturé” de 1985 est un modèle intermédiaire.

Le modèle de 1988, élaboré dans le cadre de l’UNSS, montre le même déséquilibre provoqué par les mêmes éléments. Cependant, les multiples catégories représentées dans chacun des éléments permettent d’observer une plus grande cohérence de celui-ci, en rapport avec les valeurs artistiques. La danse contemporaine est le modèle du modèle culturel ! L’importance de l’intelligibilité correspond à une époque où la danse devient une pratique artistique, et où s’exprime aussi un discours sur la production dansée qui met à jour les intentions des créateurs. Seule la sociabilité est le maillon faible et déséquilibrant du modèle, avec deux catégories représentées, affichant par la présence de la catégorie quatre l’impact des rôles et des codes sociaux à construire.

Le “pratiquant culturé” est le pratiquant de la danse contemporaine.

Les différents modèles de 1996 pour les 6èmes, sont élaborés à partir des mêmes valeurs : valeurs artistiques se fondant sur les valeurs sociales (échanges). Les trois modèles en font un usage très différent :

Ces trois modèles reposent sur une articulation divergente des valeurs et des éléments. Le modèle contemporain semble le plus discursif, et nous faisons l’hypothèse qu’il constitue de fait la référence pour le traitement didactique. Les autres modèles ont tenté de s’organiser autour des mêmes valeurs et des mêmes intentions pédagogiques. Du coup ils ont perdu leur “âme”.

Le “pratiquant culturé” de sixième est un modèle culturel scolaire qui tente de combiner les valeurs artistiques avec des valeurs sociales. Le traitement didactique APA et Danses traditionnelles a été soufflé par les enseignants-danseurs-contemporains qui, dans l’histoire de l’enseignement de la danse, ont été les premièrs à fournir les outils d’analyse et de transposition didactique.

Les derniers modèles analysés de 1997 offrent un peu le même profil que les précédents, où la cohérence tente d’émerger, à partir des valeurs artistiques et du souci énoncé de socialisation et de quête d’identité pour les adolescents. Cependant, les modèles laissent apparaître une faiblesse concernant la sociabilité qui reste l’élément le plus défaillant pour tous. Comment comprendre cette incohérence ? Est-elle implicitement en cause, dans les écrits, dès lors qu’il s’agit d’utiliser une technique gestuelle spécifique ? Est-elle, là encore, laissée au libre arbitre des enseignants en rapport avec des élèves hétérogènes ?

Les trois modèles culturels n’incitent pas aux mêmes appropriations culturelles. Sous le même vocable se cachent également des divergences d’engagements cognitifs et des modifications de la motricité et de la sensibilité. Ainsi, comme il est noté en annexe, la sensibilité en Jazz est très différente de celle de la danse contemporaine. Elle semble moins ouverte à l’ensemble des catégories et beaucoup moins sollicitée. La danse jazz, comme les danses traditionnelles, est un modèle qui trouve peu de cohérence dans le traitement didactique, et offre l’image d’un modèle moins équilibré et discursif que celui de la danse contemporaine.

‘Est il possible de mettre à jour un modèle évolutif de « pratiquant culturé » au collège ?’

Quels sont les aspects stables repérés dans l’analyse historique des orientations institutionnelles, qui permettent d’envisager la dynamique des modèles scolaires ?

Nous avons en effet ébauché un modèle théorique, “le pratiquant culturé” qui correspond à une pratique investie d’humanité, au sens large. Nous devons comprendre les modèles scolaires dans leur organisation interne, leur dynamique, leurs ouvertures, ou, comme nous l’avons précédemment évoqué, leur porosité dans leur confrontation avec les jeunes.

La mise en lumière des discours récurrents, des éléments dominants et structurants des modèles, nous renseignent sur la modélisation scolaire.