Un modèle d’enseignants E-

‘Un modèle relativement équilibré et ouvert aux catégories. Le refus d’enseignement se comprend par les contradictions antagonistes entre les valeurs et les éléments du modèle.’

Ces enseignants ont tous de bonnes raisons pour ne pas enseigner la danse : des raisons personnelles qui reposent sur un rapport au corps défaillant dû à une formation traumatisante, ou aussi à un manque total de formation. Il semble assez évident que tous reconnaissent leur incompétence assez facilement.

Dans le cadre de l’éducation physique et sportive, il semble difficile d’être compétent dans l’ensemble des disciplines. Cependant, il est plus aisé de reconnaître ses incompétences dans certaines activités que dans d’autres. Par exemple, une enseignante admet facilement son incapacité à enseigner le rugby et la lutte, tout comme l’enseignant masculin peut allégrement reconnaître l’impossibilité pour lui d’enseigner la danse. Les activités marquées sexuellement font accepter les incompétences à la polyvalence. Il est aussi mieux toléré généralement pour des enseignantes qu’elles n’enseignent pas la danse, alors qu’une défaillance concernant l’enseignement de l’athlétisme ou des sports collectifs serait inacceptable. Il existe donc bien dans la profession des activités physiques “fondamentales”, reconnues par les enseignants comme incontournables, et d’autres plus accessoires.

Ces enseignants E- reconnaissent la difficulté d’enseigner la danse. iIs en reconnaissent cependant l’intérêt éducatif pour les élèves, mais évitent de se former ou d’expérimenter la pratique pédagogique. Trois sur six expliquent leur refus. Trois autres semblent prêts, avec de l’aide, à assurer cet enseignement.

Le discours concernant la démarche pédagogique est assez abondant puisqu’il représente 27,4 % du discours global. Les problèmes de la transmission et de l’apprentissage sont soulevés ainsi que le guidage des élèves, dés lors que l’activité est peu maîtrisée par l’enseignant. La pratique aléatoire ne permet pas d’envisager un enseignement. (Voir annexe 3 Partie III)

La valeur dominante qu’ils attribuent est l’expression. Danser au collège, c’est exprimer un thème par le mouvement, et par là l’activité est très différente des autres activités physiques et sportives. Cette valeur éducative donnée à la danse, n’est pas une valeur reconnue dans le cadre d’une pratique personnelle. Danser, pour ces enseignants, engage l’individu à donner à voir un corps harmonieux, techniquement maîtrisé, avec des lignes pures, esthétiquement reconnues comme belles.

Leurs références culturelles se ressemblent. Elles évoquent un danseur-chorégraphe au moins (sauf pour une qui ne peut pas citer de nom de danseur). Celui-ci représente le courant néo classique de la danse : BEJART (deux fois), PETIT, DUPONT. Une enseignante cite MOMIX et GROUPO GORPO, deux groupes vus à la Maison de la Danse de Lyon qui donnent à voir soit des corps virtuoses et même acrobatiques pour le premier, ou un spectacle académique pour le second. Les références culturelles sont donc en rupture avec les enjeux que les enseignants se sont choisis pour la danse scolaire, et réactive quotidiennement les contradictions du modèle.

Leur devise implicite est ainsi la suivante : “‘La danse que j’aime, n’est pas la danse que je dois enseigner !’”.

Produire des mouvements en musique exige une connaissance des rythmes, une écoute musicale particulière. Les mouvements doivent être signifiants. Il est donc nécessaire de ne pas choisir une musique qui empêche l’expression, mais qui la renforce. Or l’expression est personnelle. Comment gérer les musiques et les expressions de chacun ?

La danse implique un engagement personnel des élèves, dans la mesure où ceux-ci doivent oser se montrer aux autres. Les mouvements et les rapports à la musique étant incertains et peu précis chez les élèves, se résigner à se donner à voir, repose sur le cran, le courage personnel dont sont dépourvus les enseignants qui ont vécu ces situations. Le sens d’une danse doit être perçu et rendu intelligible pour les autres. La danse ressemble alors à du mime et s’éloigne encore plus des représentations. D’où une insatisfaction profonde. Les élèves font des “choses”, mais l’enseignant a la sensation de ne rien pouvoir apporter à la gestuelle trop signifiante qui s’apparente peu à leur image de la gestuelle dansée.

Nous avons réalisé le graphique virtuel d’un modèle générique des enseignants E- en additionnant toutes les donnés (voir annexe 3 Partie II). Il apparaît évident à l’observation, que ce “pratiquant culturé” est un modèle qui possède tous les éléments constitutifs pour être un sujet culturellement émancipé. En effet, sur le plan quantitatif, les discours donnent à lire un modèle relativement équilibré, avec deux éléments dominants : l’intelligibilité et la sociabilité. La sensibilité est le pôle le plus faible.

Ce modèle d’enseignant est pourtant défaillant et disjoint dans les articulations qu’il met en oeuvre, articulations en perpétuelles contradictions.

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Graphique 20 : Modèle E-. Valeurs : expression de soi.

L’approche culturelle n’est pas interrogée. Il n’y a pas de connaissance de l’activité. La transposition didactique est jugée insatisfaisante et n’est pas comblée par manque de motivation, d’assurance personnelle et de curiosité concernant le corps et les pratiques artistiques. De plus, ce modèle met en contradiction non seulement les pôles et les valeurs, mais les différentes catégories, à l’intérieur de chaque pôle. Par exemple la sensibilité met en avant les affects et les émotions, non pour faciliter l’esthétique et la plasticité, mais pour l’abîmer. La sociabilité s’appuie sur une implication personnelle forte, mais qui est entrevue comme un obstacle au mouvement dansé. Des ambivalences s’expriment comme nous l’avons noté à l’analyse des données. Ce modèle ne peut donc pas être opérationnel.