Le danseur scolaire, un marginal.

Nous avons déjà constaté la fragilité de cet élément dans tous les modèles. Pourtant les derniers modèles scolaires attribuent des valeurs sociales à la pratique de la danse, et proposent une sociabilité plus riche du point de vue des catégories. Le “pratiquant culturé” engage sa personne : son corps et son intellect.

Il n’est pas mis en avant, dans les textes, des modalités concernant le type de relation singulier que développe la pratique dansée. La construction de l’identité de genre, au moment de l’adolescence, n’est jamais abordée. Il semblerait que le “pratiquant culturé” n’apprend pas à se constituer une personnalité originale, que ce soit du point de vue de la connaissance de soi, de l’implication des autres dans une recherche de solidarité créatrice ou encore de l’appartenance à un groupe culturel.

Un amateur éclairé, un activiste, un intellectuel, un frustré et un marginal, telle est la définition du modèle de “pratiquant culturé” à l’issue de notre analyse historique des textes officiels.

Nous avons montré comment l’institution scolaire utilise les pratiques culturelles et artistiques à des fins éducatives, en proposant des modèles dont les références culturelles s’entremêlent, sans jamais offrir un objet culturel précisé, laissant ainsi les enseignants assez libres de choisir eux-mêmes leurs références.

Les contenus d’enseignement semblent être moins des savoirs objectivés que des éléments culturels hybrides qui peuvent former un assemblage, ou plutôt des assemblages possibles, favorisant une activité corporelle éducative.

De là, à dire que la danse scolaire est une danse aseptisée qui a perdu sa fonction d’intégration culturelle et d’interrogations artistiques, il n’y a qu’un pas, que nous franchissons d’autant plus facilement, que la pratique artistique s’accommode mal d’une recherche de normalisation.

Si la danse a prévalu dans la formation corporelle au XVII et XVIII ème siècle, c’est parce qu’elle “‘assume un maintien, développe l’élégance et elle est garante de l’allure dégagée qu’impose l’étiquette de la cour’”155. Elle est alors une objet culturel bien identifié, dont tous les éléments sont circonscrits et répondent à une finalité sociale claire. La pratique des arts à partir de la modernité montre au contraire une indépendance recherchée de la part des artistes qui transgressent les règles sociales. La danse attendra le début du XXième siècle pour se libérer des idéaux classiques et inventer une autre manière d’être et de créer avec le corps, en balayant un grand nombre d’interdits, notamment ceux concernant la nudité, le poids, et les contacts corporels égalitaires, prouvant ainsi la primauté du corps charnel et de sa finitude.

L’Ecole tente de concilier l’approche positive des pratiques culturelles et les enjeux éducatifs, en proposant des valeurs, et des fragments d’objets culturels, qui rendent compte d’une expérience d’une communauté éducative qui cherche à valoriser des pratiques corporelles du comportement à la fois motivantes et structurantes.

Nous devons maintenant étudier les enseignants tels qu’ils se disent être, et regarder si les modèles culturels qui surgissent de leur discours ressemblent ou non à ceux des textes officiels.

Nous nous plaisons à imaginer les enseignants, constitués de strates successives d’expériences dansées, qui engendrent de leur part, des tissages plus ou moins conscients entre les différents éléments de notre modèle théorique.

Nous savons qu’un modèle culturel n’est jamais achevé et qu’il évolue en permanence au fur et à mesure des implications culturelles. Notre regard sur les enseignants n’est donc que parcellaire et situé dans le temps.

Notes
155.

LECOMTE Nathalie. “Maître à danser et baladins au XVIIè et XVIIIème siècle en France”. in, Histoire de corps.op cit. 153 p.