Le modèle d’enseignants non experts E

‘Il élabore à partir des valeurs d’expression et accorde une place privilégiée à l’intelligibilité.’

Les enseignants semblent vouloir tous refuser une transmission culturelle de techniques de danse. Soit par connaissances insuffisantes, soit par volonté pédagogique et choix éducatifs. La danse scolaire est une danse faite par les élèves, et n’existe que dans ce cadre, elle ne s’appuie sur aucune référence à des pratiques sociales et culturelles. Les enseignants ne font jamais allusion dans leur travail pédagogique, à des techniques spécifiques, sauf une qui envisage un travail de partenariat avec une danseuse, et attend avec curiosité ses propositions.

La valeur dominante est l’expression. La danse scolaire est une danse expressive, voire une activité d’expression, pour déjouer les connotations négatives de la danse dans les représentations des élèves.

L’élève doit apprendre à s’affirmer en tant que personne dans un petit groupe, à oser se montrer sans utiliser de modèle. Il doit regarder les autres à travers un filtre pour leur permettre de se sentir à l’aise.

L’élève doit mettre en jeu ses capacités à imaginer, inventer à partir de thèmes, à ressentir des émotions, avoir des sensations concernant son corps. Tout cela représente les sources et ses moyens d’expression.

L’enseignant, par les situations, son rapport avec les élèves, est le garant du climat de la classe qui favorise les implications personnelles. Il met en oeuvre une démarche de création. Il reste ouvert aux propositions des élèves. Cette démarche n’est pas sans rappeler celle de la pédagogie dite d’éveil des années 1970. Les élèves ont les ressources nécessaires et suffisantes pour mettre en jeu une activité d’expression. Les enseignants E sont très préoccupés par leur implication personnelle qu’il juge primordiale. La moitié ou presque de leurs interventions soulève cette difficulté.

Le graphique représente un enseignant E virtuel, composé de l’ensemble des discours des six enseignants interrogés (voir annexe 6 Partie III).

Ce modèle apparaît déséquilibré en faveur de l’intelligibilité. La motricité et la sensibilité sont les maillons faibles. Les valeurs d’expression articulent de façon prépondérente l’intelligibilité et la sociabilité.

L’élève utilise une motricité usuelle qu’il transforme spontanément selon les besoins de son expression et de sa communication. Les autres sont là pour valider la prestation : reconnaissance d’une présence, ressentir les émotions à partager, comprendre le thème.

Ce modèle, pour conserver sa cohérence et sa dynamique ne devrait pas se poser les problèmes de l’évaluation, de la lecture. En cela il correspondrait mieux au modèle préconisé dans les textes de 1967. Cependant, les exigences institutionnelles depuis 1985 portent sur l’évaluation et déstabilisent ce modèle culturel qui désire s’articuler autour de l’épanouissement personnel et de l’hédonisme.

La réticence des enseignants pour mener à bien une évaluation en danse, témoigne des contradictions à l’oeuvre dans la confrontation de deux modèles culturels qui tentent de s’harmoniser, alors que les valeurs, au centre de l’articulation du modèle, sont contradictoires, voire antagonistes. Seule l’exigence d’un regard tolérant et ouvert sur les autres permet l’expression du modèle, sa dynamique. Or l’évaluation exige le regard de la distance, ce regard froid qui classe, sélectionne, compare. Est-il possible dans le cadre de l’enseignement, de mener à bien cette double tâche qui incombe à l’enseignant : favoriser l’expression de soi, et sanctionner le résultat de l’expression qui somme toute reste très subjectif ?

L’implication affective de l’enseignant semble, à travers les discours, incontournable. Comment, alors, être à la fois juge et partie ?

Nous devons considérer les préoccupations des enseignants non experts qui s’attachent essentiellement à l’aspect socialisation de l’activité. Il est difficile aujourd’hui d’avoir dans une classe un climat de tolérance, qui permette l’expression de tous. Les hétérogénéités sont grandes et les difficultés d’animation questionnent l’application de ce modèle d’enseignant hors culture, s’adressant à des expressions humaines au sens large. Tous les enseignants témoignent de leurs difficulté à mener à bien leur cycle. Ils sont tous insatisfaits du manque de repères, de connaissances qui leur empêche d’avoir la maîtrise de leur enseignement. Ils font reposer la réussite de celui-ci sur les relations humaines qu’ils entretiennent eux, avec la classe, et que les élèves développent entre eux.

Cette activité, jugée différente des autres activités physiques par la plupart des enseignants, leur permet d’envisager les activités artistiques sous leur angle éducatif concernant la socialisation.

Quelles expressions possibles dans un groupe classe, avec un enseignant évaluateur ?

Comment se négocient les deux contradictions suivantes : les transgressions et les normalisations, l’individualisation et la socialisation ?