L’enseignante “C”

La formation professionnelle contrarie la formation personnelle.

“C”. a 38 ans, suit la formation d’enseignants d’EPS à L’UFR de PARIS V et sort diplômée en 1982 (voir annexe 1 Partie III).

Elle accorde plusieurs valeurs à la pratique de la danse au collège.

Des valeurs sociales qui favorisent des relations aux autres, particulières.

Des valeurs éducatives, concernant la personne, qui privilégient la connaissance de soi et le bien-être corporel.

Des valeurs esthétiques qui confèrent des qualités nouvelles aux mouvements du corps sur la musique.

Enfant, “C” a pratiqué la gymnastique rythmique et possédait un goût prononcé pour la danse. A l’université, les enseignants de danse l’inhibent complètement. Elle n’apprend rien. Elle se souvient d’une exhibition préparée seule, qu’il faut présenter. Il faut “passer” individuellement devant l’enseignant et accepter d’être jugée de façon caustique. C’est un très mauvais souvenir qu’elle préfère oublier.

Ensuite, après la réussite au CAPEPS, la formation continuée lui permet de découvrir l’activité d’expression dans de bonnes conditions. Elle apprécie alors l’approche sensible, la dynamique et l’énergie du mouvement. Elle invente des danses en groupe et apprend à exercer un regard ouvert, sans jugement, qui favorise l’expression de chacun.

“C” ne va pas au spectacle. Ses références culturelles sont plutôt livresques que vécues directement ! Elle cite en effet DUNCAN (connaissance historique, danse libre du début du siècle) et DUPONT, danseur Etoile de l’Opéra de Paris.

“C”, enseignante, pense que la danse favorise les relations aux autres, le bien-être et le rapport à la musique. La danse mobilise le corps qui peut se cacher derrière des techniques. Celles-ci ne semblent pas servir l’acte dansant, mais ont plutôt l’effet d’entraver l’enseignement.

La motricité s’exprime par des déplacements, des mouvements de bras, ainsi que par l’énergie libérée et l’espace circulaire envisagée.

La sensibilité se fonde sur le rapport à la musique. “C” évoque l’esthétisme des formes ( la beauté) et le rayonnement. Elle laisse apparaître des perceptions de l’image de soi en posture et en mouvement, qui atteste d’un goût pour des lignes et des courbes équilibrées et aériennes.

La danse questionne la sexualité du corps dansant. L’activité sportive développe la virilité alors que la danse est féminine. L’enseignante est confrontée aux problèmes de la mixité en classe tout comme dans l’équipe enseignante. La difficulté est d’autant plus grande, que danser nécessite une mise en scène devant les autres, et engage la personne sur le registre de la beauté et du sens à donner par le mouvement. Autant de valeurs, dit “C”, qui se perdent et qui ne sont pas attachées à l’éducation sportive.

La démarche pédagogique implique une bonne gestion des groupes mixtes, un fil conducteur dans le traitement de la danse, et une histoire personnelle que l’enseignante avoue ne pas avoir. Ceci explique pourquoi elle préfère ne pas l’enseigner, ou plutôt pourquoi elle attend une opportunité qui puisse l’aider à le faire.

‘« C’est un modèle de « pratiquant culturé » singulier.’

Le discours prend en compte l’ensemble des éléments du modèle, soit pour les valoriser, soit pour les déprécier. (voir annexe 1 Partie III)

Nous observons un modèle relativement équilibré sur le plan quantitatif, autour des quatre éléments, avec une dominante de l’intelligibilité. Chaque élément est relativement ouvert aux différentes catégories et nous permet de penser que “C” a une connaissance assez grande de l’activité.

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Graphique n°15 : Modèle CA E-. Valeurs : relations aux autres

L’analyse qualitative des différentes catégories (voir annexe 1 Partie III) montre que l’enseignante aborde l’aspect technique du mouvement dansé (catégorie, ou comme l’indique le graphique série quatre) et le registre de l’esthétique (catégorie quatre de la sensibilité), tout en disant qu’elle n’a pas assez de vécu corporel en danse. De plus, l’enseignante accorde des valeurs à la danse qui reposent sur la connaissance de soi et le bien-être. Celles-ci s’articulent mal avec une image du mouvement dansé fondée sur la beauté et l’harmonie des formes.

Le modèle oscille, sans trouver de cohérence, entre les aspects esthétiques et techniques de la danse, et les aspects plus pragmatiques et plus scolaires de son enseignement, qui se heurtent aux difficultés que vivent les adolescents dans la perception qu’ils ont de leur corps. Le modèle révèle une contradiction entre, d’une part la volonté de laisser s’affirmer les personnalités des élèves par la danse, et d’autre part l’envie de créer du beau et de l’esthétique reconnus par tous.

Le modèle fait apparaître l’intelligibilité comme pôle dominant, avec la sociabilité. Cependant ces deux pôles n’articulent pas en cohérence les deux autres. D’un côté, il est fait allusion à l’expression, les thèmes, l’implication personnelle sans jugement, l’expression de l’identité sexuelle ; et de l’autre, une sensibilité des formes, de la beauté et de l’harmonie, et une dynamique circulaire.

Le modèle est disjoint dans l’articulation des quatre éléments entre eux. Il est incohérent et discordant par rapport aux valeurs, ce qui provoque chez l’enseignante l’incapacité à enseigner.

Le modèle met à jour un métissage malheureux des expériences dansées. Il nous semble que le vécu de la formation a brisé la capacité du corps à produire des formes corporelles et à s’exprimer. La reconstruction de cette fêlure et l’oubli du mauvais souvenir ne sont pas suffisants pour engager l’enseignante corporellement face à ses élèves. Ces derniers portent en eux la même problématique : celle du corps qui se montre et qui craint le jugement des autres parce qu’il n’a pas de référence culturelle identifiée. La pratique de la danse devient une pratique qui s’apparente à celle du psychodrame, et non une pratique ludique, créative, et construite sur des relations humaines.

Le modèle de “C” reflète une compilation des différentes valeurs des modèles institutionnels. Ceux des années, 1959, 1967 et 1985, qui vont de l’esthétisme académique à l’artistique contemporain en passant par l’expression corporelle.

La danse féminine est confortée par la représentation du mouvement dansé et des valeurs esthétiques sous-jacentes (modèle jusqu’en 1967). Le manque de référence en danse (“‘laquelle choisir ? dit l’enseignante’”), ne permet pas de nourrir l’imaginaire, et d’envisager l’enseignement de cette activité avec des adolescents qui engagent un corps sexué. Le corps émotion est estimé sans esthétique. Le corps déréalisé n’a pas de place au collège. Le dernier modèle, faisant référence à des pratiques artistiques singulières (1996-97) n’est pas du tout évoqué.

L’enseignante pose le problème de l’enseignement d’une activité, sans technique corporelle, alors que l’esthétique et les valeurs de beauté sont pour elle incontournables. Elle comprend et analyse la non adhésion des autres enseignants et des élèves à ces représentations concernant l’esthétique du mouvement dansé, parce qu’elle est devenue désuète avec le temps. Elle est très à l’écoute de la sociabilité ambiante, tant du point de vue des élèves que celle de ses pairs. Celle-ci n’inclut pas les pratiques sociales en faveur des arts. D’où le décalage culturel trop important, ressenti comme une dissociation dans laquelle elle-même se situe, et qui ne peut satisfaire son engagement professionnel.